30 novembre 2016

Actualité du passé

"Le mérite est né mendiant
et n'est que peu de chose, considéré dans tout son éclat.
Et l'art est prisonnier du pouvoir
Et l'esprit a perdu ses droits
Et la simple honnêteté passe pour de la niaiserie."
            Shakespeare


Lu dans :
Stefan Zweig. Erasme. Grandeur et décadence d'une idée. Traduction d'Alzir Hella. Grasset 1935. Le Livre de Poche 14019. 185 pages. Extrait p.64

Tomber sans se faire mal

"Pour qu’il y ait échec, il faut qu’il y ait deux choses. Il faut effectivement qu’il y ait un projet qui, en rencontrant le réel, ne rencontre pas le succès – donc, une mauvaise rencontre. Mais il faut aussi qu’il y ait un sentiment d’échec , c’est-à-dire qu’on prenne mal le fait que cette rencontre se soit mal passée."
            Charles Pépin

"L’échec nous fait-il honte parce que la réalité nous renvoie une image moins flatteuse que celle que nous avions de nous-mêmes ou parce que nous nous plaçons sous la tyrannie du regard des autres ?
Si je me sens nul, c’est soit parce que les autres me voient comme nul, soit parce que je crois qu’ils me voient comme nul alors que ça n’est pas le cas. On est enfermé dans le regard que les autres se font de nous. Un enfant tombe en moyenne 2.000 fois avant d’arriver à marcher et il ne le prend pas mal : il se relève et il repart au combat. Pourquoi ? Parce que le regard des adultes est bienveillant. Il faudrait donc réussir à avoir, par rapport aux échecs de nos proches, le même regard que les parents ont par rapport aux échecs des enfants quand ils apprennent à marcher. "


       
Lu dans:
Charles Pépin. Les vertus de l'échec. Allary Editions. 2016. 256 pages.

29 novembre 2016

Les coudes qui se touchent

"Une maison chaude, du pain sur la nappe et des coudes qui se touchent, voilà le bonheur."
             Félix Leclerc

Une enfance canadienne, sur les rives du Saint Laurent, racontée par le barde québecois, "comme l'équipage d'un navire heureux ne pense ni aux arrivées ni aux départs, mais à la mer qui le porte, nous voguions dans l'enfance, voiles ouvertes, émus des matins et des soirs, n'enviant ni les ports ni les villes lointaines, convaincus que notre navire battait bon pavillon et renfermait les philtres capables de fléchir pirates et malchances". Sa famille est un havre de paix, un port où se réfugier en cas de tempête et la philosophie de leur mère "se résumait au pain quotidien et à la paix intérieure ; et elle y tenait, y revenait souvent comme la vague sur la roche, sachant l'inconstance des hommes et la facilité qu'ont les idées de disparaître."

Si le parfum passé des bonheurs anciens ne raccommode pas le présent, se rappeler certaines valeurs simples et éternelles peut faire du bien.


Lu dans:
Félix Leclerc. Pieds nus dans l'herbe. Fides 1995. Extrait pp. 41, 19, 40

27 novembre 2016

Larguer les amarres

"Rien ne ressemble plus à l'exil que la naissance."
            Negar Djavadi.

Et si ... rien ne ressemblait moins à l'exil que la naissance. Une réflexion d'une amie chère et lointaine (so far away Bremen!) éclaire d'un jour neuf la citation de Negar Djavadi, commentée ici même la semaine passée. "Voilà une affirmation qui dénigre le sens même de la vie, son rythme et sa force! C'est précisément l'extraordinaire message de la naissance, ce paradoxe: l'enfant ne peut rencontrer le regard, les bras, le sein, la chaleur, la tendresse de sa mère que si elle et lui se séparent auparavant par l'acte réciproque et complémentaire de naître et d'enfanter! Quand on le laisse en paix, c'est l'enfant qui envoie le premier le signal de départ ! C'est le début du rythme de la vie selon lequel, de passage en passage, toute autonomie n'est rendue possible que par l'attachement préalable, et tout attachement, par la séparation qui le précède. Oui, tout passage est accompagné d'anxiété, mais dans la confiance il permet de grandir, comme la traversée de la forêt dans les contes ou les épreuves de Tamino. La naissance est l'expérience initiale et initiatique du rythme de la vie. L'exil est un passage, mais imposé, subi, cruel. J'aime penser que la mort est l'ultime naissance, que nous ne pouvons voir que d'un pôle, comme nous ne voyons le début de la vie que de l'autre. Et qu'elle est heureuse -c'est mon espérance- quand nous pouvons, après tant de passages, dans et grâce à la plénitude de notre vie (quelle est l'expression biblique? En allemand: "lebenssatt"), quelle que soit sa durée, lâcher les amarres... "


Lu dans:
Negar Djavadi. Désorientales. Liana Levi. 2016. 349 pages. Merci à Colette Merjeay pour ses commentaires.

26 novembre 2016

De la longueur de la chaîne

"La liberté est un leurre, ce qui change c'est la taille de la prison."
            Negar Djavadi

Sujet inépuisable. Souvent, le prisonnier possède la clé de sa geôle sans en faire usage, tel ce jeune qui me disait ne quitter sa banlieue qu'une ou deux fois par an pour un tour au centre commercial éloigné de trois stations de métro. Les aventuriers au long cours se heurtent à l'ultime frontière: la Terre, espace-prison immense. Zonard et routard, tous partagent la cellule la plus exiguë qui fut jamais créée, celle de leur propre corps, enveloppe parfois rapiécée, alourdie, vieillie, ralentie, limitée à l'extrême. Je me rêvai un jour athlétique et grimpant aux arbres, le réveil me remit en prison, mais l'esprit libre. Cette liberté-là dépasse toutes les autres.


Lu dans:
Negar Djavadi. Désorientales. Liana Levi. 2016. 349 pages.

25 novembre 2016

Exil

"Rien ne ressemble plus à l'exil que la naissance."
            Negar Djavadi.

Du point de vue du bébé, rien n'est plus anxiogène, inconnu, violent, non-souhaité, passif que naître... si ce n'est mourir, et être chassé de son pays natal comme le note Djavadi.


Lu dans:
Negar Djavadi. Désorientales. Liana Levi. 2016. 349 pages.

23 novembre 2016

Obéissance préventive

"N'obéissez pas à l'avance. L'autoritarisme reçoit l'essentiel de son pouvoir de plein gré. Dans des moments comme ceux-ci, les individus prédisent ce qu'un gouvernement répressif attend d'eux et commencent à le faire de leur propre initiative. L'obéissance anticipée renseigne les autorités sur l'étendue du possible et accroît la restriction des libertés."
             Timothy Snyder



Epiphanie

Gaietés inattendues qui parfois éclatent en nous
coins de rue éclairés soudain par un rai de soleil
        qui troue un nuage pour vous illuminer
        et donne la sensation d'être en vie une fois pour toutes
        d'être né à jamais.  
                 Régis Jauffret


Lu dans:
Cannibales, Régis Jauffret, Seuil, 2016, 185 p. Extrait p.140

22 novembre 2016

Mauvais payeur

 "Sans renouvellement de la concession, ce lieu sera dégagé."
                Lu sous une épitaphe.

On se croit mort et tranquille. Tout faux, les échéances nous poursuivent.


21 novembre 2016

Sagesse de Jim

"Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors".
            Michel de Montaigne, Essais, De l’expérience

Mamy a appelé Montaigne à la rescousse pour stimuler Jim à se concentrer sur son exercice de calcul, "quand je travaille, je travaille." Cahier rangé, Jim rejoint Prévert dans son jardin imaginaire, quand Mamy revient avec une dernière correction - on vise le 20/20 et un peu plus. Jim la regarde étonné: "Mamy, quand je joue, je joue". On apprend vite Montaigne à neuf ans. 
 

19 novembre 2016

Bluesette

"Là où je me sens bien, dans ce petit espace entre un sourire et une larme. »
    Toots Thielemans


18 novembre 2016

Le prix de la lucidité

"Au jour de mon cinquantième anniversaire je ne formai au plus profond de moi-même que ce seul vœu téméraire : que quelque chose se produisît."
        Stéphane Zweig

Stéphane Zweig se livre à une longue introspection au soir de son 50ème anniversaire. "Que restait-il à souhaiter? Le fait même qu'à cette heure je ne voyais rien à désirer engendrait en moi un mystérieux malaise. Serait-il bon, demandait quelque chose en moi, que ta vie se poursuive ainsi, si calme, si réglée, si lucrative, si confortable, sans nouvelles tensions et sans nouvelles épreuves? T'appartient-elle vraiment, appartient-elle au plus essentiel de ton être, cette existence privilégiée, tout assurée en soi? Pensif, je me promenai dans la maison. Elle était devenue belle au cours de ces années, et telle exactement que je l'avais voulue. Et pourtant, devais-je toujours vivre ici, toujours m'asseoir devant le même bureau et écrire des livres, un livre et encore un livre, et ensuite toucher mes droits d'auteur, toujours plus de droits d'auteur, devenir peu à peu un monsieur respectable, tenu d'exploiter avec dignité et dans le respect des convenances son nom et son œuvre, préservé déjà de tout accident, de toutes les tensions et de tous les dangers? Les choses devaient-elles toujours aller ainsi, jusqu'à soixante, jusqu a soixante-dix ans, sur une voie droite et unie? Ne serait-il pas mieux pour moi que survînt quelque chose d'autre, quelque chose de nouveau, quelque chose qui me rendît plus inquiet, plus tendu, qui me rajeunît en m'excitant à un nouveau combat peut-être plus dangereux encore? "

Ironie du sort, l'avenir allait hélas combler cette attente au-delà de tout ce qui peut être imaginé. L'entièreté de son œuvre brûlée lors de la nuit cristal, avec interdiction de publication en Autriche et en Allemagne, exil en France, puis en Angleterre, puis aux USA et enfin au Brésil où il écrit son autobiographie avant de se suicider, arrivé au terme de toute espérance. Il note, lucide mais amer, que cette dernière période de sa vie lui aura donné une lucidité qu'il n'avait guère dix ans plus tôt et qu'en ce sens il ne regrette pas de les avoir vécues.


Lu dans:
Stéphane Zweig. Le monde d'hier. Le Livre de Poche 14040. Traduction Serge Niémetz. Souvenir d'un Européen. Belfond 1942. 511 pages. Extrait p 416

17 novembre 2016

Sagesse du présent

"Le passé survient et une fois encore t'accompagne.
Ne retourne pas ton cœur et ne te laisse pas séduire,
Ne t'arrête pas, fais tes adieux au temps."
        Hannah Arendt

Elles sont trois, et un bébé. Aussi drôles qu'habillées d'étranges fripes mêlant le jeans troué et le foulard dissimulant la chevelure. Il faut être imaginatif pour trouver une quelconque idéologie dans tout cela. Un amusant raccourci me fait évoquer avec elles le chant "Imagine" de Lennon et la libération de Mandela, qui me paraissent proches comme hier. Leurs yeux reflètent la même incompréhension que si j'avais évoqué la recherche d'une solution à la Conjecture de Poincaré, incompréhension décuplée quand je souligne le progrès médical représenté par la "récente" résonance magnétique nucléaire. L'aurais-je oublié, aucune n'était née à ces moments, me rappelant que doucement on devient une histoire ancienne et le parfum suranné de nos enthousiasmes. Demain je range mes souvenirs. 


     
Lu dans:
Hannah Arendt. Heureux celui qui n'a pas de patrie. Poèmes de pensée. Rassemblés par Karin Biro. Payot. 240 pages. 2015. Extrait p.141

16 novembre 2016

Story telling

 "L'imagination, c'est ce qui permet de se souvenir de choses que tu n'as pas vécues."
           La revanche de Gaby Montbreuse, comédie musicale

15 novembre 2016

Epitaphe

"Mais il n’est pas là. Allons-nous-en !"
        Jean Cocteau devant le passage de la bière de son ami Giraudoux 

13 novembre 2016

La grande peur de l'homme blanc

"Notre force s'arrête là où commence notre peur."
                Michel Bellier. La fille aux mains jaunes. 

En 2004, dans son best-seller What’s the matter with America ? , le journaliste Thomas Frank montrait comment une partie de la classe ouvrière a voté régulièrement pour des politiques économiques et sociales qui lui étaient impitoyablement défavorables. « Des ouvriers endurcis ont célébré la victoire de candidats qui allaient mettre fin à leur mode de vie. Des petits fermiers ont voté pour ceux qui allaient les expulser de leurs terres. Pourquoi ? Parce que leur crainte de chuter économiquement se confondait avec le sentiment de perdre un monde connu et rassurant, blanc, chrétien, socialement conservateur, dans lequel ils étaient majoritaires."  Lignes prémonitoires qui n'ont pas pris une ride.


Lu dans :
Thomas Frank. What's the Matter with America? The Resistible Rise of the American Right. Secker & Warburg. 2004. 296 pages
Michel Bellier. La fille aux mains jaunes. Texte qui a obtenu la bourse d’aide à l’écriture Beaumarchais et a été écrit en résidence à Mariemont (Belgique) accueilli par les Éditions Lansman, le Centre des Écritures Dramatiques Wallonie-Bruxelles et l’ASBL Promotion-Théâtre.

12 novembre 2016

Sagesse du samedi

"Ta barque détachée
Du flanc chaud de la nuit
Dérive heureuse commencée
Au fil de l'aube sans limite
Loisir béni du samedi
Le temps lui-même nous invite."
            Antoinette Dalcq

Une rue étonnamment silencieuse ce lendemain de jour férié, un jardin aux teintes mordorées qui somnole encore, douceur de quelques mots et pensées calmes en ce monde bruyant.


Lu dans:
Antoinette Dalcq. Nommer les choses comme Adam. Ed. J.Dieu-Brichart. 1340 Ottignies Louvain-la-Neuve. 1988. 56 pages. Extrait p.48

11 novembre 2016

Last Post

"Les oiseaux ont chanté
au point du jour
Ne vous attardez pas
sur ce qui est passé
ou sur ce qui va venir
Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner
il y a une fissure en toute chose.
c'est ainsi qu'entre la lumière."
    Léonard Cohen. Hymne

Inspirées de Rûmi, ce poème d'espoir sonne juste en ce matin d'Armistice. On peut rogner les ailes à l'espoir, inlassablement elles repoussent. Léonard Cohen s'est éteint, peu de jours après après son amie Marianne à qui il avait adressé une poignante lettre d'adieu. Ses chansons survivent.

10 novembre 2016

Comme un poisson au large des Sargasses

"Le 16 mars 1733, à 11h26, au large des Sargasses, un poisson en dévora un autre. Nos faits et gestes les plus beaux ne laisseront pas plus de souvenirs."
            Eric Chevillard

Bref moment d'irréalité au réveil. Sur mon bureau un bristol au design léché d'invitation à la fête des profs émérites de la fac de médecine. On se pince deux fois: est-ce bien mon nom? et déjà si loin sur le chemin de l'existence? Les mains dans le cambouis médical, les grands soucis des petites gens, ces "sans-dents" évoqués de manière peu heureuse par Hollande, on oublie vite que durant de longues années on a tenté d'enseigner ces réalités de terrain aux médecins en herbe. Ce fut une belle période de beaux partages avec de belles personnes qu'il est temps de remercier par le biais de ce modeste billet. Mes patients me firent durant toutes ces années un cadeau apprécié: veiller par la modestie de leur propre existence à ce que le prof ne se prenne pas la tête, ce que le billet d'Eric Chevillard complète avec humour.


Lu dans:
Eric Chevillard. L'autofictif. Post n° 3087.  

09 novembre 2016

Matin d'élections

"Chacun a la parole. Même sans savoir articuler une phrase. Même sans maîtriser ni l'orthographe ni les idées. Nous vivons le monde du borborygme de comptoir répercuté par l'écran. On confond le rot et la pensée."
            Joann Sfar

Ce matin, je relis Zweig et les dernières heures d'Erasme, un éditorial pour la journée que l'on vit. "Son cœur s'est assoupi depuis longtemps; il n'en est pas de même de sa main, ni de son cerveau d'une lucidité merveilleuse, qui telle une lampe répand sa constante et limpide clarté sur tous les objets qui tombent dans son champ de vision. Un seul ami, le plus ancien,le meilleur de tous, reste fidèlement à ses côtés: le travail. Tous les jours, Érasme écrit de trente à quarante lettres; il traduit les Pères de l'Église, il complète ses Colloques et met sur pied une foule de travaux esthétiques et moraux. Il écrit et agit avec la conscience d'un homme qui croit que la raison a toujours le droit et le devoir d'élever la voix dans un monde ingrat.
Mais, au fond, il sait depuis longtemps qu'il est fou de vouloir parler d'humanité en de tels moments de démence collective, il sait que sa grande et sublime idée, l'humanisme, est vaincue."


Lu dans :
Joann Sfar : " Nous sommes des orques de Tolkien ". Le Monde 27 août. 2016
Stefan Zweig. Erasme. Grandeur et décadence d'une idée. Traduction d'Alzir Hella. Grasset 1935. Le Livre de Poche 14019. 185 pages. Extrait p.168

08 novembre 2016

Un été sur la Semois

"L'été ne se termine jamais...
Il change juste d'endroit."
        Sagesse des agences de voyage

Un été sans fin, quelle tristesse. L'été est une saison qui s'inscrit simultanément dans un calendrier et une région. C'est le mois d'août à Coxyde, juillet sur la Semois, l'envol de l'alouette sur les blés dorés, la maison de campagne dont on ouvre les volets pour deux mois de vacances. L'été ne saurait se réduire à une température et à une durée d'ensoleillement. L'été n'est pas un produit, mais l'image fugace de périodes de la vie qu'on sait limitées, et qui en font la valeur.


PS. Les billets des deux semaines précédentes, correspondant à notre voyage,  peuvent être consultées sur le blog http://entrecafejournal.blogspot.be/

06 novembre 2016

Sagesse d'une flûte

Une flûte malhabile accompagne notre réveil, signe d'avenir. A deux kilomètres les ruines d'Angkor s'ébrouent avant l'arrivée des touristes, sagesse du passé. L'extrême violence s'est déplacée dans d'autres régions, une paix précaire comme cette mélodie aigrelette occupe  ce lieu et cet instant . Que retiendrons-nous de tant d'images, noms de divinités, terrains de guerre, visages croisés si ce n'est l'extrême fragilité de que nous croyons éternel, et la vitalité de ce que nous pensons faible. La liane l'emporte toujours sur le grès, et plus encore l'enfant à la flûte. Il se raconte qu'au moment de la mort du dernier empereur un papillon posé sur son front se soit envolé, et vole encore. J'ai cru l'apercevoir hier. L'image est trop belle pour ne pas clore par elle ce récit de voyage. La vulnérabilité occupe nos journées et préoccupations, quel bonheur de retrouver ce quotidien.


 


04 novembre 2016

Encore Angkor

"L'or, les couleurs ont presque totalement disparu de l'édifice, il est vrai ; il n'y reste que des pierres ; mais que ces pierres parlent éloquemment. (..) Qui nous dira le nom de ce Michel-Ange de l'Orient qui a conçu une pareille oeuvre, en a coordonné toutes les parties avec l'art le plus admirable, en a surveillé l'exécution de la base au faîte, harmonisant l'infini et la variété des détails avec la grandeur de l'ensemble et qui, non content encore, a semblé chercher partout des difficultés pour avoir la gloire de les surmonter  Par quelle force mécanique a-t-il soulevé ce nombre prodigieux de blocs énormes jusqu'aux parties les plus élevées de l'édifice, après les avoir tirés de montagnes éloignées, les avoir polis et sculptés ?"
      Henri Mouhot. Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos  1868.

Laissons-nous surprendre par ce court film réalisé par un drone survolant le site d'Angkor pour le découvrir mieux que nous ne le vîmes.

ANGKOR from 5mars on Vimeo.

03 novembre 2016

Dialogue de pierres

"De grands arbres ont remplacé les piliers de bois des pavillons qui autrefois se dressaient sur la terrasse des Éléphants, et la broussaille encombre la place royale qui s'étend à ses pieds."
            Pierre Loti. Le pèlerin d'Angkor. 1901

Dialogue entre l'antique cité minérale endormie et son décalque végétal envahissant, Angkor interpelle. J'imagine l'artisan du 7ème siècle sculptant sous le soleil écrasant ce paysan retenant son boeuf, cette femme pensive, ce roi guettant l’immortalité. Par quel miracle cette fresque si fine a-t-elle franchi les années pour s'imprimer sur ma rétine? Combien étaient-ils de son espèce à sculpter le grès côte-à-côte, mus par quelle motivation?  Puis un jour, cette civilisation séculaire s'est assoupie, comme momifiée, intacte sur son site grandiose guettant le baiser du Prince charmant. Quel temple, quelle statuaire, quels écrits restera-t-il de notre civilisation actuelle dans quinze siècles, voire même dans cent ans? Une même sérénité se dégagera-t-elle de nos visages, et de nos écrits? La réponse est incertaine.

  

02 novembre 2016

Question sans réponse

Un mystère demeure. Comment vivre avec si peu sans se départir de sourire, ni se plaindre, ni envier la cahute voisine? Sans jeter de regard haineux à l'abondance que nous transpirons. Sans tendre une main insistante ni imposer un achat non-souhaité, acceptant même de négocier un prix qui au départ nous paraît déjà comme une excellente affaire.  Notre présence insolite dans leur espace de marché quotidien semble les amuser au-delà de toute mesure. Pas autant que l'arrivée de ce jeune papa amenant sur sa mobylette ses six enfants hilares qui s'ébrouent dans une explosion de rires joyeux. On arrive au Cambodge comme on en repart: ignorant où se niche la source d'énergie d'un être humain.



Le vieux capitaine

On vient de se prendre un grain, qui secoue et mouille le petit rafiot comme un chat joue avec la souris. Le vieux capitaine, largement hors d'âge et bénévole, ausculte la coque et le ciel avec sollicitude, écope un pont, cale une porte, en un mot il prend soin de son ancien navire. Il n'a plus de grade, plus de titre officiel, il est simplement le Sailor comme on dirait le médecin, le prof ou le prêtre. Sa présence rassure.



De coq-en-pâte à coq-au-vin

Au marché maritime, un coq entravé chante comme s'il avait la vie devant lui, et toute sa basse-cour. On devine que quelques heures à peine le séparent du coq-au-vin,  mais se plaint-on d'un futur qu'on ne connaît pas? Jusqu'à preuve du contraire, il a le meilleur maître qui soit, lequel lui fournit la nourriture la plus savoureuse et les poules les plus dodues, une vraie vie de coq-en-pâte. Alors on chante.



Promenade en char

Vingt chars à buffles emmenant vingt extraterrestres dans les rizières indochinoises, c"est insolite. La découverte d'un pays emprunte d'étranges détours. En bord de route, les enfants applaudissent et rient. Leurs parents aussi, et on les comprend: il suffit d'un rien pour distraire les gosses.




Alya

Après deux nuits au port, la sirène du Toum Piou sonne les trois coups du départ remerciant la ville qui l'a hébergé. C'est un cri rauque de mise en route, une jubilation, un hourah, à la fois brame du cerf et haka des All Blacks avant l'assaut: c'est sûr, un navire n'est pas construit pour rester à quai. Un être humain non plus d'ailleurs, Alya, le jour se lève, en route.