31 janvier 2015

A l'écoute des monstres

"Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres."
        Antonio Gramsci

Comme l’écrivait déjà Voltaire en 1764 dans son Dictionnaire philosophique, « il est plus difficile qu’on ne pense de définir les monstres», le mot latin monstrum signifiant simplement présage sans connotation péjorative. Le monstre est de manière plus générale un individu qui par certaines de ses caractéristiques propres se démarque de façon significative de ses congénères, la monstruosité proprement dite n'étant pas forcément négative, mais se révélant parfois être un gain par rapport à une norme commune. Poussé à sa limite Albert Einstein, par exemple, de par ses capacités intellectuelles hors-normes pourrait être considéré comme un monstre. Ou ces tamagotchi dotés d'une intelligence artificielle telle qu'ils nous dépasseront un jour, non-limités comme l'être humain par le poids et le lenteur de sa nature biologique. Quand le soir tombe, la tête au repos, il me plaît de prêter l'oreille à ces monstres.

Lu dans :
Anne-Sophie Novel. De la lucidité. in Olivier Le Naire. Nos voies d'espérance. Actes Sud. LLL.  229 pages. Extrait p.64

29 janvier 2015

La couleur d'origine

Pour retrouver le rose initial
De ta joue, devenue pâle
Le bleu de nos baisers du début
Tant d'azur, perdu
Passez notre amour à la machine
Faites le bouillir
Pour voir si les couleurs d'origine
Peuvent revenir
Est-ce qu'on peut ravoir à l'eau de Javel ?
Des sentiments
La blancheur qu'on croyait éternelle
Avant
        Alain Souchon . L'amour à la machine

Une pépite parmi les mails, postée ce matin par un patient-ami. "J'ai été opéré de la cataracte de l'oeil droit - c'est extraordinaire de voir les couleurs beaucoup plus vives qu'auparavant et aussi de découvrir certains détails. J'ai l'impression de voir le linge plus blanc que blanc même sans Javel - mais aussi le tapis de neige samedi dernier. C'est même émotionnant, je vois la vie autrement." L'après-midi, un autre patient me décrit la palette sonore redécouverte grâce à sa récente prothèse auditive. Un opéré du pancréas me demande de transmettre ses remerciements au personnel hospitalier, "cette multitude de vêtements blancs qui gravitent au huitième nord. Merci pour les sourires et les paroles de réconfort, merci pour les explications nécessaires, pour le soin apporté aux soins." 
Deux mondes cohabitent. L'un paraît en permanence au bord du gouffre, chaotique, en ébullition permanente; on s'y branche dès notre lever, avide de saisir dès l'éveil la rumeur de la planète. L'autre, plus intimiste, distille ces perles qui font du bien et qu'il nous faut capter avec soin dans nos boîtes à messages, conversations, silences. Il me plaît à imaginer la multitude de ces semences d'espoir silencieuses, modestes, infinitésimales multipliées par l'infinité des hommes qu'elles atteignent. Face au chaos, ce sont sans doute elles qui maintiennent au monde une forme de cohésion. 

Ce qu'un lit peut dire

"Le lit a été fait comme il faut
et les vieilles mains passent
en un rite discret
sur le revers bien blanc du drap
c'est un geste qui ne sert à rien
et l'oeuvre sera détruite ce soir
comme tous les soirs innombrables
c'est un geste indispensable
quand plus personne ne le fera
un monde aura pris fin.
La croyance dans les lits bien faits
le désir du paradis
propre, lisse, blanc
les certitudes d'un siècle
les vieilles mains caressent le drap
doux au toucher."
             Murièle Camac. Sanctuaire

Lu dans :
Murièle Camac. Sanctuaire. La mer devrait suffire.-éd. Henry, 2014. - 114 p. 

28 janvier 2015

Moment propice

"Dans chaque conflit, il y a toujours, au moins, quelques secondes où les rivaux sont d'accord, et si, à ce moment opportun, ils s'en ouvraient l'un à l'autre au lieu de continuer de se renifler, une entente, inespérée, pourrait en résulter. "
         H. Grémillon

Moment d'équilibre parfois dû à un état d'épuisement partagé, ou à un événement si neuf qu'il modifie toutes les données du problème. Miracle s'il se trouve à ce moment des humains pour capter l'instant. 

 
Lu dans:
Hélène Grémillon. Le confident. Folio 5374. Plon Jc Lattès 2010.317 p. Extrait p 248

27 janvier 2015


"Quand on met les soldats dans la rue et les sans-abris dans les casernes c'est que vraiment le monde change."
        La Une. Dimanche 25 janvier.


25 janvier 2015

Le temps qui glisse


"Maintenant les années ont passé
Et j'ai des jours heureux
Mais il suffit d'un parfum
D'un air et ..
Mon coeur se serre
Parfois d'aller dans les rues d'avant
Tu sais mon coeur se fend
Souffrir de se souvenir
Voilà le délice
Et je chante la douleur exquise
Du temps, du temps qui glisse
Souvent de fermer les yeux
De partir autrefois
Ça me rend malheureux
Et heureux à la fois
Comprenez-ça
Ainsi la joie et les sourires
Sont aux larmes mêlés
Souffrir de se souvenir
Voilà le délice
Et je chante la douleur exquise
Du temps, du temps qui glisse."
         Souffrir de se souvenir. Alain Souchon, Laurent Voulzy

Leurs visages, rires et pleurs mêlés, sont autant de paysages. Nos petits-enfants déroulent à nos pieds le futur et nous ramènent en même temps des brassées d'images passées, de jeux retrouvés, de livres de contes, de vagues, du vent, du sable, du chocolat chaud moustachant les lèvres, des granulés au chocolat tombant du pain en pistes de fourmis sur la nappe. Ils investissent le temps présent avec une telle légitimité qu'insensiblement nous devenons des occupants du balcon, des guetteurs de signes ou de souvenirs. Se méfier de la nostalgie, ce sentiment si doux pour le passé, si aigre pour l'avenir.

Vote en mer Egée


"D'abord il y eut la mer
je suis né entouré d'îles
je suis une île surgie
le temps de voir la lumière
dure comme la pierre
et puis sombrer.
Les montagnes sont venues après
je les ai choisies
il fallait bien que je partage un peu le poids
écrasant ce pays depuis des siècles."
        Titos Patrikios. Mai 1968

La plus ancienne démocratie vote ce jour. Petit Poucet européen, à qui soudain tous s'intéressent, découvrant que voter ne sert pas à rien.


Lu dans:
Titos Patrikios. Mai 1968. Kedros Publishers. trad. Michel Volhovitch. Gallimard
Les Poètes de la Méditerranée. Gallimard Poésie. 2010. 955 pages. Extrait p.199
Le Soir. Jeudi 22 janvier 2015. L’obligation pour la Grèce de rembourser sa dette n’est pas inconditionnelle.

24 janvier 2015

Cantique

Un parfum s'impose      c'est ton nom
joie pour nous
joie par toi
toi que j'aime     moi
raconte-moi où est le pré
là où tu emmènes tes bêtes
là où tu les fais reposer à midi
et je ne serai désormais plus perdue
au milieu des troupeaux de tes amis
        inspiré du Cantique des Cantiques


Lu dans:
Olivier Cadiot, Michel Berder. Le poème. Trad du Cantique des cantiques. Bayard 2002. 80 pages . Extrait pp 12-13

22 janvier 2015

Sagesse de Roumi


« La vérité
ce miroir brisé dont chacun ramasse un fragment
et laisse croire ensuite que toute la vérité s'y trouve »
    Djalāl ad-Dīn Muḥammad Rūmī1 ou Roumi (1207 - 1273)

Roumi le mystique persan, féru de spiritualité, mais aussi le transcripteur des fables d'Esope reprises ensuite par Jean de La Fontaine, a profondément influencé le soufisme. Fréquentant les chrétiens et les juifs tout autant que ses coreligionnaires, il participa au rayonnement de cet âge d'or de la culture islamique dont il fut dit "qu'elle était la Renaissance avant le Moyen Age". Il en reste des écrits fondateurs dans lesquels tout être humain peut se retrouver, particulièrement dans les époques de transition que nous connaissons.

"Sois comme l'eau pour la générosité et l'assistance
sois comme le soleil pour l'affection et la miséricorde
sois comme la nuit pour la couverture des défauts d'autrui
sois comme la mort pour la colère et la nervosité
sois comme la terre pour la modestie et l'humilité
sois comme la mer pour la tolérance
mais surtout veille à paraître tel que tu es
et à être tel que tu parais.


Lu dans:
Jamel Balhi. Les routes de la foi. Le Cherche midi. 1999. Extrait p. 292
Lu dans :
Frédéric Lenoir. Du discernement. in Olivier Le Naire. Nos voies d'espérance. Actes Sud. LLL.  229 pages. Extrait p.96

Une liberté contrainte


" Le cerf-volant, à la fois libre de ses mouvements et en même temps, relié à un fil, prisonnier de celui qui le mène. Assez doux pour t'appeler le maître, assez fort pour t'appeler le fou ».
Léonard Cohen

L'allégorie est belle et l'envie nous prend, entamant une journée professionnelle tissée de contraintes, de sortir le cerf-volant de la cave poussiéreuse où nous l'avons abandonné depuis de longues années pour rejoindre les moines de Lhassa, qui en ont fait un exercice de prière. 


Lu dans:
Jean-Dominique Brierre, Jacques Vassal. Léonard Cohen par lui-même. Ed. Cherche-Midi. 2014. 410 pages. Extrait page 96.

21 janvier 2015

Sagesse de Cat Stevens

"Ce qu'on sait hurle en nous
comme une plaie ouverte
mais moindre
que la douleur de ne pas savoir."
    Cat Stevens . Father and Son

« AlI the times that I cried,
keeping all the things I knew inside
ir's hard, but it's harder to ignore it. »
)

20 janvier 2015

Prière muette

"Oui, écrire ce serait d’abord cela : s’asseoir pour voir se lever le monde dans le jour du langage. Et, d’une voix presque muette — d’un souffle engendré par les mots et qui les porte —, ne cesser de célébrer cette beauté, répétant comme une prière muette cette phrase si simple de Beckett : « Je regarde passer le temps et c’est si beau »
        Jacques Ancet. Un homme assis et qui regarde. 

19 janvier 2015

La nuit intérieure


"Il faut savoir se faire nuit pour éprouver l’étoilement du ciel intérieur."
C.G. Guez Ricord (1948-1988)

Né à Marseille, où il a vécu jusqu'à sa mort prématurée, Guez-Ricord incarne certainement le poète maudit de la fin du XXème siècle, à la croisée de Gérard de Nerval et Antonin Artaud. Comme eux, génie effervescent aux propos et vociférations parfois dispersées à tous les vents, d'une écriture parfois hermétique et difficile à l'image de sa souffrance mentale, il connaîtra des séjours en asile psychiatrique, des périodes de délire, mais aussi, archange, la capacité par l'écriture de se sauver provisoirement.  Sa superbe réflexion sur la nuit et le ciel intérieur étoilé n'en acquiert que plus de signification. Pareils à ces étoiles mortes dont on aperçoit le scintillement de longues années après qu'elles se soient éteintes, ses écrits ont continué lentement, depuis sa mort prématurée, de paraître sous la direction de son exécuteur testamentaire le poète Bernar Mialet.

17 janvier 2015


"C'est parce que je me plante, que je pousse."
            Anne-Sophie Novel

Lu dans :
Anne-Sophie Novel. De la lucidité. in Olivier Le Naire. Nos voies d'espérance. Actes Sud. LLL.  229 pages. Extrait p.60

16 janvier 2015

Ces enfants sont les nôtres


"Cet enfant que je fus s'en vint à moi
Il ne dit mot, nous cheminâmes
chacun fixant l'autre en silence
Des racines nous ont réunis
au nom de ces feuilles qui voyagent dans le vent.
Nous nous sommes séparés
forêt écrite par la terre, contée par les saisons.
Toi, l'enfant que je fus, approche:
quoi, désormais, pour nous unir, et que nous dire?"
    Ali Ahmed Saïd Esber (Adonis), poète syrien (1930 - )

Superbes lignes, contemporaines, écrites sur les bords de l'Euphrate. Ce soir je pleure sur la Syrie, devenue notre fantasme de perdition, quelque part entre l'enfer, Sodome et Gomorrhe. Y être passé s'apparente à une escale à l'île de Molokai à l'époque du père Damien: on en revient lépreux pour la vie. Que ce pays martyrisé, qui abrita une des plus anciennes civilisations de notre histoire, devienne dans notre imaginaire la matrice unique d'où sortent les enragés à la Kalachnikov qui sèment la terreur dans nos villes me dérange.  Ces enfants-là sont les nôtres, nés dans nos villes, nos quartiers proprets ou nos foyers d'habitations sociales. Nous interrogeons-nous assez sur les raisons pour lesquelles ils sont partis un jour, délaissant la sécurité, la protection sociale, le confort douillet d'un pays où ils sont nés, où ils furent scolarisés, où vivent leurs parents, frères et soeurs? Sommes-nous suffisamment inquiétés par l'énigme d'une intégration ratée, le sentiment de rejet qui les habite peut-être, l'absence d'horizon d'existence ou simplement de repères culturels communs? Comme l'écrit joliment Le Clézio dans Le Monde ce matin "le premier souffle de vengeance qui passe les a embrasés, et ils ont pris pour de la religion ce qui n'était que de l'aliénation."
Leur conversion terroriste au retour est-elle aussi univoque qu'on l'imagine? Pour combien d'entre ces gosses perdus l'aventure ne se transforma-t-elle pas en un piège effrayant, dont ils sortirent terrorisés, voire meurtris à jamais?  Les condamner tous sans discrimination à la descente d'avion comme des djihadistes fait peu de cas des errances qui mènent de l'adolescence à l'âge adulte, avec les possibilités de maturation, de réflexion sur son expérience, de renoncement aux chemins de folie qui caractérisent l'aventure humaine. Ce soir, écoutant les bulletins d'information, je guette la parole courageuse qui se tracassera autant du pourrissement de nos quartiers suburbains, de la pénurie de crèches, d'écoles, de centres de santé mentales qui les caractérise, que de l'attraction morbide pour les entreprises suicidaires d'une jeunesse déboussolée. 


Lu dans:
Adonis. De la parole. Éditions de Nulle Part. Trad. Clzawki Abdelamit, Serge Sautreau.  Les Poètes de la Méditerranée. Gallimard Poésie. 2010. 955 pages. Extrait p.199
JMG Le Clezio. Lettre à ma fille, au lendemain du 11 janvier 2015. Le Monde 15 janvier 2015

15 janvier 2015

Différences


"Dans le monde des courses hippiques, le mot handicap indique un avantage."
        M. Andries

Le cheval le plus jeune et le moins expérimenté, ou celui n'ayant terminé qu'une piètre course, se verra retirer du poids pour la suivante, visant à une compétition la plus équilibrée possible. Saine réflexion partagée après un échange sur les potentialités insoupçonnées développées par des non-voyants ou des malentendants dans des domaines inaccessibles aux gens normaux. C'est toute la notion de différence qui se voit ainsi repensée, et c'est stimulant pour débuter sa journée. 


13 janvier 2015

Entre le tout et le presque rien


"Notre vie entière, perdue dans l’éternité, se réduit à ce tranchant aigu, à cette finesse filiforme, à ce trait imperceptible : elle est un tout qui se réduit à rien, et elle est donc Presque-rien.
Aussi est-elle passionnante et infiniment précieuse."
Jankélévitch

On naît, on s'aime, on se perd. D'autres nous entourent, plus jeunes ou plus chanceux, s'imaginant encore éternels. Ce détail de perception crée une sacrée différence. 

12 janvier 2015

Connivence


"Silence
    des soirées de fin d’été
    où l’on écoute ensemble
    unis par l’amitié
    le soleil s’enrouler dans le sommeil pour la nuit. "

Sortir un instant du vacarme et se laisser emporter au terme de sa journée vers la promesse de l'été, le bonheur d'une connivence et la nuit qui vient. A lire ces lignes écrites il y a 2500 ans on rêve à leur auteur dont on aurait pu se faire un ami.   


Lu dans :
Premier Livre des Rois chapitre 19, verset 15-16

11 janvier 2015

Quand la tête tourne


"Le temps tourne. Je tourne et ma tête avec. Il y a comme un vertige, un désordre de mots, scandales, crises, douleur, que d’autres recouvrent, sandales, cris, douceur. Comment s’y retrouver ?"
Jacques Ancet

Cherchant mes mots pour décrire l'incompréhension suscitée par les images de ces trois derniers jours, je préfère citer le traducteur-poète Jacques Ancet. Que pareille violence débouche sur pareille unanimité m'intrigue par son caractère irréel et précipité. En climatologie on évoquerait une tornade, est-ce rassurant? 

10 janvier 2015

Gare aux fous, gare à nous


Que tu pleures     que tu chantes
quelle que soit la couleur de ta peau
pour traverser la tourmente
on est tous sur le même bateau
Gare au vent         gare au grain
gare aux fous     aux casse-cou
qui n'ont pas peur des remous
qui font tout pour couler le bateau
Gare à nous     méfions nous de nous
        Adamo. On est tous sur le même bateau.

09 janvier 2015

Matin de pluie


"Même un chat peut paraître chiffonné au réveil."
    Chantal Dellicour

Certains jours plus que d'autres, dont ce matin. Le ciel pleure à grosses pluies au lever, donnant à la rue une espèce de gravité. Un ami cher m'a envoyé du Benjamin Franklin (Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux) sans commentaire, on s'est compris.  Nos voisins historiques ont été placés ou sont morts, remplacés par Horia, Hinna, Zarina, Mohammed, Emil, Wissem, Wi'am, Logan, Hind, Hakim, Siham. Ils ont conscience que ce qui s'est passé à Paris les concerne autant que nous-mêmes, et même davantage car ils demeurent des Belges tolérés, vaguement suspects. Me reviennent les mots de l’acteur Ben Affleck lors d'un vif débat critique à l’encontre de l’islam: « Etes-vous expert en doctrine islamique? Il y a un milliard de personnes qui ne sont pas fanatiques, qui ne frappent pas les femmes, qui veulent aller à l’école, manger des sandwiches, prier cinq fois par jour et ne font rien de ce que vous dites que font les musulmans. C’est un cliché ». Un mur affiche "C'est l'encre qui doit couler, pas le sang."  Jusqu'ici, dans mon coin de ville à l'arôme de Barbès, les signaux en réponse au massacre de Charlie Hebdo sont positifs. 

Lu dans :
Chantal Dellicour. A quelle fête? Conversion. 2014. 30 pages. Extrait p.6

08 janvier 2015

L'humour est le plus court chemin entre les hommes


«J’ai dit à ma femme : tu jetteras les cendres dans les toilettes, comme ça je verrai tes fesses tous les jours. »
   Georges Wolinski (tué ce jour avec l'équipe de rédaction de Charlie Hebdo à Paris)

Ce soir je serai donc Charlie, appréciant que l'humour, même s'il est trash, est plus fort que la mort. Ils disposaient d'une arme qu'ils utilisèrent sans compter, le crayon de presse, et sans épargner personne. Ils n'étaient pas du monde de Sempé, Royer ou Plantu mais on riait quand même, un peu comme on blaguait potaches durant les années soixante à la récré dans nos collèges, d'un humour un peu vicelard dont les filles et les curés étaient les sujets principaux. Wolinski, redessinant le célèbre dessin de Royer le soir de la mort du Roi Baudouin, lui aurait sans aucun doute fait pincer les fesses, et fait rougir les milliers de personnes qui sont ce soir dans la rue. La provocation a un prix, qu'ils acceptaient de payer le jour où. On ne crie pas impunément "même pas peur" durant cinquante ans à tous les esprits siphonnés qu'on croise en rue, de toutes les chapelles, dans toutes les langues, sans risquer la baffe. Mais qu'il se trouve inlassablement des fous du roi, mesurant le risque encouru, pour crier que celui-ci est nu me rassure. 

07 janvier 2015

La musique, le bois

     "Tailler la matière que sent la main,
ne garder que ce qui est prévu
    pour la qualité de l’œuvre,
    peut-être pour la beauté de l'objet
mais surtout pour la qualité de l’œuvre.
Tailler la courbe que voit l’œil,
cette même courbe qui va de l'outil à la main
tailler et écouter le son que donne à l'oreille
la matière enlevée par le couteau aiguisé.
Toucher, œil, son
    l'obsession est là
la matière taillée répond au plan de l'esprit
et l'esprit sait que l’œuvre sera."
            Philippe Devuyst

Au billet d'hier sur les mots/le bois répond comme en écho ce poème sur la musique et le bois, belle méditation d'un père sur le travail de son fils, luthier. 

05 janvier 2015

La force des mots


"J’ai vu le menuisier
tirer parti du bois
comparer plusieurs planches.
caresser la plus belle
approcher le rabot
donner la juste forme
Tu chantais, menuisier
en assemblant l’armoire
je garde ton image
avec l’odeur du bois.
Moi j’assemble des mots
et c’est un peu pareil.
              Eugène Guillevic

Croire au mots avec la même conviction qu'on travaille le bois. Le dramaturge d’origine libanaise Wajdi Mouawad, est actuellement en résidence à l’UCL sur le thème du conflit. Lors d’un débat il a expliqué avec une rare délicatesse l’importance du langage comme seule possibilité de déminer un conflit, avant qu’il ne soit trop tard et que l’humiliation lance les peuples dans la guerre.  En 2003, il a publié chez Actes Sud une pièce de théâtre tirée "Incendies", et en 2006 une autre appelée "Forêts". Les mots, le bois... 

Texte de guérison


"Avec joie mon intérieur s'apaise.
Avec joie mes membres retrouvent leur force.
Avec joie ma tête devient calme.
Avec joie j'entends à nouveau.
Avec joie je marche.
La lumière en moi, je marche.
Sentant la vie, je marche."
        Extrait de cérémonie de guérison Navajo, chanté et répété en mantra pendant des heures

La fête est finie, on reprend la route. Je cherchais un texte de guérison pour l'accompagner, je l'ai trouvé simple et beau.


Lu dans
Joseph Bruchac. Sagesse des Indiens d’Amérique. Éd. La Table Ronde. Poche. 1995. 114 pages.