31 décembre 2015

Une année quittée en catimini

Quand on lui a demandé :
    Qu’est-ce que l’espoir,
il a dit « Le rêve d’un homme réveillé »
            Aristote  (384 av. J.-C. – 322)

Étrange impression: le grand corps malade paraît s'assoupir avant la fête, soudain le téléphone sonne moins, les patients semblent s'excuser avant d'entrer, promettant de faire bref. Ultimes prescriptions d'une année qui fut riche en joies, en inquiétudes et en souffrances. Un labeur de fourmi qui, une année de plus, fut mon bonheur. Je peine à reconnaître le visage de cette médecine qui a tant évolué en l'espace d'une existence, j'apprécie les potentialités de guérison qu'elle nous apporte au quotidien. Il est raisonnablement permis aujourd'hui d'espérer une vie sans connaître la souffrance incontrôlée, l'étouffement des grandes crises d'asthme nocturne, les grandes mutilations chirurgicales, les délabrements des membres gangrenés.  Et quand la médecine n'en peut plus, on peut aussi mourir en paix si on le souhaite, sans qu'on vous l'impose ni l'interdise. J'aime les rues de mon village dans la ville s'éveillant le matin quand ma tournée commence, et la paix de mon bureau quand le dernier patient en referme la porte. Les soirs comme aujourd'hui, on y entend l'écho d'une douce musique, l'espérance rendue à ceux qui l'ont perdue et qui transforme une vie.  


Je vous souhaite une bonne année 2016.
        

24 décembre 2015

Calligraphie de l'être aimé

"Depuis, Maître Kuro a renoué avec l'art subtil de la calligraphie.
Il a retrouvé l'équilibre entre le plein et le délié.
La lenteur et la fulgurance.
La fermeté et le relâchement.
Le yin et le yang.
Et sait désormais,
comme Yuna le lui enseigne chaque jour avec tant de délicatesse,
que la plus belle des calligraphies est celle que l'on écrit à l'encre de ses doigts,
tel un tatouage sensuel et éphémère,
sur la peau de l'être aimé. "
        Maxence Fermine

 

Je vous souhaite une joyeuse fête de Noël
CV.
 
Lu dans:
Maxence Fermine. Zen. Ed. Michel Lafon. 2015. 141 pages. Extraits p 134

22 décembre 2015

La calligraphie comme un souffle

"Être attentif à une branche prise dans le vent du matin  
observer le mouvement de la brume et des nuages
vivre les lieux        respirer les parfums de la nature
saisir l'instant
puis s'enfermer dans son atelier  
et reproduire en un trait unique les nuances de la réalité
art de l'éphémère         cristallisé dans un mouvement d'éternité
trouver l'équilibre entre les pleins et les déliés        la lenteur et la fulgurance
Calligraphie        écriture de la beauté."
            Maxence Fermine

Passer des heures à confectionner des origamis, assembler des fragments de céramique, faire du scratch-booking, tailler ses rosiers, déglacer les sucs de cuisson d'un gibier rôti, ciseler les mots pour qu'ils tiennent en trois phrases, mouiller l'aquarelle, cueillir la note juste au bout de l'archet: à chacun son langage pour calligraphier sa vie. 



Lu dans:
Maxence Fermine. Zen. Ed. Michel Lafon. 2015. 141 pages. Extraits pp. 15, 24 

Dernier voyage


"Je porte sur mon dos les montagnes du monde
mon front s'est creusé de tous les sentiers sur lesquels j'ai marché
tu peux entendre dans ma voix les grondements de la terre
et voir dans mes yeux l'eau de toutes les mers..."
            Séverine Gauthier

C'est l'histoire d'un grand-père et d'un enfant, grands voyageurs. Le grand-père est las, il ne peut plus avancer, il va partir pour son dernier voyage, sans l'enfant. L'enfant décide alors de faire appel au vent le plus puissant, qui peut soulever des montagnes. Lui saura faire avancer son grand-père. Poésie de la littérature enfantine.



Lu dans:
Séverine GAUTHIER et Amélie FLECHAIS. L'homme montagne. Delcourt jeunesse. 2015.

20 décembre 2015

Regrets inutiles

"Regretter, c'est prendre des décisions au passé".
        Timothy Ferriss

Rétrospective-ci, bêtisier-là ça sent l'année qui clôture. Ce qu'on aurait pu faire et qui ne le fut n'est plus, est-ce bien la peine d'encore s'en tourmenter? Dans l'agenda qu'on ferme et range, il est des choses qu'il est avisé d'oublier, demain vaut mieux que cela.  


Lu dans:
Timothy Ferriss. La semaine de 4 heures. Pearson. 2010. 390 pages. Extrait p.308 

19 décembre 2015

Rêver avec Scala

"Mais les rêves, tous ces rêves que l'on ne faisait plus
Mais les rêves, tous ces rêves que l'on croyait perdus
Il suffit d'une étincelle pour que tout à coup
Ils reviennent de plus belle, les rêves sont en nous.
Les rêves sont en nous... "
    Pierre Rapsat

Court moment de pur bonheur. Scala chante ce vendredi soir dans l'église dont chaque jour j'entends les cloches, rythmant nos vies. On est au cœur d'Anderlecht, pas toujours ma belle, et je ne sais plus si j'ai cinq ans ou soixante à contempler la superbe collégiale rénovée, dont les piliers tremblent ce soir sous les basses d'Hooverphonic, rêvent avec Pierre Rapsat et mêlent les mains et les épaules d'un public bonhomme qui reprend avec une joie non-dissimulée en final Ik hou van U/Je t'aime tu sais/Geef me een kus/Embrasse-moi. La surprise de ce final insolite est totale. Durant une heure trente, le spectacle s'est inséré dans son époque par ses jeux de lumière, ses sons et ses rythmiques, ses militaires pas bisounours à l'entrée rappelant qu'on est en état d'alerte 3 et que le Bataclan est toujours possible. Pour déboucher soudain sur un de ces moments de folie pure où on se souvient - l'aurait-on oublié - qu'on est sur les terres de Breughel, de Magritte et de Folon. Durant quelques brèves minutes, on croit "à la beauté qui sauvera le monde" et on se prend à rêver avec Erri de Luca d'une terre qui un jour fonderait sa sécurité sur les désarmés, veillant jour et nuit les uns sur les autres avec bienveillance. Un dernier rappel, face à un public debout souhaitant prolonger l'instant, évoque que "sur cette étrange mappemonde / où le plus beau côtoie l'immonde / même si l'on est différent / il faut savoir traverser le temps / et vivre les mêmes émotions / ensemble, ensemble."   
Les rêves sont en nous, il est bon, parfois, un court moment, de se les autoriser. 
  
 
Lu dans:
Scala chantait à la collégiale Saint Guidon, à Anderlecht, ce vendredi 19 décembre 2015 à 20 heures.
Pierre Rapsat. Les rêves sont en nous.
Pierre Rapsat. Ensemble.  

18 décembre 2015

Voix

"Ta voix soigne les blessures
Elle est route et lumière
À la clairière du ciel."
Giovanni DOTOLI 

16 décembre 2015

Un destin d'étincelle


"L'étincelle ne sait pas si elle vient de l'enclume ou du marteau."
            Marcel Havrenne

Lu dans:
Marcel Havrenne. Du pain noir et des roses. Ed Phantomas. 1984. 84 pages. Extrait p.29

Les sons du silence

"La proximité, en musique et ailleurs, exige cette sorte de silence intérieur qui laisse en nous la place pour la voix de l'autre."
            Jean-Marc Besse

"Il existe bien des sortes de silence. Il y a par exemple le silence que les pouvoirs font régner pour des raisons politiques, le silence de la réprobation morale ou religieuse, le silence complice qu'on impose à autrui au nom de l' omerta. Ce sont des silences contraints, dont l'objectif est l'interdiction de toute parole, voire la terreur du langage. Il y a aussi le silence de la satiété, de la satisfaction du désir de l'apaisement, du bonheur sans paroles ni bavardages. Un silence de l'intimité sans inquiétude. On connaît aussi le silence de la fin, quand tout s'arrête par impuissance ou manque de volonté ou  d'énergie. C'est le silence du «il n'y a plus rien à dire ». Mais il existe aussi une quatrième forme de silence, celui du recueillement qui accompagne l'écoute. Écoute de l'autre et écoute de soi. Dans cette relation entre le silence et l'écoute, relation qui laisse venir la parole, il est possible de trouver un lieu d'habitation. Le silence ne s'oppose pas à la parole, mais plutôt au bavardage, à ce qu'on appelle aujourd'hui la communication, c'est-à-dire à une espèce de nappe bruyante de mots qui nous entourent sans but ni fin et qui nous mettent littéralement hors de nous. Pouvons-nous réellement habiter dans ce que David Le Breton appelle justement cette « ébriété de paroles», dans cette injonction à tout dire et tout montrer, dans cette exposition généralisée aux bruits et aux images qui ne nous laissent aucun repos ni retrait? Écoute-t-on seulement quelque chose dans cet univers de la parole parlée? Regarde-t-on vraiment ce qu'on nous jette aux yeux? Constamment sollicités, excités par un déferlement kaléidoscopique de sons et d'images se succédant sans relâche, nous sommes toujours en retard par rapport à ce qui vient de disparaître."
 


 
Lu dans:
Jean-Marc Besse. Habiter un monde à mon image. Flammarion. 2013. 254 pages. Extrait p.51, pp 168-169
David Le Breton, Du silence, Paris, Métailié. Collection. Traversées). 1997, 292 pages Extrait p. 11

14 décembre 2015

La stupeur d'être

"La vie est-elle
un instant âpre arrimé au hasard
un instant succulent dérobé au malheur
un instant imprécis tendu vers sa fin
l'instant où le néant se fait tout  (..)
la vie
n'est que l'impossible accompli."
        Pedro VIANNA
 



Lu dans:
Pedro Vianna. Tout instant est l'instant. 2006-2008. Livre XXXVIII. En toute nudité 

12 décembre 2015

"Si je pouvais rencontrer le jeune homme que j’étais, j’aimerais qu’il puisse avoir envie de me serrer la main. "
            E. de Luca
  

11 décembre 2015

Aphorisme vole


"L'argent, c'est coûteux."
    J. Jarvis

Non-sense. Trois mots lus le matin qui le soir voletaient encore, m'ayant fait évoquer tout et son contraire. Ce matin au lever, coucou qui voilà: je leur ouvre la cage.



Lu dans:
Jeff Jarvis. La méthode Google. Que ferait Google à votre place? Préface de Franck Riboud. Ed Télémaque 2009. Pocket 14806. 510 pages. Extrait p.83

10 décembre 2015

Le pigeon

"Du campement tzigane de Nanterre,
ce qu'on voyait le mieux,
c'était la grande arche de la Défense.
C'était la misère,
les enfants marchaient pieds nus l'hiver
au milieu des rats, pas d'eau ni d'électricité,
et pas toujours quelque chose à manger,
et ce monument gigantesque éclairé
la nuit par des projecteurs est baptisé:
"L'Arche de la fraternité"
            Alexandre Romanès

Perché sur la bouche de cheminée du voisin, un pigeon se réchauffe, partisan d'une réutilisation rationnelle de l'énergie. Dans les sous-sols du complexe de la Défense, à Paris, une armée de sans-abris occupe dès la fermeture des bureaux les réduits techniques, escaliers borgnes et espaces de rangement déshabités, en quête d'un peu de sécurité et de chaleur pour la nuit. Jour. Nuit. Deux mondes cohabitent dans le même espace géographique, sans que jamais leurs regards ne se croisent. La vision du pigeon m'amuse. L'autre moins.


Lu dans:
Alexandre Romanès. Un peuple de promeneurs. Histoires tziganes. NRF Gallimard. 2011. 128 pages. Extrait p.99

09 décembre 2015

La vie comme elle se décrit

"Foi en cette humanité
ni tout à fait barbare
ni tout à fait humaine
se perdant
se retrouvant
trébuchant
se relevant
marchant sur sa corde raide
mais marchant
connaissant ses limites
les repoussant
succombant aux ruses de l'Histoire
les déjouant
amnésique
et férue de mémoire
Cette humanité-là
mon unique peuple."
         Abdellatif Laâbi

Etonnant contraste. D'un côté le récit médiatique autour de la victoire du Front national en France, éventail d'opinions tranchées et sous-titrées par la mention de l'appartenance politique des locuteurs. Un microcosme dont les acteurs sont beaux, bien coiffés, bien habillés, s'expriment avec élégance. De l'autre côté les récits de vie des patients rencontrés en consultation cet après-midi, pas beaux, mal attifés, s'exprimant en un langage stéréotypé, bredouillé, entrecoupé de "que dirais-je" et de "je dirais même plus", mais dont chaque mot est significatif d'un vécu unique. Je ne connais ni leur appartenance politique, ni leurs sympathies pour les cadors qui nous gouvernent, et pourtant ils expriment mieux que quiconque les échecs, les convictions, les préoccupations pour le lendemain qui - en soi - constituent la substance de la chose publique. Comme l'écrit Laâbi, j'aime cette humanité-là.




Lu dans:
Abdellatif Laâbi. Zone de turbulences. Clepsydre. Editions de la Différence. 2012. 112 pages. Extrait p. 99 

08 décembre 2015

Humeur Bleu marine

"À ceux que je croise je demanderai
Avez-vous vu l'image d'une femme
qui a sauté d'ici
ou de là?
Peut-être se moqueront-ils
et comme eux je rirai de mon désarroi
puis retournerai là d'où je viens
au siège encore vide
au rêve encore chaud
au temps où il était encore possible
de monter dans l'ultime compartiment du dernier train."
         Chawqi Baghdadi (1928- , Damas)

   
Lu dans:
Chawqi Baghdadi. Calme du soir. Trad. Claude Krul. ©Alidades. Les Poètes de la Méditerranée. Gallimard Poésie. 2010. 955 pages. Extrait page 187

07 décembre 2015

Saveurs modestes

"On n'est jamais aussi heureux que lorsqu'on n'avait pas prévu de l'être."
        Monique Proulx


Il est humble, pauvre, vieux, et relève d'une longue danse avec la mort. Un flat social au Soleil d'Automne l'abrite, où je me rends chaque mois sans déplaisir. L'air embaume d'un fumet de lapin à la gueuze qu'il mitonne depuis tôt le matin. Demain ce sera un petit jambonneau sur choucroute avec saucisson: le temps passe vite quand on est aux fourneaux! Il nourrit le pigeon qui a trouvé abri au bord de sa fenêtre puis retourne à son documentaire animalier sur Ushuaïa TV. Il bénit la saveur du jour, sans attentes extravagantes ni regrets inutiles, l'hiver est doux cette année n'est-ce pas docteur?  


Lu dans :
Le coeur est un muscle involontaire de Monique Proulx. Ed Boréal. 2002. 408 pages. Extrait p.146

05 décembre 2015

Musique sublime


"Il y a des fréquences illégales sur le disque. J’ai testé le truc pendant des concerts, au cours des entractes, on le passait doucement pour voir ce qui se passerait, et il s’est produit exactement ce que je pensais : bagarres, beaucoup d’irritation, c’était fabuleux!»
        Lou Reed, évoquant Metal Machine Music

On ne doit pas avoir du mot fabuleux, ni de la musique qui adoucirait les mœurs,  la même compréhension. Parmi ses nombreux synonymes (éblouissant, admirable, allégorique, énorme...) il n'en est qu'un qu'on  puisse lui accoler dans le cas présent: stupéfiant, pas comme qualificatif, mais comme les nombreuses substances prises par Lou Reed, « prince de la nuit et des angoisses », comme l'appela Andy Warhol.  Aujourd'hui, Metal Machine Music voit une reconnaissance et une légitimisation tardive, utilisé comme fond sonore d'expositions de musées ou repris sous la forme d'albums hommage. 


Lu dans :
Didier Zacharie. Disques maudits. Le soir 6 août 2015

04 décembre 2015

Un chiffon sur le visage


"Aquarelle
symbiose entre l'eau, la couleur et la lumière
qui n'en font des fois qu'à leur tête."
        Marie-Hélène Dechambre

Comme le chiffon mouillé révèle l'aquarelle, il suffit de quelques larmes pour embuer tout un paysage. L'artiste capte cet instant fugace et en fait du bonheur. L'aquarelle est une émotion devenue beauté.

02 décembre 2015

Glacis cocon

"A défaut de soleil, sache mûrir dans la glace".
        Henri Michaux

Après avoir vécu la promesse des blés, des grappes et des ruches ondulant au soleil, découvrir la vie qui sourd sous la neige au premier printemps nous préserve à jamais contre l'esprit chagrin. Un jour on découvre qu'on est tout cela à la fois, tantôt exubérance, chaleur, couleurs, musique, danse, tantôt patience, lenteur, pâleur, humilité, silence, et que toute existence n'est que séquences. Ce jour-là des blés soudain surgit une alouette: c'est nous, elle chante et rien ne sera plus comme avant. 

        

01 décembre 2015

Je t'écoute respirer

"Respirer, c'est expulser de soi un air ancien pour laisser entrer en soi un air nouveau. Au plus profond de moi, il y a un mouvement constant de remplacement qui est la vie même, mouvement rythmé d'entrée et de sortie du monde en moi et de moi vers le monde."
         Jean-Marc Besse

Une vie passée à respirer, et pas que de l'air. J'écoute, je parle. Je lis, j'écris. Je regarde, je peins. Tout ce qui nous pénètre nous féconde, on absorbe des fleurs, on reproduit des fruits. Notre cerveau aussi respire, expulsant les pensées anciennes, vieillies, usées, pour se nourrir de concepts nouveaux, créatifs, revigorants. Je respire donc je suis. 



Lu dans:
Jean-Marc Besse. Habiter un monde à mon image. Flammarion. 2013. 254 pages . Extrait page 250

La parole vraie

"Il faut se méfier des interprétations hasardeuses. De l'Autre je recevrai toute parole comme un signe de vérité. Et lorsque je parlerai, je ne mettrai pas en doute qu'il reçoive pour vrai ce que je dirai."
Roland Barthes

Se pourrait-il que ce soit si simple? Habiller les mots de signes, interpréter les paroles d'autrui en fonction des sentiments du moment, les nôtres ou ceux que nous lui prêtons, peut constituer un piège dans la relation. On connaît l'histoire des deux cravates, une rouge une bleue, offertes par une mère à son fils. Il met la rouge et le fait remarquer à sa mère qui lui répond: "je m'en doutais, tu n'aimes pas la bleue." On sourit, mais combien d'existences gâchées par la répétition de ce scénario?


Lu dans:
Roland Barthes. Fragments d'un discours amoureux. Seuil. 1977