30 avril 2014

Un visiteur invisible

A l'heure où la clarté ne parle qu'à voix basse
où le coeur incertain ne marche qu'à petits pas
l'heure entre cendre et nuit, l'heure de guerre lasse
quand on n'est plus très sûr d'être ou n'être pas

Une pensée m'a visité  une pensée légère
Une main doucement se pose sur l'épaule
Une pensée,(Mais venue d'où?)  un sourire dans l'air
Personne n'était là      et je n'étais plus seul

Qui est venu me voir à travers le silence
Qui donc me veut du bien? Qui parle sans parler?
Qui donc est cet absent dont je sens la présence?
Qui est venu m'aider quand le ciel se voilait?

Personne n'était là . Mais je suis pourtant sûr
qu'une pensée légère a touché mon épaule
Un visiteur discret qui me voulait du bien
La pensée d'un ami sur la pointe des pieds.

Claude Roy: Le rivage des jours
 

27 avril 2014

Printemps, filles en organdi et coeurs repeints au vin blanc

L´printemps on dit qu´ça sent la rose
Le lilas et puis le jasmin
Pour moi l´printemps ça sent aut´chose
Puisqu´on cure la tonne à purin.
Bon dieu, v´là l´printemps qui s´amène
Va falloir retourner aux champs
Labourer, sarcler, toute la semaine
Bon dieu, l´printemps c´est fatigant.

Au printemps, on dit qu´les gamines
Elles s´mettent des robes claires à pompons
J´la vois l´Isabelle en mousseline
En train d´curer l´auge à cochons.
     Ricet Barrier. Isabelle, v'la le printemps (1971)

Désopilante défenestration du mythe printanier, y a décidément plus d'saison.   

26 avril 2014

Un jour


"Encore un jour à porter à nos lèvres
      comme une eau renonce à fuir dans la rivière
      comme la lumière d'un vin
      pour colorer les joies et les peines

Encore un jour à porter à nos lèvres
     comme une parole nouvelle
     qui rêve d'être prononcée."
               Philippe Mathy


Lu dans :
Philippe Mathy.  Sous la robe des saisons. L'herbe qui tremble. 2013. 137 pages. Extrait p.52

Chacun choisit sa vie

« Qu'est-ce qu'une personne dans votre état peut bien faire en un tel endroit ? »
A. Kahn

"Un autre souvenir de ces randonnées annuelles a joué un rôle direct et important dans le passage à l'acte de me remettre en route en mai 2013. Il y a plus de vingt ans, je marchais avec un groupe d'amis dans le Massif central, de Murât dans le Cantal jusqu'à Volvic dans le Puy-de-Dôme. Quoique nous fussions en été et que l'après-midi précédent eût été magnifique, au bord du lac Chambon dans les pentes environnantes duquel nous avions fait une exceptionnelle récolte de myrtilles, le temps était dans la soirée devenu exécrable. Un vent glacial balayait, le matin suivant, la crête sur laquelle nous cheminions à mille quatre cents mètres d'altitude. Je crus d'abord à un phénomène optique lorsque je distinguai à travers le brouillard épais en ce petit matin une forme scintillante, affaissée sur le sol. M'approchant, je reconnus une silhouette humaine, celle d'un très vieux monsieur enveloppé dans une couverture de survie tapissée d'aluminium ; ses deux cannes anglaises étaient posées à côté de lui. La veille au soir, il avait été pris par le mauvais temps et avait passé la nuit là. Après l'avoir réconforté, lui avoir préparé un café bien chaud, je lui posai alors une question dont la stupidité condescendante me consterne aujourd'hui encore : « Qu'est-ce qu'une personne dans votre état peut bien faire en un tel endroit ? » L'homme ragaillardi se redressa alors à l'aide de ses cannes et me fixa longuement de son regard intense et clair, d'abord en silence. Il m'interpella ensuite : « Parce que, selon vous, je devrais être dans un hospice en attendant qu'on me passe le pistolet et le bassin ? Chacun choisit sa vie, je l'ai fait. » 

On porte tous en nous, certains plus que d'autres sans doute, une part enfouie de rebellitude que cette phrase bravache fouette. Que nous aimerions pouvoir la prononcer le temps venu de la décrépitude! Confronté à la dure réalité de patients diminués, soumis aux années qui leur roulent dessus sans demander ce qu'ils en pensent, aux services sociaux, aux institutionnalisations forcées, au compagnonnage de la tribune de marche, des couches de protection, de la nourriture moulue, on apprend la modestie. La résistance est un choix certes, mais limité à des êtres et à des circonstances exceptionnelles, que souvent la dure réalité rattrape. Rien ne nous empêche pourtant de rêver.  
 


 
Lu dans:
Axel Kahn. Pensées en chemin. Ma France, des Ardennes au pays basque. Stock. 2014. 285 pages. Extrait p. 15

25 avril 2014

Plaisir de la petite balle

"Qu’il arrête de jouer contre, qu’il joue avec."
Jérémie Moreau

Dans la biographie d’André Agassi, le champion américain explique comment dès l'âge de six ans son père le forçait à jouer contre une machine à balles 4 heures par jour, comment il n’a jamais perdu avant 13 ou 14 ans, comment il gagnait de l’argent dans des tournois d’exhibition où il battait des adultes et in fine comment... il détestait le tennis mais aimait surtout gagner.


Lu dans:
Jérémie Moreau. Max Winson, la tyrannie. Delcourt. 2014. 160 p.

23 avril 2014

Etoiles vivantes

"J'ai toujours, devant les yeux, l'image de ma première nuit de vol en Argentine, une nuit sombre où scintillaient seules, comme des étoiles, les rares lumières éparses dans la plaine. Chacune signalait, dans cet océan de ténèbres, le miracle d'une conscience. Dans ce foyer, on lisait, on réfléchissait, on poursuivait des confidences. Dans cet autre, peut-être, on cherchait à sonder l'espace, on s'usait en calculs sur la nébuleuse d'Andromède. Là on aimait. De loin en loin luisaient ces feux dans la campagne qui réclamaient leur nourriture. Jusqu'aux plus discrets, celui du poète, de l'instituteur, du charpentier. Mais parmi ces étoiles vivantes, combien de fenêtres fermées, combien d'étoiles éteintes, combien d'hommes endormis ...  II faut bien tenter de se rejoindre. II faut bien essayer de communiquer avec quelques-uns de ces feux qui brûlent de loin en loin dans la campagne."
    Antoine de Saint Exupéry. 

Le survol de nos journées recueille autant de lumières éparses que d'étoiles éteintes, autant de foyers où on lit, on réfléchit, où se poursuivent les confidences que de dortoirs pour hommes endormis. S'efforcer d'aimer les uns et les autres: si nous connaissions leur passé sans doute comprendrions-nous. 


Lu dans :
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard 1939. Folio 21. 183 pages. Extrait p. 9

Voyage

"Suppose
que le vol d’un oiseau
nous invite au voyage
et que je te demande
de nous blottir en lui
pour avec lui voler
à travers la pénombre…"
            Eugène Guillevic
 
Parmi les images maritimes liées aux vacances pascales, ce court texte de Guillevic ajoute une note de rêverie bonne à prendre en période de reprise.



Lu dans:
Eugène Guillevic. Poème "Bergeries", recueil "Autres". 1980.

22 avril 2014

Pascales

"Le bonheur n'est jamais grandiose."
Aldous Huxley

Images modestes d'oeufs cachés dans les herbes, de gauffres à la mer du Nord, d'arbres en fleurs parés comme pour la fête. Les vacances pascales s'estompent déjà, imprimées à jamais dans les pupilles enfantines. 

Lu dans:
Aldous Huxley. Le meilleur des mondes. 1932. Pocket 2002. 284 pages. Extrait ch.16.

12 avril 2014

Sagesse du petit Iliouchetchka


"Il suffit de quelques secondes
pour effacer un monde".

Relire Dostoïevski (La mort du petit Iliouchetchka) : "Mon petit papa, quand on recouvrira ma tombe, émiette un croûton de pain pour que viennent les petits moineaux. Je les entendrai voleter et ça me fera une joie de ne pas être seul en dessous".  Et les mots d'Aliocha aux enfants qui l’ont accompagné sur la tombe: «Mes petits enfants, n’ayez pas peur de la vie…».

Ce matin, précédant le lever du soleil, l'habituelle symphonie des oiseaux s'éveillant un à un nous réveille. La vie dans la ville. Et le souhait d'accueillir des oiseaux sur sa tombe y trouve toute sa symbolique. Comme il est précieux dans les moments de mort de trouver sur sa route une main qui nous dise: n'ayez pas peur de la vie. 


Lu dans:
Dostoïevski. Les Frères Karamazov.

11 avril 2014

Qu'est-ce qui fait ..

" ... qui fait pleurer de rire
et vous fait courir
à minuit sous la pluie
sous la pluie      sans manteau
en gueulant qu'il fait beau
en gueulant que la vie
'y a rien de plus joli
avant         juste avant
d'aller se foutre à l'eau...
...            l'amour."
    Michel Vaucaire
 

09 avril 2014


"La moitié des gens désapprouvent le chef, surtout s'il fait un choix équilibré."
Proverbe africain, cité par le président Moncef Marzouki (Tunisie)


En relisant Alain-Fournier

"Il allait seul
Dans les allées,
Abandonné
Par son enfance."
        Guillevic

Entendu sur La Une à 13h30 le beau récit qu'Ariane Charton nous fait d'Alain Fournier, tué au front en septembre 1914. Revisitant quelques pages du grand Meaulnes, son unique roman où il évoque la sortie de l’enfance, l’amour et le mystère d'un amour impossible, récit largement autobiographique, on reste pensif en apprenant que son auteur avait été refusé trois fois au concours d'entrée de Normale Sup et à la carrière d'enseignant. Enfant d'une époque où la lenteur n'était pas une tare, il met trois ans pour rédiger Le Grand Meaulnes, entamé au moment précis où il scelle une longue histoire amoureuse qui l'a épuisé. Publié en 1913, il rate le prix Goncourt derrière Le Peuple de la Mer de Marc Elder, l'année même où Marcel Proust publie Du côté de chez Swann sans que ce roman devenu emblématique soit retenu dans la liste finale. Un jury peut se tromper... Il meurt quelque mois plus tard, sans deviner le nombre de lecteurs dont il façonnera l'imaginaire amoureux. 

"Lorsqu'il faisait noir, que les chiens de la ferme voisine commençaient à hurler et que le carreau de notre petite cuisine s'illuminait, je rentrais enfin. Ma mère avait commencé de préparer le repas. Je montais trois marches de l'escalier du grenier ; je m'asseyais sans rien dire et, la tête appuyée aux barreaux froids de la rampe, je la regardais allumer son feu dans l'étroite cuisine où vacillait la flamme d'une bougie. Mais quelqu'un est venu qui m'a enlevé à tous ces plaisirs d'enfant paisible. Quelqu'un a soufflé la bougie qui éclairait pour moi le doux visage maternel penché sur le repas du soir. Quelqu'un a éteint la lampe autour de laquelle nous étions une famille heureuse, à la nuit, lorsque mon père avait accroché les volets de bois aux portes vitrées. Et celui-là, ce fut Augustin Meaulnes, que les autres élèves appelèrent bientôt le grand Meaulnes."
 "Agrippé au corps inerte et pesant, je baisse la tête sur la tête de celle que j'emporte, je respire fortement et ses cheveux blonds aspirés m'entrent dans la bouche — des cheveux morts qui ont un goût de terre. Ce goût de terre et de mort, ce poids sur le coeur, c'est tout ce qui reste pour moi de la grande aventure, et de vous, Yvonne de Galais, jeune femme tant cherchée — tant aimée..."


Lu dans :
Eugène Guillevic. Du domaine. Gallimard 1967
Un jour dans l'histoire. Nicolas Blanmont. La Une 8 avril 2014.
Ariane Charton. Alain-Fournier. Folio biographies 108. Gallimard. 2014. 416 pages. 

06 avril 2014

Sagesse de Montaigne

"Une coutume établie, fût-elle injuste ou déraisonnable, vaut-elle mieux que les risques imprévisibles engendrés par son abolition? "
     Montaigne

La question de Montaigne a habité mes réflexions ces derniers jours, la confrontant à divers événement sociétaux ou politiques récents. Elle apparaît réductrice, toute transformation des coutumes ne succédant guère à leur abolition mais à la superposition par couches de pratiques qui, soit les enrichissent, soit les supplantent en douceur par la force de l'évidence. Le cours "apprentissage de la règle à calcul, théorie et pratique" donné ne première candi dans nos jeunes années n'a pas résisté longtemps à l'apparition des calculettes électroniques. Ni la cassette audio, ni le vote censitaire, ni le traitement par la saignée ou les ventouses. 

05 avril 2014

Le mystère humain

"Peu à peu, le « comment » se précise, le « pourquoi » se construit, les complicités extérieures sont amplement démontrées. Mais les ressorts essentiels de ce génocide de voisinage par lequel un peuple a marché sur sa conscience pour détruire une part de lui-même demeurent à démonter. Même si on croit que tout a été dit sur le génocide des Tutsis du Rwanda, en réalité l’essentiel demeure un mystère, celui de la nature humaine."
        Colette Braeckman



Inlassablement on lit les billets de Colette Braeckman racontant l'Afrique avec la même ferveur. Elle fait partie de ces personnes rares qui non seulement nous rendent plus intelligents, mais meilleurs. 


Lu dans:
Colette Braeckman Le mode opératoire du génocide:les artisans de la mort. Le Soir. 2 avril 2014.

04 avril 2014

« Qu'est-ce qu'ils lui font? Rien de vraiment terrible finalement. Ils ont obligé Blue à ne rien faire. Ils l'ont rendu inactif au point que sa vie se réduit à presque rien, presque aucune vie. Comme un homme condamné à rester assis dans une pièce pour lire le même livre tout au long de sa vie. »
    Paul Auster

     
Lu dans:
Paul Auster. The New York Trilogy. Faber & Faber. 2004, p. 171  

03 avril 2014

02 avril 2014

Sagesse du quotidien

"Je marche le long du boulevard, portant un sac trop lourd, un fatras inutile. L'air est irrespirable. Les voitures, pare-chocs contre pare-chocs, les quelques autobus immobilisés en travers des carrefours, le camion à contresens qui tente de démarrer ne grondent plus mais s'unissent dans une sourde vibration. La gare de l'Est au bout de la perspective ressemble à un mirage tant elle tremble dans la chaleur des gaz d'échappement. Un jeune homme me bouscule, qui avance à grands pas, puis se retourne vers moi : «Tu traînes !»
    Pierre Cassou-Noguès


Petite scène de rue, petite scène de vie. En consultation, cela se traduit par "je ne sais pourquoi, mais le soir j'ai souvent la migraine."


Lu dans :
Pierre Cassou-Noguès. La Mélodie du tic-tac: et autres bonnes raisons de perdre son temps. Flammarion. 2013. 301 pages. Extrait p. 247

01 avril 2014

Petite chômeuse

"Elle arrive systématiquement deuxième aux concours d'entrée dans les administrations, et quand ils en prennent plusieurs, juste à la limite qui fait qu'elle n'est pas prise. Elle a passé le concours des Impôts, de la Sécurité sociale, celui de la DRAC de sa région, elle a rendez-vous pour un poste dans un hôpital de la côte atlantique, elle marche sur la digue en réfléchissant à son entretien du lendemain, et en se demandant comment ce serait de vivre dans cette petite ville si elle est prise. Le ciel est gris. Mais il y a la mer, l'horizon. Elle retourne à son hôtel. Elle essaye de dormir, et le lendemain matin elle y va. Une femme la reçoit dans un petit bureau qui donne sur des arbres, au bout d'une heure de conversation lui dit qu'elle a des qualités mais qu'il faut qu'elle prenne un peu de bouteille, et lui sourit en la raccompagnant dans le hall. En sortant, elle passe sa main sur son ventre plat dessiné par le haut de sa jupe beige qui s'évase vers le bas, elle remonte à son hôtel par la digue pour aller chercher sa valise, le vent plaque le tissu sur ses cuisses. »
    Christine Angot. La jeune chômeuse.

Elles se prénomment Estelle, Céline, Allison, Imad, Sandie ou Tamara et un seul nom: Demandeusedemploi. On les regarde drôle, chuchote, suggère, soupèse, élabore les mille raisons qu'elles ont à ne pas travailler alors qu'elles ont un diplôme. On devrait être interdit de parole et de commentaire quand on n'a pas soi-même connu l'éprouvante quête d'un emploi dans une société en décroissance douce. 
 

Lu dans:
Christine Angot. La petite foule.  Flammarion 2014. 255 pages. Extrait p.20