25 novembre 2017

"Tout le passionne"

«Qui sait tout souffrir peut tout oser. »
                    Vauvenargues

L'oeuvre littéraire de Jean-Paul Kauffmann m'habite depuis de longues années. Enlevé et détenu comme otage au Liban durant 3 ans (1985-1988) avec le journaliste Michel Seurat, lequel sera tué durant sa captivité, il vit la traumatisante expérience de voyager en plusieurs occasions enroulé dans un tapis d'Orient où l'asphyxie l'amenait jusqu'à perdre connaissance. Il n'évoque sa captivité pour la première fois qu'en 2007 dans La Maison du retour (NiL éditions, 2007), sa position d'otage et les moments qui ont suivi son retour, le douloureux réapprentissage d'une vie normale, son impossibilité à lire, lui le passionné de littérature. Comme dans tous ses précédents ouvrages, tout est écrit ici sur un ton feutré au travers de l'histoire de l'achat d'une maison, tanière ou sas pour revenir vers sa famille, vers la vie. Si chacun de ses livres ont l'enfermement, l'extrême solitude, l'impression d'oubli de ses proches pour thématique commune, aucun n'évoque jamais directement son expérience d'otage: tout est écrit entre les lignes. D'où l'intérêt de découvrir ce témoignage paru le 3 décembre 1988 dans Le Figaro Magazine:

"Cette épreuve  m'a nettoyé l'âme, mais à quel prix ! Avant le 22 mai 1985, je partais dans tous les sens, comme beaucoup d'hommes de ma génération : curieux mais finalement insatisfait de tout, éparpillé. Peut-être avais-je un moi trop multiple. Certes, on pourrait prendre cette diversité pour une vertu. Notre époque tient le disparate pour une richesse. Mais je crois que c'est plutôt un signe d'indigence. A vouloir être trop, nous ne sommes rien. Cette terreur des gens à ne pas être dans le coup! Ils courent, ils courent mais le vieux monde est toujours devant eux. Cette plasticité aux humeurs du temps, je la refuse. C'est fatigant d'être un comédien. Beaucoup de gens ressemblent à la profession de foi de ce personnage de Sartre: «II faut avoir le courage de faire comme tout le monde pour n'être comme personne. » Je me méfie de quelqu'un dont on dit: «Tout le passionne. » Moi aussi, avant mon enlèvement, je me passionnais pour tout. Je crois avoir perdu cette versatilité. Aujourd'hui, je me sens apaisé, pacifié de l'intérieur. La proximité de la mort m'a remis les idées en place. Les choses m'apparaissent plus clairement qu'avant. J'ai perdu le goût du détail."


Lu dans:
La maladie. Recueil de textes. Les Editions de l'atelier. 1995. 112 pages. Extrait page 15.
Jean-Paul Kauffmann. Un passage décapant. Le Figaro Magazine. 3 décembre 1988.


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