28 février 2014

Un enfant naît


"La vie est-elle
un instant âpre arrimé au hasard
un instant succulent dérobé au malheur
un instant imprécis tendu vers sa fin (..)
l'instant où le néant se fait tout 
la vie
la vie
n'est que l'impossible accompli
    Pedro VIANNA


Au creux du fauteuil


"J'ai chez moi le fauteuil de mon père, fauteuil dans lequel il passait ses nuits d’insomnie avant de décéder il y a maintenant 48 ans. Ce fauteuil a ses ressorts amortis par le temps et quand je m'y assied, j'ai l'impression de m'enfoncer dans le passé, de retrouver ce creux, ce manque absolu d'un père perdu bien trop tôt."
Sagesse des souvenirs ravivés
  
Un ami cher répond ce matin à un récent message évoquant la disparition et le souvenir. Emotion, doublée d'une touche de nostalgie en repensant à tous ces creux que les proches laissent dans nos vies en disparaissant. Gratitude aussi pour ces nouvelles techniques de communication et cette époque, si dénigrée par les esprits chagrins, qui nous met en contact dès potron minet avec nos amis et familiers, partageant le meilleur d'eux-mêmes, pour illuminer nos journées. 

27 février 2014

Nonchalance


Allongé sur la pente herbue d'un fossé,
Les coudes dans le champ et les souliers dans l'eau,
Un petit garçon,
Blond,
Regarde par-dessus les blés.
Il pose doucement son menton sur ses mains.
(..) Un brin d'herbe entre les dents.
Il sourit.
Son regard monte, monte, bleu, et se perd dans le ciel d'été.
Très haut,
Très seul,
Un oiseau dessine la vie.
        Christian WEISS

26 février 2014

Bulle


"Il a été pointé du doigt pour son manque de retour sur investisement: 2.7 millions d'euros."

Electrabel? BPost? Twitter? Facebook? Détrompons-nous, cette nouvelle bulle financière prête à exploser n'est autre que le jeune joueur anderlechtois Milivojevic, signalé hors forme lors du match perdu par son équipe le weekend passé. Il partage le sort de son coéquipier Youri Tielemans, 16 ans, lui aussi fatigué selon les commentateurs et le public du stade. Je me réjouis sincèrement ce matin, - connaissant également une baisse de régime inhabituelle, - de n'avoir aucune valeur financière, de ne bénéficier d'aucun article dans la presse, de ne recueillir ni vivats ni quolibets d'un stade en délire et surtout de n'avoir aucun avenir. 

Lu dans:
Une simple baisse de régime qui mène au fond du trou. Le Soir. mercredi 26 février 2014. Extrait p.26

24 février 2014

Un seul être..


"Il est mort mais j'ai eu le sort le plus terrible: j'ai dû survivre".
N. Ferlut.

C'était un ami cher et un homme bon. Trois ans après son départ, son fauteuil vide dégage encore la même tristesse et la même stupéfaction, comme un trou dans la mer qui ne se serait pas refermé. On prétend que personne n'est irremplaçable, quelle sottise.

Lu dans:
Nathalie Ferlut. Conte cruel de Manhattan. Eve sur la Balançoire. Casterman. 2013. 178 pages.

Les petits matins blêmes


"Je me suis réveillé, un morceau de rêve entre les mains,
et n’ai su que faire de lui
J’ai cherché alors un morceau de veille
pour habiller le morceau de rêve,
mais il n’était plus là.
J’ai maintenant un morceau de veillle entre les mains
et ne sais que faire de lui."
        Roberto Juarroz

Etourdis par la folle journée de samedi qui vit la destitution puis la fuite de leur président, la sortie de prison et le retour pathétique d'une rivale affaissée, une foule d'Ukrainiens soudain silencieux prend conscience qu'après avoir tenu en main leur "morceau de rêve" ils se retrouvent avec "leur morceau de veille" sans trop savoir que faire de lui. Le loup en déroute, soudain que de bergers. 

Lu dans:
Roberto Juarroz, Poésie verticale (VI, 64). Traduction de l'espagnol par Roger Munier

23 février 2014

La faculté d'oubli


"Ce qui se passe a sa demeure dans l'oubli."
B. Noël

Une succession de malheurs ont failli l'emporter de chagrin, de culpabilité et d'angoisse du lendemain. Depuis quelques mois elle "perd la tête" et va mieux. La faculté d'oublier est une maladie, ou un remède. Le seul qui reste quand tous les autres se sont révélés inefficients.  

Lu dans:
Bernard Noël. Le livre de l'oubli. P.O.L.  2012 75 pages. Extrait p.16

22 février 2014


"Quel sera mon dernier soupir
    de désespoir
    ou de désir?"
        Charles Dumont

Lu dans :
Charles Dumont, cité par Gabriel Ringlet. Effacement de Dieu. Albin Michel 2013. 297 pages.

21 février 2014

Classieux comme un bichon maltais


"Celui qui sait rire de lui-même n'a pas fini de s'amuser."

Affronté lors d'une visite hier matin un bichon caractériel au poil tout chiffonné, d'une propreté douteuse, baptisé Chanel. La capacité d'autodérision de mes patients est sans limite. 

20 février 2014

Ma liberté


"Ma voiture c'est ma liberté."

On se souvient de ce slogan du Salon de l'auto dans les nineties; il me fit sourire hier. Je retrouve une patiente âgée, que je vis fort démoralisée l'an dernier cloîtrée depuis un an au troisième étage d'un immeuble urbain en raison d'une impotence arthrotique sévère des membres inférieurs. Ce matin elle est radieuse de m'annoncer qu'elle sort désormais tous les jours. Un déménagement du troisième vers le rez-de-chaussée, suivi de la location d'une chaise roulante ont transformé son existence. La vieille malédiction, entendue mille fois, "tu finiras en chaise roulante" ainsi démentie m'a rendu heureux. 


19 février 2014

Laisser être bon


"Tant de douceur au coeur de l'homme
se peut-il qu'elle faille à trouver sa mesure?"
Saint-John Perse

Un proverbe africain suggère que le corps de l'homme est parfois trop petit pour abriter son esprit. La capacité d'aimer, d'admirer, de se dépasser de l'être humain est supérieure à ce qu'il imagine, encore faut-il lui en laisser l'occasion. La fin de vie et l'extrême maladie possèdent ce privilège: faire le cadeau à ses proches de pouvoir être bon et d'exprimer son affection sans mesure ni fausse honte. 

Lu dans:
Philippe Mathy. Sous la robe des saisons. L'herbe qui tremble. 2013. 140 pages. Extrait p 22.

17 février 2014

La leçon des fennecs


"Je suis intrigué. De quoi vivent-ils ces animaux, dans le désert? (..) Je ne résiste pas à mon désir et je suis les traces de l'un d'eux. Elles m'entraînent vers une étroite rivière de sable où tous les pas s'impriment en clair. J'admire la jolie palme que forment trois doigts en éventail d'un fenech, le petit renard des sables. J'imagine mon ami trottant doucement à l'aube, et léchant la rosée sur les pierres. Ici les traces s'espacent: mon fénech a couru. Ici un compagnon est venu le rejoindre et ils ont trotté côte à côte. J'assiste ainsi avec une joie bizarre à cette promenade matinale. J'aime ces signes de la vie. Et j'oublie un peu que j'ai soif ...
Enfin j'aborde les garde-manger de mes renards. II émerge ici au ras du sable, tous les cent mètres, un minuscule arbuste sec de la taille d'une soupière et aux tiges chargées de petits escargots dorés. Le fénech, à l'aube, va aux provisions. Et je me heurte ici à un grand mystère naturel. Mon fénech ne s'arrête pas à tous les arbustes. Il en est, chargés d'escargots, qu'il dédaigne. II en est dont il fait le tour avec une visible circonspection. Il en est qu'il aborde, mais sans les ravager. II en retire deux ou trois coquilles, puis il change de restaurant. Joue-t-il à ne pas apaiser sa faim d'un seul coup, pour prendre un plaisir plus durable à sa promenade matinale? Je ne le crois pas. Son jeu coïncide trop bien avec une tactique indispensable. Si le fénech se rassasiait des produits du premier arbuste, il le dépouillerait, en deux ou trois repas, de sa charge vivante. Et ainsi, d'arbuste en arbuste, il anéantirait son élevage. Mais le fénech se garde bien de gêner l'ensemencement. Non seulement il s'adresse, pour un seul repas, à une centaine de ces touffes brunes, mais il ne prélève jamais deux coquilles voisines sur la même branche. Tout se passe comme s'il avait la conscience du risque. S'il se rassasiait sans précaution, il n'y aurait plus d'escargots. S'il n'y avait point d'escargots, il n'y aurait point de fénechs. "
A. de Saint Exupéry.

Dans un pays dénué, on a rencontré des habitants pauvres et fiers, sages et amicaux comme celui du Petit Prince et qui ont retenu la leçon des fennecs. Alioune qui me lit sourira en observant que sa leçon portant sur le reboisement progressif de la mangrove et de ses palétuviers a franchi le désert et l'océan pour finir dans ce modeste billet. Je retrouve pour ma part avec un bonheur non-dissimulé ma ville, mon quartier, sa froidure, ses senteurs hivernales et sa grisaille, impatient aussi de retrouver les patients et leurs vies si diverses. Rencontrer un guide touristique amoureux de son pays nous fait paradoxalement (encore) mieux aimer le nôtre.

Lu dans:
A. de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard 1939. Folio 21. 183 pages. Extrait pp 133-134

04 février 2014

Sagesse murale

"Il faut bien rêver avant d'agir."
Sagesse murale des tags des faubourgs de Saint Louis (Sénégal)

Un pinceau rageur a biffé le "réfléchir" de ce slogan presque soixante-huitard, et je ne peux m'empêcher de sourire intérieurement. Près de cinquante ans plus tard, mais sur un autre continent, sous les pavés se cache toujours la plage.

Je vous souhaite une bonne semaine d'un bar wi-fé enfumé par les rythmes lancinants d'une Afrique qu'on peine à cerner.

01 février 2014

Sagesse de Hawking


  «Toutes les vicissitudes de notre vie sont des matériaux dont nous pouvons faire ce que nous voulons.»
Novalis

Plongé dans la biographie de l'astrophysicien Hawking, dont j'avais découvert la "brève histoire du temps" il y a une vingtaine d'années, je demeure fasciné par l'effet paradoxal des événements d'une existence. Atteint d'une sclérose latérale amyotrophique qui le paralyse progressivement, il se sent gagné par un  sentiment d'urgence devant sa vie qui soudain semble se retrécir, et la nécessité de ne plus gaspiller son énorme potentiel de créativité intellectuelle, gaspillé jusque là dans un parcours d'étudiant volontiers paresseux. "Auparavant je m'ennuyais profondément et j'avais l'impression que rien ne valait la peine de faire un effort. Un des résultats de ma maladie a été de changer tout ça : lorsqu'on est confronté à l'éventualité d'une mort prématurée, on comprend que la vie vaut la peine d'être vécue. (..) J'ai soudain réalisé qu'il y avait des tas de choses qui valaient la peine d'être faites, si j'avais un sursis. Deux années passèrent. La progression de la maladie ralentit. Je n'étais pas mort. Alors même qu'un nuage planait au-dessus de mon avenir, j'ai découvert, à ma grande surprise, que je goûtais beaucoup plus la vie à présent qu'auparavant.» On rejoint ici Emmanuelle Laborit (Le cri de la mouette) et la perception qu'elle aura de sa surdité, grâce à laquelle elle est devenue actrice et auteure, ou le violoniste Niccolo Paganini dont l'hyperlaxité ligamentaire favorisera la virtuosité. Comme le suggère Hawking dans un entretien télévisé "Il faut une certaine maturité pour comprendre que  la vie n'est pas "juste". Reste à faire de votre mieux dans la situation qui est la vôtre." 

Lu dans:
Kitty Ferguson. L'incroyable Stephen Hawking. Flammarion. 2012. 452 pages. Extraits pp 60, 68, 69
Stephen Hawking, Trous noirs et bébés univers. Odile Jacob. 2010. 208 pages. Extrait p. 26
ABC , 20/20, émission de 1989.
Emmanuelle Laborit. Le Cri de la mouette. Pocket Jeunesse. 2003. 212 pages.