11 décembre 2016

Plénitude

Tityre, dans l'ombre d'un hêtre touffu tu te reposes, bercé par le chant d'un pipeau.
"Assis sur l'herbe dans la volute d'un cigarillo
oubliant les écrans pour mieux t'hypnotiser
du vol des vautours par-dessus les ancolies
tu te reposes dans les champs
loin de l’espace turbulent
assoupi sous les étoiles
un petit chien blanc te léchant le visage."
         librement adapté de Virgile, Dylan et Tesson, placés côte à côte

Moment de plénitude, où se retrouvent dans une étrange complicité trois artistes qu'éloignent le temps et l'espace. Que ne donne-t-on pour connaître pareils instants? Je m'assoupis un jour sur une pelouse dans le jardin chinois de Singapour. Pareille chose ne m'était plus arrivée depuis une vingtaine d'années, mangées par un cursus d'études laissant peu de place à la rêverie, puis par une entrée en médecine sans s'autoriser de flânerie. Etaient-ce la sérénité du lieu, l'éloignement de mon environnement de vie habituel, la douceur de l'air ou de l'herbe? Je me réveillai au paradis. La musique du monde et ses contingences ne mirent guère longtemps à me ramener sur terre, sans que j'aie à m'en plaindre. Mais l'intensité de l'expérience demeure vivace vingt ans plus tard, jamais vraiment reproduite en raison de ces liens ténus qui plus jamais ne nous lâchent tout-à-fait: le smartphone, les messages SMS aux proches, les whats'app, le wifi qui enserre la planète, le JT de la Une sur TV5Monde nous apportant le clapotis des nouvelles nationales. Qu'aurait chanté Virgile de nos jours?

Lu dans
Virgile. Les Bucoliques. 1; 1-5 (Tityre, dans l'ombre d'un hêtre touffu tu te reposes, bercé par le chant d'un pipeau..)
Sylvain Tesson. Sur les chemins noirs. Gallimard. 2016. 144 p. Extrait page 26. (Assis sur l'herbe..)
Bob Dylan. Jokerman. 1983. (Tu te reposes dans les champs..).

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