30 septembre 2016

Le français comme dans le texte


«La grammaire française, c’est comme si Einstein avait dit E= mc 2, avec 20 pages d’exceptions.»
            Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. La convivialité.

"Viens mon chou, mon bijou, mon joujou, sur mes genoux, et jette des cailloux à ce hibou plein de poux", qui ne connaît les exceptions de mots prenant un x plutôt qu'un s? Infiniment plus piégeant est le redoublement des consonnes: pourquoi écrit-on alléger et alourdir, résonner et résonance, siffler et persifler ? Plus drôle  ce « confiture de groseilles » qui s'écrit au pluriel mais « gelée de groseille » au singulier parce qu’on distingue les fruits dans un cas et pas dans l’autre. La présence du « s » dépend donc du temps de cuisson.


Lu dans:
Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. La convivalité. http://www.laconvivialite.com/

29 septembre 2016

Une lourdeur qui rassure

"On s'appuie seulement sur ce qui résiste."
       Charles De Gaulle.


Vivre dans l'espace ramène à bien vivre à terre. La notation que fait avec humour C. Montalbetti des conséquences de l'apesanteur débouche sur d'amusantes réflexions métaphysiques. "Avez-vous jamais pensé à remercier vos spaghettis de se tenir aussi sagement dans votre assiette au lieu d'onduler en manières de petits serpents jaunes tout autour de vous? À éprouver de la  reconnaissance pour l'eau qui, sortant de votre pomme de douche, se laisse docilement diriger vers votre corps qu'elle asperge agréablement? La gravité, je vous l'accorde, est cause que nous tombons, ou que se brisent, hélas, des objets auxquels nous tenons; mais elle retient avec bonheur nos semelles à la croûte terrestre, et organise gentiment le monde autour de nous. Là-haut, une fois gagnée l'impesanteur, les choses en vont bien autrement." A redécouvrir les avantages de la pesanteur, on finirait par se sentir léger, car elle nous permet d'organiser les choses dans une certaine permanence, échappant à cette "insoutenable légèreté de l'être" qu'évoquait Kundera. Avoir la certitude de retrouver le livre posé le matin sur sa table de chevet, ouvert à la même page, ou le vélo contre un arbre, ou un ami à son rendez-vous, structure notre existence. S'appuyer sur une épaule qui résiste, au bon moment au bon endroit, est une bénédiction. La philosophe Simone Weil évoquait les concepts antagonistes et complémentaires de la pesanteur et de la grâce, jumelles indissociables.


Lu dans:
Christine Montalbetti. La vie est faite de ces toutes petites choses. Récit de la dernière mission d'Atlantis, juillet 2011. P.O.L. 2016. 336 pages. Extrait 4e de couverture.

27 septembre 2016

Idéal jeune couple

"Vivre dans une habitation à côté d'un échangeur produit un effet nettement dévalorisant, symbole d'une défectuosité du cadre de vie. C'est le genre de détail généralement dissimulé par les agents immobiliers: "immeuble atypique », «idéal jeune couple», «quartier en pleine mutation ».
            Jean-Michel Espitallier
Si c'est si dévalorisant, pourquoi y habite-t-on? Parce qu'on ne choisit pas et qu'un habitat pourri est déjà un palais pour qui n'en a pas . Notre quartier s'appauvrit, c'est peu dire. Hier, une patiente issue des Balkans, fraîche arrivée à Anderlecht, s'extasiait d'avoir enfin ce à quoi elle rêve depuis des années: un "logement sûr dans un quartier sûr, avec de belles façades, et propre". Y habiter constituait pour sa famille une promotion sociale inespérée, qu'elle ne quittera pour rien au monde. Je l'ai approuvée, et cela parut décupler sa fierté.


Lu dans:
Jean-Michel Espitallier. Tourner en rond. De l'art d'aborder les ronds-points. PUF. 2016. 128 pages. Extrait p.75

26 septembre 2016

Un imperceptible frémissement

"Mono-no-aware (en japonais)
sentiment doux-amer, songeur
qu'on éprouve parfois au crépuscule
ou durant les longs voyages en train
ou en contemplant une pluie torrentielle
quelques feuilles d'automne accrochées au manteau."
            C Moore.

Par la fenêtre, le même jardin, le même ciel, mais quelque chose tremble dans l'air, imperceptible frémissement de l'envol des couleurs vives, des oiseaux migrateurs, des fumets de barbecues. La palette des teintes s'est enrichie, mais c'est moins joyeux. On range la terrasse, et on apprête les intérieurs. C'est un bel âge aussi. 


Lu dans:
Christopher Moore. Les plus jolis mots du monde. Albin Michel. 2006. 160 pages 

25 septembre 2016

Gare au loup

"L'ail contre les vers et contre les esprits, les vieux bateaux ont plus de fantômes que de rats."
        E De Luca

Combattre les châteaux hantés qui nous empêchent de vivre: peurs pour l'avenir, pour les enfants, pour la fin de nos parents, pour l'alzheimer qui nous guette si ce n'est l'infarctus ou le mélanome, peur du gras, des vers, de la dioxine, du réchauffement, des ondes, de l'étranger qui arrive et du jeune radicalisé qui part. Tous ces risques, pour bien réels qu'ils fussent, s'effacent devant le pire d'entre eux: l'angoisse de ce qui peut arriver. Même pas peur, aujourd'hui une journée sans peur de rien. 

Lu dans :
Erri De Luca. Le dernier voyage de Sindbad. Traduit de l'italien par Danièle Valin. NRF Gallimard. 2016. 60 pages. Extrait page 41


23 septembre 2016

La demi-heure avant le bruit

"C'est beau, un jardin qui ne pense pas encore aux hommes."
Jean Anouilh. Antigone. 1942

Derniers jours d'un été qui joue les rallonges. En fin de nuit, on apprécie la dernière demi-heure avant le réveil du bruit, ce souffle continu de l'autoroute, ces premiers avions qui décollent par la route du canal, ces fourgonnettes blanches ramassant des ouvriers fatigués, tout ce monde qui se lève tôt pour ce qu'on appelle gagner sa vie. Le minuscule jardin s'ébroue, les arbres déplissent leurs écorces et les oiseaux s'essaient au chant choral. Pas de coq, on est en ville, mais une atmosphère d'entre soi que j'aime partager quand le sommeil me délaisse. Encore quelques instants monsieur le boulot, ma journée commence par un cadeau.  
 

De Cheverny à Bâle

"Seul le partage accroît la beauté du monde."
        Emily St. John Mandel

Les coquelicots flétrissent dans la main de qui les cueille. Des œuvres d'art de grande valeur reposent dans des bunkers climatisés de Singapour et de Bâle, jamais vues du public, attendant patiemment la croissance de leur valeur marchande. Cézanne, reviens! 

21 septembre 2016

Une douceur d'automne

"Habiter le même matin
Respirer la même lumière
Partager le même chemin
Dans le même automne clair
Si j'essaie de dire au temps
« Fais pour nous un petit miracle
Suspends ton vol juste un instant»
il fait celui qui n'entend pas
Il ne faut pas demander trop
juste un jour de douceur d'automne
et la lumière tellement belle
qui nous éclairera tous deux
jusqu'au coucher du soleil."
    Claude Roy. Septembre clair. Belle-île-en-mer. 7 septembre 1989.
 

Lu dans:
Claude Roy. L'étonnement du voyageur. NRF. Gallimard. 1990. 398 pages. Extrait p. 251-252.

Bonjour l'automne

"L'effet numéro un du printemps pour moi c'est l'herbe coupée dans mon champ et son odeur qui réveille le nez.
L'automne est au contraire le premier feu allumé dans la cheminée et son odeur, sœur de la laine sur le dos."
        Erri de Luca



Lu dans:
Erri de Luca. Paolo Sassone-Corsi. Le cas du Hasard. Escarmouches entre un écrivain et un biologiste. Traduit de l'italien par Danièle Valin. Arcades Gallimard. 2014. 98 pages. Extrait p.68

20 septembre 2016

Le petit souffle innommé


"Quatre vents donc : l'esprit de liberté et celui de sécurité, l'esprit de coopération et celui de compétition - " vents dominants " auxquels il faut adjoindre les " vents d'entre les vents " : l'esprit d'innovation, de conservation, d'intégration et d'exclusion. "
    Mireille Delmas-Marty

Un livre court et métaphorique (les 4 vents qui dominent notre planète) d'une juriste  pour tenter de comprendre ce qui forme, déforme ou transforme les systèmes de droit dans le monde actuel. L'essai se termine sur un dernier récit dans lequel l'auteure imagine un Congrès des vents où se sont réunis tous les acteurs de la mondialisation. Devant leur incapacité à élire l'un d'entre eux, un " petit souffle innommé " prend la parole et affirme que le réchauffement climatique est une chance pour l'humanité, " une chance, répète-t-il, malicieux et convaincu, ajoutant qu'il espère que ce ne serait pas la dernière chance ". Il évoque la mesure de l'espoir qui a soufflé dans la résolution finale de la Conférence sur le climat ou "accord de Paris", signé à l'heure précise où la peur de l'autre (le terroriste mais aussi l'étranger, fût-il demandeur d'asile) risque d'embraser la planète et de conduire à une sorte de guerre civile permanente. Affolement sécuritaire d'un côté, accord ambitieux de l'autre, ainsi va la marche de notre monde.



Lu dans :
Mireille Delmas-Marty. Aux quatre vents du monde. Petit guide de navigation sur l'océan de la mondialisation. Seuil. 2016. 146 pages

19 septembre 2016

Ces escales qui annoncent les nouveaux voyages

"L'auditoire était fasciné, littéralement pendu aux lèvres du vieux professeur."
Mallock

N'enjolivons pas trop le passé, tous les cours n'étaient pas de l'Agatha Christie, ni tous les profs Gérard Philipe dans la Cour d'honneur du Palais d'Avignon. Une époque pourtant est en train de disparaître, où les salles de cours vétustes ne connaissaient pas le Wifi et les étudiants pas le notebook. Où la conviction amenait des enseignants à prendre des risques, tel ce prof de physique admiré, quasi émérite, juché droit comme un I sur un tabouret tournant de plus en plus rapidement, les bras en croix pour nous apprendre le moment d'inertie et l'accélération angulaire. Ignorant tout ridicule, impavide devant la possibilité d'une chute ou d'un chahut devant 300 carabins éberlués par son culot, il nous enseignait et la physique et la joie de vivre. La "réalité améliorée" a envahi l'espace d'enseignement, offrant d'immenses possibilités souvent encore balbutiantes. Cela peut déboucher sur d'amusantes (?) innovations, tel ce dispositif qui permet la mesure en temps réel du niveau d'attention des élèves en les filmant avec deux caméras, et qui envoie une alerte au professeur sur son smartphone pour l'informer quand il n'a plus que 10 % d'étudiants attentifs à son cours. Les TIC c'est DAR (trad: Les techniques d'information et de communication en pédagogie, c'est trop bien) .

Il est écrit que je ne connaîtrai pas ce dernier programme s'inspirant du "buien alarm" bien connu des cyclistes (application de smartphone annonçant les averses). Ma tâche d'enseignant prend fin avec ce début d'année académique, une dernière journée m'ayant permis de mesurer à quel point j'y fus heureux. Le soir tombant avait les couleurs de l'escale, celle où on descend seul la passerelle, abandonnant sur le navire un équipage rajeuni dont on connaît le capitaine jusqu'au mousse, impatients à leur tour de découvrir les îles lointaines. Tout cela est bien.


Lu dans:
Pierre Dillenbourg. C'est déjà demain. Les nouvelles technologies ne doivent pas alourdir le travail de l'enseignant.  Le Monde du 7 septembre 2016.
Mallock. Les larmes de Pancrace. Fleuve Editions. 2016. 512 pages 

15 septembre 2016

Au loup!

 "L'homme est un loup pour l'homme."
Thomas Hobbes

Cette maxime témoigne d'une ignorance navrante de ce qu'est un loup et même de ce qu'est un homme. Les loups sont organisés en meutes au sein d'une organisation cohérente et rationnelle. Les louves sont, notamment, des éducatrices admirables. La preuve, c'est que l'empire romain a été fondé par des jeunes gens qui ont tété sous le ventre des louves. Le lycée, où nos élèves s'instruisent, c'est - dans la Grèce d'Aristote - le " lieu du loup ". Alors oui, en effet, et dans ce sens, l'homme est un loup pour l'homme, et c'est tant mieux !
 


Lu dans :
Michel Serres. Darwin, Bonaparte et le Samaritain, une philosophie de l'histoire. Éditions Le Pommier. 2016. 250 pages 

13 septembre 2016

Et la colombe ne revint pas

"Vu de la ruelle, le ciel était la fente d'une boîte aux lettres."
Erri de Luca

Irruption de la beauté dans le quotidien. Sur le trottoir ce matin, un pigeon avec une brindille dans le bec me dévisage, petit moment de bonheur instantané et réciproque. Il s'approche, dépose la petite branche à mes pieds, la reprend sans la moindre intention de fuite, la redépose. Ce symbole de paix se superpose au récit allégorique du déluge et de l'Arche d'où Noé lâche la colombe à trois reprises pour juger de la baisse des eaux. La première fois elle revient bredouille, la deuxième avec un rameau d'olivier signifiant le retour de la terre ferme, la troisième la colombe ne revint pas : la terre était devenue plus attirante que son refuge. Mystère de nos schémas mentaux, joyeux si nous croisons la colombe ou l'écureuil, sombres quand ce sont une corneille ou un rat. Aurions-nous des schémas préécrits similaires face aux humains que nous croisons? 
 

Lu dans:
Erri de Luca. Le plus et le moins. NRF Gallimard. Traduit de l'italien par Danièle Valin. 2013. 197 pages. Extrait p.37
Récit de la fin du déluge. Genèse VIII, 6-12

12 septembre 2016

Tous des petits saints

"Dans les cimetières
y'a qu'à lire les pierres
ce sont tous de petits saints
Mais où est-ce qu'on les enterre
ceux qui sont méchants
qui faisaient pleurer leurs mères
battaient leurs enfants
Les antipathiques tous les renfrognés
Mais où est-ce qu'on les enterre
les vilains râleurs
que personne n'a jamais jamais jamais regrettés."
        Marie-Paule Belle. Mais où est-ce qu'on les enterre?

Longtemps cela me fit sourire. Jusqu'à découvrir que même les petits saints sont parfois de vrais grands méchants, et le contraire. Le repos éternel place dans la même bière la fraîcheur et son amertume.  

 
Lu dans:
Mais où est-ce qu'on les enterre. Paroles : Françoise Mallet-Joris - Musique: Marie-Paule Belle.

11 septembre 2016

Allez viens, on n'en parle plus


 "J’aime l’idée de réconciliation avec la vie."
Jean-Marc Ceci

Belle image, que j'ai réutilisée la semaine dernière pour conclure une démarche thérapeutique impliquant un nouveau départ. Il y dans le mot "réconciliation" une dynamique ouverte sur le futur qui ne solde pas le passé, aussi difficile fût-il, assumé sans arrière-pensée négative. Se réconcilier avec la vie implique parfois aussi se réconcilier avec un corps disgracieux, des facultés limitées, des projets fracassés pour accepter de n'être que ce qu'on est, imparfait dans un monde imparfait mais pas si mal tout de même.


Lu dans:
Jean-Marc Ceci. Monsieur Origami. Collection Blanche, Gallimard. 2016. 168 pages

09 septembre 2016

Une plus haute humanité

"La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire ? – Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays. – Alors... ils n’ont pas la même langue ? – Si, ils parlent la même langue. – Alors, ils n’ont pas le même dieu ? – Si, ils ont le même dieu. – Alors... pourquoi se font-ils la guerre ? – Parce qu’ils n’ont pas le même nez. (..)
À partir de ce jour-là, j’ai commencé à regarder le nez et la taille des gens dans la rue. Quand on faisait des courses dans le centre-ville, avec ma petite sœur Ana, on essayait discrètement de deviner qui était Hutu ou Tutsi. On chuchotait : – Lui avec le pantalon blanc, c’est un Hutu, il est petit avec un gros nez. – Ouais, et lui là-bas, avec le chapeau, il est immense, tout maigre avec un nez tout fin, c’est un Tutsi. – Et lui, là-bas, avec la chemise rayée, c’est un Hutu. – Mais non, regarde, il est grand et maigre. – Oui, mais il a un gros nez !"
                    Gael Faye.

Achevant sa biographie d'Erasme, Stéphane Zweig écrit: « Ils seront toujours nécessaires, ceux qui indiquent aux peuples ce qui les rapproche par-delà ce qui les divise et qui renouvellent dans le cœur des hommes la croyance en une plus haute humanité.» Il aura sans doute manqué un Erasme, ou un Zweig, à notre époque troublée.


Lu dans:
Stefan Zweig. Erasme. Grandeur et décadence d'une idée. Traduction d'Alzir Hella. Grasset 1935. Le Livre de Poche 14019. 185 pages. Extrait p.9
Gaël FAYE. Petit pays. Grasset. 2016. 224 pages. Extrait p 7

Instants avant l'orage


"Rien de plus doux que ce moment où le soleil décline derrière la crête des montagnes. Le crépuscule apporte la fraîcheur du soir et des lumières chaudes qui évoluent à chaque minute. A cette heure-ci, le rythme change. Les gens rentrent tranquillement du travail, les gardiens de nuit prennent leur service, les voisins s'installent devant leur portail. C'est le silence avant l'arrivée des crapauds et des criquets. Souvent le moment idéal pour une partie de football, pour s'asseoir avec un ami sur le muret au-dessus du caniveau, écouter la radio l'oreille collée au poste ou rendre visite à un voisin."
            Gael Faye

Lignes de bonheur tranquille, dans un petit pays bientôt déchiré par les massacres ethniques: quelques semaines plus tard commençait la "saison des machettes" au Rwanda, bouleversant l'existence quotidienne de son modeste voisin le Burundi. Lignes écrites d'un monde oublié, avec ses instants joyeux, "discrets comme des filles de bonnes familles: le parfum de citronnelle dans les rues, les promenades le soir le long des bougainvilliers, les siestes l’après-midi derrière les moustiquaires trouées, les conversations futiles, assis sur un casier de bières, les termites les jours d’orages..."  On peine à imaginer que ces vies simples, ce train-train, ces bonheurs qui ne cherchaient qu’à le rester aient pu déboucher en quelques heures sur la destruction d'un ethnie par une autre, et l'exil pour beaucoup aux quatre coins du monde. Et si notre bonheur était tissé de la même fragilité? Cultivons ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous divise.

Lu dans:
Gaël FAYE. Petit pays. Grasset. 2016. 224 pages. Extrait page 81

07 septembre 2016

Choses entendues à l'entracte


"En janvier, la chancelière se rend avec son mari au concert d'un pianiste italien, à Berlin. Juste derrière eux est assis une vieille connaissance : le pasteur Rainer Eppelmann, cofondateur du Renouveau démocratique, le premier parti où elle s'était engagée en 1989 après la chute du Mur. Ils se saluent à l'entracte. Eppelmann lui dit : " Je sais que tu es dans une situation difficile avec les réfugiés. Je te laisse méditer cette phrase de Vaclav Havel qui me faisait du bien en Allemagne de l'Est... " Il lui récite de mémoire la phrase de l'ancien dissident et président tchèque. Elle prend l'air pensif et part se rasseoir. A la fin du concert, Angela Merkel revient vers lui. " Tu peux me redire la phrase de Havel ? " Le pasteur la lui répète : " L'espoir, ce n'est pas la conviction qu'une chose se termine bien, mais c'est la certitude que cette chose fait sens, quelle que soit la manière dont elle se termine. " Angela hoche la tête et lui dit merci."

La chose politique est faite de grandes décisions mais aussi de petites rencontres et influences. Une récente série du Monde consacrée à la chancelière Angela Merkel est éclairante sur les fondements de certains choix parfois incompréhensibles, qui pourraient être lourds de conséquences électorales. Nous ne sommes pas (encore) gouvernés par des ordinateurs en réseau, mais par des être humains qui échangent quelques mots à l'entracte, et c'est heureux.

Lu dans :
Marion Van Renterghem. Globale Mutti. Le monde 4 septembre

Tendres liens


« La menace pourrait-elle être une contrainte forte et la promesse une contrainte douce ? "
Céline Minard


... "ce sentiment funeste et doux, l'espérance", décrit par Raymond Aron qui rapporte que dans les premiers camps de la mort, un prisonnier était libéré chaque jour pour bonne conduite. A lui seul, il remplaçait utilement les barbelés, les clôtures et les miradors.  

Lu dans:
Céline Minard. Le grand jeu. Rivages. 2016. 192 pages.

06 septembre 2016

Un nectar


"C'est tout à fait délicieux de penser qu'on peut être un régal pour les vautours. "
        Claude Régy

"Ce qui est intéressant chez le vautour c'est qu'il est dit très précisément qu'il commence par l’œil, qu'il trouve délicieux. Et ayant fini ce premier hors-d’œuvre qui est un régal, il nettoie complètement l'orbite à coups de bec et c'est par ce trou parfait qu'il atteint le cerveau, qui est un autre plat qu'il apprécie particulièrement. Et, ayant nettoyé la boîte crânienne, il commence à s'attaquer à toutes les parties du corps et c'est seulement quand il ne reste que les os qu'il a l'idée de les emporter très haut dans son vol et de les fracasser sur les rochers, là en bas, pour pouvoir délivrer la moelle et pouvoir se nourrir de la moelle qui est encore une fois un mets délicieux."

En voilà un qui n'est ni pour le fastfood, ni pour la malbouffe. Un vrai symbole de savoir-vivre pour notre époque, et ce rapace en devient sympa.


Lu dans :
Claude Régy. Du régal pour les vautours. Les Solitaires Intempestifs. 2016. 96 pages

04 septembre 2016

La miette de bonheur

"Elle arrive à l'improviste,
elle dure autant que les cercles dans l'eau après la pierre,
elle interrompt les pensées, la mélancolie,
elle est sans réservation, sans rendez-vous,
la mystérieuse miette du bonheur.
Celui qui la reconnaît trop tard
elle était là     il ne la connaissait pas
Il veut souffler dessus mais inutile
l'étincelle de la braise ne repart pas
La miette de bonheur
la voici, c'est maintenant."
    Erri de Luca.


Lu dans:
Erri de Luca. Le plus et le moins. NRF Gallimard. Traduit de l'italien par Danièle Valin. 2013. 197 pages. Extrait p.195

03 septembre 2016

Le lexique des gens heureux

"Mamihlapinatapai"
  en yagan (langue amérindienne parlée en Terre de Feu)

Un des mots les plus difficiles à traduire qu'on connaisse. Il signifie "un regard échangé entre deux personnes dont chacune espère que l’autre va prendre l’initiative de quelque chose que toutes deux désirent, sans qu’aucune des deux y parvienne". Peut précéder "fargin", en yiddish, "la joie ressentie par quelqu’un à qui il arrive ou peut arriver quelque chose de bien". Peut aussi ne déboucher sur rien du tout, ce qui nourrit la mélancolie d'être passé à côté d'un bonheur possible.

Chercheur en psychologie positive appliquée à l’université de Londres-Est, Tim Lomas a lancé en janvier 2016 le lexicography positive project , un dictionnaire en ligne de mots « intraduisibles » décrivant le bonheur. L’idée lui est venue lors d’une conférence en Floride sur le mot situ, terme finnois qui désigne la ressource face à l’adversité, le courage et la ténacité, valeur partagée par tous les Finlandais, très importante dans le pays. Ce lexique en soixante-deux langues couvre toutes les nuances de l’amour et de l’affection. Certains mots intraduisibles manquent cruellement en français, comme l’allemand Vorfreude : l’anticipation joyeuse de celui qui imagine un plaisir futur. Dans ce dictionnaire en ligne, où les internautes peuvent proposer des mots et affiner les définitions, Tim Lomas réfléchit à ces mots qui pourraient exprimer des nuances que les autres langues ne connaissent pas. Le français est présent avec retrouvailles », qui n’existe pas par exemple en anglais, ou encore s’apprivoiser ou coup de foudre. Lomas rappelle que nous faisons déjà assez naturellement des emprunts à la langue du voisin. Savoir-faire est utilisé tel quel en anglais, de même que joie de vivre.


Lu dans:
Jean-Michel Déprats. Traduire Shakespeare. Le Monde diplomatique. septembre 2016. Extrait p.27

01 septembre 2016

Le foyer de tous nos rêves


"Chaque rond-point nous connecte avec le monde, dont il devient en quelque sorte le centre ou plus exactement le point originel. Par exemple, à partir du rond-point installé sur la D 6202, sortie nord du Plan-du-Var (06670), n'importe quel automobiliste peut se rendre à Brest, Sunndalsera, Mys-Kamenny, Dzerzhinskoye, Magadan, Dongtun, Gwangju, Pyam, Airgiin-Enger, Budhan Bhath, Thorame-Haute, Makshosh, Ezbet EI-Malah, Gabela, Thaba Bosiu, Rutba, El Khaoucha, Yvetot, Alcala-de-Ios-Cazules. Pokhara, Pontebernardo, Koluszki, Livron, Nankin, Andong, Saint- Pourçain-sur-Sioule. "
    Jean-Michel Espitallier

On rentre, jour +1. Retrouvailles bruyantes aux arrêts de bus, point de départ de tous les là-bas, de tous les ailleurs. On ralentit le pas pour mêler sa voix à ces bruissements joyeux, qui racontent autant les souvenirs de vacances qu'ils dessinent les rêves d'une année, d'une vie. Tisser le partage de nos existences à l'attente de nos ados pour les aider à quitter leur rond-point en toute confiance vers de lointaines destinations ne s'improvise pas, et nécessite de bannir les peurs inutiles et les mots d'exclusion. 


Lu dans:
Jean-Michel Espitallier. Tourner en rond. De l'art d'aborder les ronds-points. PUF. 2016. 128 pages. Extrait p. 120,121