13 septembre 2017

Des sons qui deviennent paroles


"Me trouvant à l'hôpital de Bangor, dans le Maine, où j'étais hospitalisée, Jerry Wilson me mit entre les mains l'admirable plaque de malachite que j'avais marchandée à plusieurs reprises en 1983 et 1985 à New Delhi pour la lui offrir. Elle ne l'avait pas quitté depuis. Mais sans doute mes mains étaient faibles, ou moi-même un peu assoupie, car j'ai senti glisser quelque chose, un bruit léger, fatal, irréparable, qui me réveilla de mon sommeil. J'étais bouleversée d'avoir ainsi détruit à jamais cet objet qui avait tant compté pour nous, cette plaque de minéral au dessin parfait à peu près aussi antique que la terre. De quel dépôt cent fois millénaire était-elle venue pour nous attendre deux ans chez un bijoutier hindou, puis pour passer et repasser deux fois l'Atlantique, aux mains d'un ami qui n'avait peut-être plus longtemps à vivre ? De quel Himalaya, de quel Pamir? Mais le son même de sa fin avait été beau... Oui, me dit-il, la voix des choses.»
                   Marguerite Yourcenar. Exergue du recueil "La voix des choses".

Le tintement de la chute de la malachite devient signifiant pour Marguerite Yourcenar car il résonne en écho à sa propre vulnérabilité. Le minéral devient humain, le son devient mot: nos vies connaissent des instants irréparables. En irait-il de même de la communication humaine, quand noyés sous le flot des paroles celles-ci ne restent que des sons, ne rencontrant aucun écho dans nos vies quotidiennes? 

 

Lu dans:
Marguerite Yourcenar. La Voix des choses. © Jerry Wilson, 1987, pour les photographies. Éditions Gallimard. 1987. 104 pages.

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