31 mai 2014

Une sorte de Cantique des cantiques

"Avant que le soleil disparaisse,
Avant de revenir vers les gestes,
Accorde-moi encore un instant de rêve.
Sans parler, sans bouger, laisse-moi te regarder.
Tu es là, près de moi, bel amour, allongé sur la dune,
Les chats et les enfants nous tournent autour,
Saoulés d'air frais et de jeux partagés.
Même le grand aux airs d'homme,
Et au regard si doux. 
Au-dessus de nous, des nuages font
et défont le paysage du ciel,
Rappelant que le temps est compté
d'avoir des ailes et de danser."
     Véronique Biefnot.

Ce matin, le soleil ajoute au petit-déjeûner un rayon de miel d'une exceptionnelle saveur. Pareil, le superbe texte qui clôt le dernier livre de Véronique Biefnot: l'existence a ses bons jours.


Lu dans:
Véronique Biefnot. Là où la lumière se pose. Ed. Héloïse D'Ormesson. 2014. 319 pages. Extrait p.310
Francis Dannemark. Aux anges. Robert Laffont. 2014. 224 pages.
Un pont inattendu est construit entre deux romans ("Là où la lumière se pose" de Véronique Biefnot et "Aux Anges" de Francis Danemark). Les personnages principaux y voyagent d’un livre à l’autre, se rendent visite, le temps d’un chapitre. Plus qu'une trouvaille littéraire, un texte vraisemblablement issu d'une vraie rencontre humaine.

29 mai 2014

Grandir

"Laissez-moi chanter, danser, courir
laissez-moi jouer, tomber, pleurer et rire
laissez-moi dessiner des cœurs aux arbres,
laissez-moi gagner le bout du chemin
laissez-moi rêver aux océans
escalader les cimes
écrire
laissez-moi devenir
laissez-moi dire je t'aime
laissez-moi avoir le cœur en peine
laissez-moi sauter de joie
laissez-moi vous serrer dans mes bras
laissez-moi voir le bout du monde
laissez-moi sur ma balançoire
cueillir des champignons
ramasser des glands
laissez-moi devenir grand
laissez-moi faire le tour de la terre
laissez-moi du temps
pour apprendre
et comprendre
je vous aime
laissez-moi
devenir grand
je veux aimer
chanter
je veux danser
courir
rire
vieillir
laissez-moi grandir."
    Zorica Sentic . Laissez-moi grandir

Parlant d'éducation, on dit joliment "élever un enfant". Un patient papy évoquait avec humour hier la liste des tâches associée à cette notion, soit 40.000 km par an . Confronter ce modèle sociétal exigeant au beau texte de Zorica Sentic m'a fait rêver ce matin, et penser à ma propre enfance - si oisive et néanmoins foisonnante en images et souvenirs divers. Fus-je heureux, sans doute, mais se posait-on la question à cette époque?

28 mai 2014

Un sport anglais

"Le rugby (..), cette contradiction cinématique qui consiste à devoir aller de l'avant en ne faisant des passes que vers l'arrière."
Etienne Klein

Lu dans:
Le monde selon Etienne Klein. Ed Equateurs Essais. 2014. 285 pages. Extrait p.159

27 mai 2014

Matin clair, matin sombre

"Autrefois j'étais indécis, mais à présent je n'en suis plus aussi sûr."
Umberto Eco.

Avant d'être un débat d'idées, la politique c'est des hommes et des femmes qui connaissent des grands et des mauvais jours, et qui sportivement s'inclinent. La justesse de ton, en ces moments-là, grandit la politique.

25 mai 2014

Succès électoraux

"En France , une équipe sportive ne connaît pas la défaite: elle frôle l'exploit."

On ne peut que sourire, sans malice aucune, à l'écoute de nos nombreux présidents, apparement assez satisfaits de leur score électoral. La politique est une sorte de sport d'équipe avec son mercato, ses play-off, ses tirs au but, son sélectionneur et ses paris. Mais quelle chance de la voir - envers et contre tout - supplanter toute ces autres formes d'accès au pouvoir expérimentées en temps réel dans des contrées pas si lointaines de nôtres.

Entre deux clignements le même soleil

"J’ouvre les yeux. Regardez : je suis à Berlin ! Il se passe décidément des choses étranges ces temps-ci."
      Eric Chevillard

Un regard par le hublot du Boeing, Malaga, les pieds dans la Méditerranée paresseuse et le soleil.  Un court somme, un regard par le hublot, Bruxelles ma ville aux neuf boules, dix-neuf communes et le même soleil. Il se passe effectivement des choses étranges ces temps-ci.


24 mai 2014

La vie comme une file

"La file d’attente est longue, lente. Inévitablement, à force, on se lie avec les gens qui se trouvent juste devant et juste derrière nous. Puis tout de même opiniâtrement elle avance et, au bout d’un moment, ceux qui nous précèdent commencent à entrer dans la mort."
             Eric Chevillard.

Malaga. La vie comme une queue d'attente à l'aéroport pour rentrer au pays. A nos côtés un homme et une femme se disputent avec mauvaise foi pour une place usurpée dans la file. Issus d'une famille flamande et d'un couple wallon pour ne rien simplifier en cette veille d'élection crispée. Cela dure, on croit que cela se termine et au contraire cela enfle de plus belle, prend un tour fielleux, à la limite d'en venir aux mains. Suggérer que les places dans l'avion sont réservées et que chacun aura la sienne détournerait l'orage sur soi-même et hardiment on préfère se taire. On recroise les deux familles, séparées, trois heures plus tard à Zaventem: ils en parlent encore sur un ton animé. Y en a qui trouvent le ton juste pour finir leurs vacances dans la joie.

A Grenade une grenouille

« L'Alhambra ! l'Alhambra ! Palais que les génies
Ont doré comme un rêve et rempli d'harmonies.
Forteresse aux créneaux festonnés et croulants
Où l'on entend la nuit de magiques syllabes,
Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,
Sème les murs de trèfles blancs. »
         Victor Hugo

Perdue sur un nénuphar d'une pièce d'eau du palais d'été des princes Nasrides, une grenouille coasse attirant sur elle seule l'attention des touristes. Le contraste entre son vacarme et le silence des jardins, la solitude des palais déshabités, le bruissement des fontaines, le rugissement étouffé des Lions de pierre dans la cour homonyme pourrait suggérer une lointaine réincarnation d'Al-Ahmar le rouge répétant à l'envi que toute cette magnificence est la sienne. Tant de gloire passée et tant de vanité présente donne de la chair aux vers de La Fontaine: "La grenouille s'enfla si bien qu'elle creva / le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages / tout petit prince a des ambassadeurs / tout marquis veut avoir des pages."  Ce dimanche on élira nos représentants, le matin encore mendiants, le soir déjà empereurs. On leur souhaite un discours modeste comme le bruissement de l'eau et la dignité des Lions en pierre.

Lu dans:
Victor Hugo. Orientales. XXXI (Grenade) Livre III.
Jean de La Fontaine. La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Livre 4, fable 3.

23 mai 2014

Rêver de Grenade

"Grenade, accrochée à la sierra entre ses deux rivières qui vont de la neige au blé."

En 1492 un âge d'or musulman se termine et durant des siècles lorsqu'un enfant arabe affichera une mine morose on dira de lui qu'"il rêve de Grenade". On le comprend.

A Cordoue, entre Maïmonide et Averroès

"Cordoue
lointaine et seule."
Federico Garcia Lorca

Se promener à Cordoue et y croiser au détour d'une rue le souvenir de Maïmonide et d'Averroès, médecins philosophes poètes tous deux nés à Cordoue à une dizaine d'années d'intervalle. L'un était juif, l'autre musulman, tous deux nous transmirent Aristote et leur enseignement nous éclaire encore. On apprécie de mettre un court moment ses pas dans ceux de pareils maîtres. L'histoire de l'Andalousie est une longue succession de symbioses culturelles, religieuses, philosophiques, humaines, alternant émerveillements et exclusions, comme en témoigne jusqu'à l'absurde l'invraisemblable cathédrale de Cordoue bâtie sous Charles Quint au beau milieu de la Mezquita (mosquée), elle-même élevée sur un ancien temple romain devenu église. De cette hétérogénéité est née une étrange harmonie, qu'on aimerait emporter dans ses valises. 

20 mai 2014

Séville la charmeuse

"Sous l'arche du ciel,
sur sa plaine limpide,
elle décoche la constante
flèche de son fleuve.
Et, folle d'horizons,
elle mêle à son vin
l'amertume de Don Juan,
et la perfection de Dionysos."
     Federico Garcia Lorca. Séville.

Une ville charmeuse. On ne serait pas surpris d'y croiser Carmen, roulant les cigares sur ses cuisses d'ambre.  La nostalgie dégagée par Ronda fait place à la fougue d'une ville fière de tailler des croupières aux plus titrées (telle la dernière finale de l'Europa Ligue, remportée contre Benfica aux tirs au but). En cinq minutes on peut y croiser une procession avec acolytes, cierges, encens et soutanes à surplis, une manifestation bon-enfant de partisans du Front de Gauche local, un duo de danseuses de rue en tutu récoltant un beau succès de public et un torero tout d'or vêtu mimant la mise à mort du taureau. On aime les villes qui ressemblent à une femme, et Séville en est une, et des plus belles.

Le début des choses qui se terminent

"Times they are a changing."
Bob Dylan

Ronda la lumineuse, juste avant que le soleil se couche. Une placette romantique, quelques terrasses où se désaltérer de la chaleur du jour. Deux guitaristes offrent un récital improvisé. Ils ne sont plus tout jeunes, comme les touristes qui les écoutent: les vacances hors saison sélectionnent les générations grises. Comme dans Brel, soudain une fille se met à danser sur les notes d'un sirtaki. Il règne une douceur dans l'air qu'on aimerait prolonger, fragile et précieuse comme le début des choses qui se terminent,


Sagesse des prieurés oubliés

"Ce que nous sommes, vous l'étiez. Là où vous êtes, nous irons."
Sagesse des épitaphes.

A un vol d'oiseau de Ronda (Andalousie) un minuscule prieuré oublié contemple la ville blanche écartelée par un ravin torrentueux. Fut-il occupé un jour, en quel siècle? La grille ouvragée est cadenassée, comme les souvenirs qu'il abrite, laissant å notre imagination le soin de rendre vie à ses occupants. 

17 mai 2014

La légèreté des chiffres

"When I say Yes , then press."

Connaître un peu de physique, cela sert. Le chroniqueur physicien Etienne Klein rapporte s'être trouvé lors d'un congrès coincé dans un ascenseur bondé, où s'engouffra in extremis un corpulent collègue, déclenchant l'alarme: la surcharge était évidente. "Tous nos regards se tournèrent vers ce nouvel arrivé dont l'embonpoint était manifeste. A sa place, n'importe lequel d'entre nous se serait excusé platement avant de quitter l'ascenseur. Mais lui resta sur-place et s'exclama:  "When I say Yes , then press." Puis il sauta en l'air en s'écriant: "Yes !" Notre guide réappuya aussitôt sur le bouton. L'ascenseur s'ébranla et prit suffisamment de vitesse avant que les pieds du gros physicien ne retombent sur le plancher pour pouvoir continuer sa course vers la surface. Le système d'alarme avait été berné...


Lu dans:
Le monde selon Etienne Klein. Ed Equateurs Essais. 2014. 285 pages. Extrait p.138

16 mai 2014

Une corpulente légèreté

"Le mot compromis n’est pas une insulte, c’est l’essence même de la politique."
J-L Dehaene

Sur une belle photo en Une du Soir l'ancien premier ministre prend son envol entre ciel et mer comme une énorme montgolfière. Une image vaut mille mots.  

15 mai 2014

14 mai 2014

Anaprophétie

"Je pars, l'horizon s'agite."

En 1938, le climat politique devenant irrespirable à Rome Enrico Fermi - le pape des physiciens de son époque, un des pères de la bombe atomique et auteur du paradoxe de Fermi - décida de quitter l'Italie et dit à ses proches : "Je pars, l'horizon s'agite." Chose étonnante ce Je pars, l'horizon s'agite est l'anagramme parfait de Joseph Alois Ratzinger alias Benoît XVI dont on sait qu'il fut le premier pape à abandonner volontairement sa fonction en 2013. Jacques Perry-Salkow publia cette anagramme prémonitoire en 2007 sans imaginer un instant qu'il prophétisait. 

     
Lu dans:
Le monde selon Etienne Klein. Ed Equateurs Essais. 2014. 285 pages. Extrait p.97

12 mai 2014

Le voilà !


"Je suis debout au bord de la plage, un voilier passe dans la brise du matin et part vers l'océan. Il est la beauté, il est la vie. Je le regarde jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'horizon. Quelqu'un à mes côtés dit : "Il est parti". Parti vers où? Parti de mon regard, c'est tout! Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui. Et juste au moment où quelqu'un près de moi a dit : "Il est parti", il y en a d'autres qui , le voyant poindre à l'horizon et venir vers eux , s'exclament avec joie : "Le voilà!."

Une pensée pour une de mes belles-filles qui a perdu un grand-père adoré cette nuit, entouré des siens au terme d'une belle vie. On est meilleur d'avoir connu certaines personnes.

11 mai 2014

Perdues

"Perdue entre l'espoir et la folie (..)
Je cours, je cours et ne sais où je vais
Je ne sais où poser mon regard pour reprendre des forces.
O mes yeux, mes yeux si beaux et si bons, désormais corrompus
Qui ne distinguent plus un homme d'un chien. "
    Chantal PEUGNY . Perdue.


200 lycéennes enlevées dans leur lycée par un groupe d'illuminés. L'affection d'un grand-père nigérian pour ses petits-enfants ne doit guère différer de la mienne et ce soir je ressens l'insécurité d'être sur terre.
 

Dans l'ombre de la lumière


"La lumière projette toujours quelque part des ombres.(..) Ce n'est pas en pleine lumière, c'est au bord de l'ombre, que le rayon, en se réfractant, nous confie ses secrets."
Gaston Bachelard


Cité par:
Charles Gardou, Michel Develay. Ce que les situations de handicap, l'adaptation et l'intégration scolaire disent aux sciences de l'éducation. Revue française de pédagogie n°134. Janvier février mars 2001. Extrait p. 23

10 mai 2014

Vérités partielles

"Avez-vous remarqué que "la vérité" est l'anagrame de "relative"?
    E.Klein

Phrase de portée toute ... relative puisqu'elle ne fonctionne qu'en français.

Lu dans:
Le monde selon Etienne Klein. Ed Equateurs Essais. 2014. 285 pages. Extrait p.20

09 mai 2014

Le gardien invisible

"Certains logiciels donnent un nom aux visages que montre une photographie. D'autres nous permettent de localiser à tout moment nos amis. Extraordinaires moyens de contrôle. (..) Mais le vieux modèle du Panopticon, où un surveillant observe d'un seul coup d' œil une multitude de détenus, est entièrement reconfiguré. Ce sont les détenus qui se surveillent eux-mêmes. Et cela les occupe tellement que le surveillant pourrait s'absenter : les détenus n'ont plus le temps de penser à s'évader. "
       Pierre Cassou-Noguès
 


Lu dans :
Pierre Cassou-Noguès. La Mélodie du tic-tac: et autres bonnes raisons de perdre son temps. Flammarion. 2013. 301 pages. Extrait p.245

08 mai 2014

"... qui fait froid dans le dos
et soudain donne chaud
quand tout le monde a froid
qui fait battre le coeur
pendant des heures
rester là
devant un téléphone
pour entendre une voix
qui ne sonnera pas
ce sentiment brutal
lorsque tout allait bien
de se sentir très mal
sans savoir d'où ça vient
        l'amour."
                Michel Vaucaire
 

05 mai 2014

De la tonte des moutons à l'antimatière

"Le langage ne fonctionne pas comme l'artillerie: quand on parle l'abondance de la mitraille ne compense pas l'imprécision du tir."
Paul Dirac (1902-1984)

Physicien et mathématicien britannique, prix Nobel de physique de 1933 (avec Schrödinger), Dirac est un des pères de la mécanique quantique et a prévu au départ d'une démonstration mathématique l'existence de l'antimatière. Ne parlant que lorsqu'il jugeait la chose indispensable, et toujours en utilisant le plus petit nombre de mots possibles, ses interviews sont devenues pièces d'anthologie ponctuées de réponses monosyllabiques, de "oui", de "non" et de fréquents silences. "Allez-vous au cinéma? - Oui - Quand? - En 1920. - Et après un long silence: Peut-être aussi en 1930." Voyageant en train avec Pauli (Nobel de physique 1945) au bout d'une heure de silence celui-ci cherche désespérément un moyen d'entamer la conversation en pointant un troupeau de moutons au loin. "On dirait que ces moutons ont été fraîchement tondus." Dirac regarde attentivement par la fenêtre du wagon, puis se retourne vers Pauli: "Oui, au moins de ce côté-ci". La certitude qu'ils soient entièrement tondus exigeant qu'on en fasse le tour, même si généralement c'est d'un point de vue partiel sur un objet que nous tirons une conclusion portant sur son intégralité. Dirac extrapola l'anecdote avec brio pour bâtir l'équation qui le mènera jusqu'à l'antimatière. On lit dans Wikipedia qu'il était probablement atteint du syndrome d'Asperger (trouble autistique léger coexistant avec des capacités intellectuelles hors norme). 


Lu dans:
Le monde selon Etienne Klein. Ed Equateurs Essais. 2014. 285 pages. Extrait pp.55-59  

Sagesse africaine

"Tu parles à quelqu'un, il ne t'écoute pas: tais-toi.
Ecoute ce qu'il dit.
Peut-être comprendras-tu pourquoi il ne t'écoute pas."
    Sagesse africaine.
 


04 mai 2014

Les cerisiers sont blancs, les oiseaux sont contents ..

"Un beau soir l'avenir s'appelle le passé. C'est alors qu'on se tourne et qu'on voit sa jeunesse"
Louis Aragon.

Le mois de mai m'est particulièrement porteur d'images embaumées et colorées issues d'un passé souvent heureux. Avec Claude Roy (dans Le Noir de l'aube) se laisser porter par eux un moment n'est guère pathologique : "Que veut dire exactement le mot autrefois? / Je ne sais pas si l'envie de pleurer qui me prend / vient de ce que ce bonheur est un bonheur passé / ou de ce que la joie d'alors coule soudain en moi / aussi vive que l'eau bordée de foins fauchés."


Je vous souhaite une bonne fin de weekend habité d'images d'eau bordée de lilas en fleurs.
CV. 

02 mai 2014

La peau, dernier rivage


"Je sens ta peau     contre la mienne
je m'en souviens  je m'en souviens
et  je voudrais  que tout revienne,
ce serait bien".
        Michel Houellebecq. Configuration du dernier rivage.

La perte de l'être cher est sans doute l'expérience la plus universelle et la plus individuelle qui soit: on ne partage que difficilement la douleur. J'ai imaginé que l'âge avancé estompait la difficulté de cette séparation, bien des confidences m'ont confirmé le contraire: il la ravive. Evocation parfois humoristique, comme ce nonagénaire veuf de fraîche date qui d'un ton bougon me confiait: "elle a m'a rouspété dessus durant 60 ans, et maintenant vous ne pouvez imaginer comme cela me manque." Ou cet autre patient octogénaire, voisin de jardin, se souvenant du temps béni où il bernait son patron en affirmant qu'il avait oublié ses clés à la maison... pour retourner surprendre sa femme au lit. Pour ces deux-là, à observer la malice pétillant dans leurs yeux, la peau - elle - ne rouspétait pas. 


Lu dans:
Michel Houellebecq. Configuration du dernier rivage. Flammarion. 96 pages.
« L’expérience, ce n’est pas ce qui arrive à quelqu'un, mais ce que quelqu'un fait avec ce qui lui arrive… »
    Aldous Huxley

Quand cela tourne bien, cela porte un bien joli nom : la résilience. 

01 mai 2014

Aux chers disparus

"Ceux qui partent mordre les entrailles de la nuit
    leur avons-nous donné assez de feu
    pour qu'ils éternisent dans leurs yeux
    les éclairs de nos pauvres adieux ?"
            Philippe Mathy

De longues années, le 1er Mai elle nous offrait du muguet. On l'entendait chanter de la terrasse voisine, son humeur était changeante et le quartier la disait un peu fêlée. On ne la vit plus un matin, amenée à l'hôpital après s'être perdue au centre-ville. Je tentai de retrouver la maison de repos où elle termine sans doute son existence, en pure perte. Quitter la scène sans mourir existe, et les "chers disparus" de notre époque - grand progrès - vivotent encore. 



Lu dans :
Philippe Mathy.  Sous la robe des saisons. L'herbe qui tremble. 2013. 137 pages. Extrait p.12