31 mars 2013

Ah la tarte aux pommes !


"Il y a tellement de stimulations au moment où on va passer à table. On peut avoir faim, être fatigué de sa matinée, avoir envie de se donner un vrai plaisir ou simplement ne pas vouloir refuser les suggestions de l'autre. Tiens, hier, c'était tellement manifeste. Depuis plusieurs jours, je m'étais dit que j'allais davantage faire attention à ma faim. j'arrive au restaurant - nous allons tous les midis dans le même - et le restaurateur que je connais bien, s'avance vers moi et me dit : "Monsieur Redon, j'ai des rillettes, vous allez m'en dire des nouvelles !" Je me suis entendu dire: "Non merci, je ne prendrai pas de rillettes", simplement, tranquillement. "Mais j'ai une tarte aux pommes en dessert, un vrai régal, il vaut mieux la commander tout de suite pour être sûr qu'il en reste", a ajouté le tentateur. Nous entendons tous la voix du restaurateur en train de prononcer cette phrase, le carnet en main, jetant un coup d'œil avisé vers la cuisine, puis nous regardant de nouveau avec un air protecteur et sûr de lui. Et moi: "Allons-y pour la tarte aux pommes !"
L'histoire est trop belle! J'ose passer en mode raisonnement bancaire: nous sommes dans une société de consommation. Le banquier pense instantanément argent, le restaurateur, même s'il a à cœur de bien soigner ses clients, est là pour vendre ce qu'il a préparé. Imagine-t-on un restaurateur dire: « Écoutez, le dessert, ne le prenez pas, vous avez suffisamment mangé!»
Annie Lacuisse-Chabot

Bonne fête de Pâques !
CV.

Lu dans:
Dr Annie Lacuisse-Chabot. Maigrir, la transformation de soi. Odile Jacob. 2009. 238 pages. Extrait p.71,72

30 mars 2013

Scènes de bonheur quotidien


" (..) nous plantâmes notre tente dans un camping de Pompéi. Après plusieurs jours de visites, riches en surprises, de la capitale du sud de l'Italie, il était donc fatal que nous finissions par visiter les célèbres ruines. J'ai souvenir à la fois d'une errance un peu égarée parmi le labyrinthe des nombreuses allées désertes, et de l'étrange impression, renforcée par l'épais brouillard qui régnait ce matin-là, de traverser une ville contemporaine sur le point de s'éveiller.  Nous pouvions admirer, au sein d'une lumière tamisée, assez onirique à vrai dire, des scènes de vie quotidienne du temps de la splendeur de la cité et ce qui se donnait à voir était stupéfiant, non seulement de par l'état de préservation et la qualité même du dessin et des couleurs mais par l'empathie de bonheur ineffable qui en émanait. Comment donc, me dis-je alors, a-t-on pu nous faire croire dans nos écoles républicaines que nous avions atteint un style de vie supérieur à celui qui se laissait deviner au travers de ces images? Il semblait d'une évidence confondante pour quiconque savait interpréter le message implicite de ces fresques, dont la patine avait résisté à près de vingt siècles, qu'un fait de civilisation merveilleux avait pris place ici en ces temps lointains, à l'ombre du Vésuve, et peut-être d'ailleurs - me dis-je encore - du fait même de cette menace qui restituait à l'existence sa valeur réelle."
Denis Grozdanovitch.

Il me plut d'imaginer, hier à divers moments de ma journée, la vie quotidienne d'un médecin pratiquant à Pompéi le 24 août 79 quelques heures avant l'éruption du Vésuve, de Zénon Ligre de Marguerite Yourcenar lors de sa vie d'errance sur les routes européennes de la Renaissance, ou d'un chamam imposant les mains à la même heure que moi dans un endroit reculé à l'autre bout de la planète. La sécurité qu'offre notre insertion dans une société surorganisée nous garantit-elle un bonheur et une qualité de vie équivalents? Elle y contribue probablement, mais la notation de Denis Grosdanovitch sème comme un doute. 
 

Lu dans:
Denis Grozdanovitch. La puissance discrète du hasard. Denoël. 2013. 336 pages. Extrait pp.205-206        

29 mars 2013

Sagesse de Montaigne


"Chez moi, je me retrouve un peu plus souvent dans ma librairie, d'où tout d'une main je commande à mon ménage. Je suis sur l'entrée et vois sous moi mon jardin, ma basse-cour, ma cour, et dans la plupart des membres de ma maison. Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues; tantôt je rêve, tantôt j'enregistre et dicte, en me promenant, mes songes que voici."
    Inscription sur les murs de la bibliothèque de Montaigne (château de Montaigne, commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne)

Il est minuit. Je rentre d'une réunion éprouvante, par une route qui ne le fut pas moins - pare-choc contre pare-choc et neige sur toute la petite ceinture de Bruxelles. Ce temps perdu me permet de débriefer ma soirée, m'interrogeant avec Montaigne sur ce qui pousse l'homme à quitter durant une si longue période de sa vie sa bibliothèque et ses proches pour les tourments des activités sociales. Une image construite de soi-même, les illusions de remplir une mission sur terre, et mille autres raisons enfouies dont nous ignorons jusqu'à l'existence. Il faudra qu'un jour je rende visite à ce Michel de Montaigne en son château, qu'il me conseille. 

28 mars 2013

God save the Queen


"Tout se déroula admirablement selon le rituel immuable qui prévaut encore dans cette upper class britannique: conversations futiles émaillées de plaisanteries convenues tout au long du repas (tout propos sérieux étant prohibé), rosbif saignant accompagné de flageolets et de pommes de terre sautées, jellies douceâtres tout de suite suivies du cheddar servi avec le porto, puis le toast tonitruant porté à la reine - tous debout, verres levés bien haut -, enfin, la permission accordée de fumer le cigare dans la salle de billard."
 Denis Grozdanovitch

So british, en trois lignes l'atmosphère feutrée des Silences du colonel Bramble et du Carnets du major Thompson. Il s'en est passé des choses depuis.. 


Lu dans:
Denis Grozdanovitch. La puissance discrète du hasard. Denoël. 2013. 336 pages. Extrait p.234

26 mars 2013

La réussite d'une vie


"Je ne serais pas arrivé là où je suis si j'avais bu."
Sagesse d'un patient anonyme

Il est tout cassé par l'âge, et par les mauvaises affaires qui l'ont complètement ruiné. Il squatte la maison d'une amie plus riche devenue démente. Ses amis sont morts, ou l'ont renié. Entouré de ses chats, il ne possède plus qu'une vieille épave roulante des années septante, consommant de l'huile et de l'essence à part presqu'égale. Au décours de la consultation, je m'inquiète de sa consommation d'alcool et la réponse fuse, superbe: "Dis, je ne serais pas arrivé là où je suis si j'avais bu." Je souris intérieurement, jaugeant l'opinion flatteuse qu'il a de son parcours d'existence et son actuelle infortune. Et aussitôt je souris de moi, de cette outrecuidance qui m'autorise à porter un jugement sur des évènements, des défis et des défaites dont j'ignore tout et qui valent peut-être les plus belles victoires des plus grands de ce monde. 

25 mars 2013

Chaste folie


"Si Auguste lui-même, empereur de l'univers, m'avait fait l'honneur de m'offrir le mariage, j'aurais préféré être appelée ta putain plutôt que son impératrice."

Prudes s'abstenir. La passion charnelle de la Très sage Héloïse, "pour qui fut châtré et puis moine Pierre Esbaillart à Saint-Denis, pour son amour eut cette essoine" (Villon, La ballade des dames du temps jadis) ne s'estompa guère avec les années. Devenue supérieure de monastère, elle écrit son infortune à celui qui fut le plus grand théologien de son siècle (1079-1142), et son amant. Lettres d'une passion que ne tarissent ni l'absence, ni l'engagement religieux de l'un et de l'autre. Il me rassure personnellement de découvrir pareille incarnation de la folie amoureuse dans l'histoire des grands témoins de mon église.

Clin d'oeil: quel plus beau message imaginer pour deux couples de lecteurs de ce CaféJournal fêtant ce 26 et ce 27 leurs 20 et 30 ans de mariage


Lu dans:
Jean-Claude Barreau. L'Eglise va-t-elle disparaître? Seuil. 2013. 132 pages. Extrait p.111

24 mars 2013

La face cachée du tourment humain


"Causes du tourment humain: non les choses mais les idées sur les choses."
Montaigne

... telle la boîte qu'un père mort laisse dans son arrière-boutique avec une étiquette A NE PAS OUVRIR. Le jour où il l'ouvre quand même, son fils découvre qu'elle contient une centaine d'étiquettes sur lesquelles est imprimée la mention A NE PAS OUVRIR. Nos existences s'encombrent de tourments similaires. 



Lu dans :
Raphaël Enthoven. Matière première. NRF Gallimard. 2013. 151 pages. Extrait p. 100 

Le hasard d'un Nobel


"Sérendipité: art de profiter de l'inattendu."
Irving Langmuir

L'histoire est belle. En 1988 Alfred Nobel, enrichi par la mise au point de la dynamite, découvre un jour dans un quotidien sa nécrologie prématurée: «Le marchand de la mort est mort. Le Dr Alfred Nobel, qui fit fortune en trouvant le moyen de tuer plus de personnes plus rapidement que jamais auparavant, est mort hier. » Il en fut à ce point traumatisé qu'il décida de laisser au monde une meilleure image de lui-même en léguant une grande partie de sa fortune à la création d'un prix qui porterait son nom et récompenserait à la fois les gens qui œuvraient pour la paix dans le monde, les grands découvreurs scientifiques et les meilleurs écrivains du moment. Le prix Nobel dut sa naissance à une heureuse erreur fortuite.  

Lu dans:
Denis Grozdanovitch. La puissance discrète du hasard. Denoël. 2013. 336 pages. Extrait p.78 

Rio comme vous ne le verrez jamais



Le Norvégien Joke Sommer et le Français Ludovic Woerth se sont élancés ce mois-ci depuis un ULM au-dessus de Rio de Janeiro en wingsuit (combinaison équipée d'ailes).

23 mars 2013

Hommeries ordinaires


"Là où il y a l'homme, il y a de l'hommerie."
Rabelais

Scène de métro hier matin. Deux hommes se querellent, pour la position d'une valise. Ni enjeu, ni victoire. Le silence revient à Arts-Loi: l'un des deux est arrivé à destination. Simple mise en jambe pour la journée.
Rabelais cité par :
Jean-Claude Barreau. L'Eglise va-t-elle disparaître? Seuil. 2013. 132 pages. Extrait p.88

21 mars 2013

Quand liront les prolétaires


"Ça fait lire un tas de gens qui n’avaient pas besoin de lire, finalement. [...] Avant ils lisaient Nous deux ou La Vie en fleurs, et d’un seul coup ils se sont retrouvés avec Sartre dans les mains, ce qui leur a donné une espèce de prétention intellectuelle qu’ils n’avaient pas."
Vidéo de l’émission de l'ORTF "L'avenir est à vous".


Le Livre de Poche fête ses 60 ans. Mal accueilli par une "aristocratie des lecteurs" telle cet étudiant en médecine qui - le mépris dans la voix - en décrit les ravages, à vous vacciner à jamais de "c'était mieux dans le temps". Le marché du poche représente actuellement un bon tiers du marché du livre français. Force est de constater, au-delà des polémiques, qu'il a permis une diffusion des idées jusqu’alors inégalée.  Le prolétariat des lecteurs a remporté sa révolution.

Lu dans:
Le Livre de poche, un danger pour l’aristocratie des lecteurs.   Le Monde. 21 mars 2013.

Un printemps étonné


" .. s'étonner au point de goûter les trilles d'un rossignol à la nuit tombée quand bien même le rossignol serait en fait un petit garçon armé d'un sifflet. Les enfants (..) savent dépouiller leurs sensations de ce que l'intelligence y ajoute et acceptent d'être dupes."
Raphaël Enthoven

Petite évocation en clin d'oeil pour saluer le retour du printemps, et le plaisir que nous prendrons de réentendre la vie s'ébrouer.  
 

Lu dans:
Raphaël Enthoven. Matière première. NRF Gallimard. 2013. 151 pages. Extrait p. 138

20 mars 2013


" Je t'aime comme tu es, mais ne me dis pas comme tu es. "
Antonio Porchia
 

19 mars 2013

L'horrible visage du mourant


"On est parfois horrifié de se découvrir soi-même en un autre."
Julien Green

La peur, l'horrible peur. Celle qui nous saisit devant le mourant qui s'agrippe à notre main, si fort qu'on se demande comment on s'en détacherait s'il venait à expirer à ce moment précis. Risque-t-il de nous emporter vers la Géhenne que nous craignions à ce point son étreinte? Guère, pire: il nous renvoie notre image, visitée par le temps comme ces applications pour iPhone qui vieillissent un portrait en quelques secondes. La bonne trouvaille de ces petits logiciels est qu'en secouant le smartphone, tout redevient normal dans la seconde. Il suffisait d'y penser. 

18 mars 2013

Sagesse de Mark Twain


"Les riches qui pensent que les pauvres sont heureux ne sont pas plus bêtes que les pauvres qui pensent que les riches le sont."
Mark Twain
  
Lu dans:
Franz-Olivier Giesbert. Derniers carnets. Flammarion 2012. J'ai Lu 10275. 223 pages. Extrait p.144

17 mars 2013

Sagesse des gains négatifs


"Papa, aujourd'hui j'ai économisé un euro. - Comment ça? - J'ai couru derrière le bus. - Imbécile, si tu avais couru derrière un taxi tu aurais économisé quatre euros! "
d'après Jean-Christophe Rufin.

Il faut se méfier des gains négatifs, ainsi que du sophisme des "vies sauvées". Quand la sécurité routière se targue d'avoir évité quelques centaines de morts de personnes "n'ayant pas eu d'accident sur la route", les rieurs s'amuseront de cette brève de comptoir selon laquelle si 40% des accidents de la route sont dus à des abus d'alcool, cela signifie que 60% des sinistrés de l'automobile sont des buveurs d'eau. La priorité n'est-elle pas de les interdire de volant? 
 
Lu dans:
Raphael Enthoven. Matière première. NRF Gallimard. 2013. 150 pages. Extrait page 88

16 mars 2013

Le bonheur n'est pas donné


"Il y a 36 définitions du bonheur. Personne ne le voit comme un état stable et merveilleux. Beaucoup de personnes cherchent « le » bonheur mais elles se fourvoient. La seule chose qui est à notre portée, c’est d’avoir une vie globalement satisfaisante. Et, surtout, de diminuer inconvénients, insatisfactions et souffrances. Pour être heureux, il faut être capable d’une relative gestion de soi. Vouloir tout contrôler, par contre, c’est une erreur. Se comparer à d’autres aussi est une source d’insatisfaction. D’abord, bien réfléchir à nos  valeurs et à nos objectifs existentiels : que voulons-nous vraiment dans la vie. (..) Ensuite, il est important de pouvoir observer ses propres comportements et, surtout, les situations dans lesquelles ils se produisent. Nous sommes beaucoup plus dépendants que nous le croyons de l’environnement dans lequel nous sommes. Mais attention, trop d’analyse paralyse."
J. Van Rillaer

JACQUES VAN RILLAER. La nouvelle gestion de soi - ce qu’il faut faire pour vivre mieux ». Mardaga. 2012. 288 pages
PHILIPPE DE BOECK. Le bonheur n’est pas à notre portée. Le Soir Mardi 12 mars 2013.  p.15

15 mars 2013

Sagesse de Forrest Gump


"Je courais toujours pour aller partout, mais je ne pensais pas pour autant que cela allait me mener quelque part."
Forrest Gump

Lu dans:
Franz-Olivier Giesbert. Derniers carnets. Flammarion 2012. J'ai Lu 10275. 223 pages. Extrait p.173

14 mars 2013

Le crayon se taille


"Il était une fois quelqu'un qui écrivait ceci : les mots déjà écrits me retranchent ma main. Et cette main, il se mit à la regarder. Il fit un effort pour se rappeler le nom de chacun de ses doigts, puis il décida que sa main tout entière portait son nom puisque aucune écriture ne ressemble à une autre. J'oublie ce que j'écris, et ma main quand elle travaille oublie mon nom, c'est notre façon d'aller vers le réeL."
Bernard Noël

L’écriture manuelle commence-t-elle à perdre la main, le crayon est-il en train de se tailler: un sondage mené en Grande-Bretagne indique que 40 % des gens n’ont plus écrit à la main depuis six mois. Et vous?
 


Lu dans:
Bernard Noël. Le livre de l'oubli. P.O.L.  2012 75 pages. Extrait pp.40-41
Pierre Bouillon. Faut-il encore apprendre à écrire à la main ? Le Soir. 13 mars 2013. p. 12

12 mars 2013

Les pas d'un homme dans la neige


"Les pas d'un homme dans la neige
Qu'est-il allé chercher
Reviendra-t-il
par le même chemin."
Abbas Kiarostami

On peine à imaginer qu'il soit parti pour de bon. Ce furent les meilleurs des voisins, Sabine et Raymond. Ils veillaient sur notre maison avec sollicitude, gardaient nos clefs, réceptionnaient les colis postaux, ouvraient la porte aux patients si j'étais retenu par le trafic. L'apparition de leurs fauteuils à la terrasse annonçait l'été, le bruit du bouchon la mise à table, le grincement de la porte qu'on ferme la nuit. Il portait chic une moustache à la Brassens, et la même bonté dans les yeux. A deux, ils représentaient dans notre imaginaire "notre quartier" où il faisait bon de revenir après les vacances. Si c'étaient des plantes, on les aurait baptisé des Simples, comme ces plantes de monastère qui guérissent les maux les plus divers sans préparation aucune, poussant au jardin comme un cadeau du ciel. Sabine se retrouve seule depuis ce matin, et pleure sans fin dans la maison de repos qui devait abriter leurs dernières années. Les pas de Raymond se sont perdus dans la neige ce matin, aussitôt recouverts par de nouveaux flocons. L'appartement est loué, les meubles éparpillés, plus de fauteuils en terrasse, plus de bouchon. La neige efface tout, sauf le souvenir qu'on garde des gens bons. 
 
Lu dans :
Abbas Kiarostami. Avec le vent. P.O.L Traduit du persan par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière. 2002. 242 pages. Extrait p.9

Into the Wild, la quête impossible du Graal


«Le bonheur ne vaut que s'il est partagé ».
Christopher Mc Candless. Journal.

C'est un beau film de Sean Penn, "Into the Wild", l'histoire vraie de Christopher McCandless. Jeune lauréat brillant, il quitte tout pour courir l'aventure dans son vieux tacot d'étudiant, qu'il abandonne rapidement, se dirigeant vers l'Alaska où il s'installe dans un vieux bus abandonné. Il y vit des produits de la chasse et de la cueillette. Alors que son chemin semblait avoir conduit le jeune homme à la maîtrise de l'autonomie et de la liberté, l'aventure va se conclure par un échec tragique. Satisfait des huit ou dix semaines vécues dans son refuge, Christopher s'apprête à revenir vers la société. Mais une mauvaise surprise l'attend: la rivière qu'il avait traversée à l'aller s'est transformée, grossie par la fonte des neiges, en un torrent puissant et infranchissable. Il n'a plus de munition pour chasser, est saisi par la faim. Il cueille des baies, se trompe de plante et mange des fruits empoisonnés. Agonisant, il note dans son journal «le bonheur ne vaut que s'il est partagé », et se couche pour mourir. Des chasseurs retrouveront son corps.  


Lu dans:
Hervé Kempf. L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie. Seuil. 2011. 190 pages. Extrait p.110

11 mars 2013

Vie publique, vie privée


"Ronald Reagan a ouvert la voie: en octobre 1989, un an après avoir achevé son mandat de président de la République, il délivrait deux conférences au Japon, à l'invitation du groupe Fujisankei Communications. Sa rémunération: 2 millions de dollars, soit davantage que ce que lui avait rapporté son salaire de président en huit ans."
Hervé Kempf.

Ce commerce d'image avait suscité quelques commentaires acerbes à l'époque, "frappant les narines avec la force d'un sushi vieux d'une semaine" (W. Safire, éditorialiste républicain). Vingt ans plus tard, le fait que des chefs d'État à la retraite fassent commerce de leur célébrité et de leur influence ne choque plus personne que ce soit en conférences, en conseils rénumérés aux entreprises, banques, fonds d'investissement et par la participation à des conseils d'administration. Une bonne gestion de l'image politique, et du carnet d'adresses qui l'accompagne, n'a pas de prix mais suscite quelques (bonnes) questions sur l'objectivité des décisions prises lors du mandat politique lorsqu'on a pareil pactole en ligne de mire. 


Lu dans:
Hervé Kempf. L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie. Seuil. 2011. 190 pages. Extrait p.49

09 mars 2013

Copieur copié


"Il n'y a pas de succès sans copie."
Coco Chanel

Il m'arrive un truc assez drôle: je suis parvenu ce matin à me citer moi-même, croyant citer mon ami Francis Dannemark dans son dernier livre. J'ai quelques excuses certes: une citation isolée de son contexte piquée sur Babelio et qui lui était attribuée, je trouvais la phrase superbe, bien en phase avec mon humeur du moment, je croyais le surprendre au lever ce matin en levant son courrier électronique, je vous laisse lire la suite... 

Cher Carl,
Cela m'a fait grand plaisir, cet écho! Mais ça m’a un peu gêné aussi, car je pense qu'il faut toujours rendre à César ce qui est à César. Surtout avec Internet qui favorise  tellement les dérapages. L'extrait de LVVA que tu proposes, c'est une citation. Et tu en connais l'auteur par cœur et mieux que quiconque...  Je serais vraiment heureux si tu élargissais un peu l'extrait proposé. De cette façon :

« Quand il consulta sa messagerie le dimanche matin, le premier message que lut Max était celui d’un médecin de quartier qu’il connaissait depuis presque trente ans. Les petits bonheurs n’avaient pas de secret pour cet homme et il les partageait par e-mail, au fil de ses lectures et de ses réflexions, avec quelques amis, étudiants et patients. C’était un de ces médecins généralistes devenus trop rares qui prennent le temps d’écouter les gens et qui, les connaissant bien, les soignent avec plus d’affection que de molécules :(..) "Un nouveau jour se lève. Contiendra-t-il un de ces moments d'éternité qui, bout à bout, font notre histoire ? Ces étincelles où on se sent à la fois plus petit qu'un grain de sable et en même temps dilaté dans tout l'univers, où l’on touche à la fois le quotidien et l'éternité. Je vous souhaite une belle journée. »  Quand il descendit au rez-de-chaussée, Max eut la surprise de voir de la lumière qui filtrait sous la porte du bureau de Judith…  ("La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis." Laffont. 2012)
Nous fonctionnons sans cesse entre oubli et mémoire. Les phrases que tu avais écrites se sont glissées dans l’immense réserve des citations qui appartiennent à tous (et deviennent en réalité anonymes), et tu ne les as pas reconnues comme tiennes mais comme justes. C’est une boucle fascinante, qui en dit long sur la façon dont notre esprit fonctionne vraiment, loin de toute vision mécanique ou logique. Tu as fait un emprunt inconscient à un auteur qui n’est autre que toi-même. Cette histoire-là, tu devrais vraiment la partager dans ta rubrique « entre café et journal » ! Elle est trop belle. Amicalement. s. Francis.
C'est chose faite! Je vous souhaite une bonne fin de weekend
CV. 

Aujourd'hui je plonge


"Un nouveau jour se lève. Contiendra-t-il un de ces moments d'éternité qui, bout à bout, font notre histoire?
Ces étincelles où on se sent à la fois plus petit qu'un grain de sable et en même temps dilaté dans tout l'univers, ou l'on touche à la fois le quotidien et l'éternité."
Francis Dannemark

... mais comment s'y prendre, sauf s'en remettre au hasard des événements, pour que ce samedi 9 mars ne soit englouti dans l'oubli des 30.000 journées d'une existence? Prendre une grande décision, mille fois remise, et soudain découvrir qu'on peut s'y tenir. On peut rêver, mais pourquoi pas aujourd'hui le réaliser? 

Lu dans:
Francis Dannemark. La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis. Laffont. 2012. 472 pages.

08 mars 2013

Mères


"Étendue sur une civière,
blême et suturée,
elle se demandait d'où pouvait bien venir
le petit être humide qu'elle avait brièvement aperçu. "
Olga Duhamel-Noyer

J'en connais qui s'y reconnaîtront, dans ce petit être humide désespérément en recherche d'affection de la part d'une mère qui aura fait ce qu'elle a pu. La sacro-saint instinct maternel n'est pas joint au  certificat de naissance. Alors on fait comme si, comme on a lu, comme en a entendu dire, comme on croit devoir faire. Et cela fait des couches et des couches de non-dit, remontant périodiquement comme des bulles de souvenirs venant crever à la surface aux moments les plus inattendus. Pour la mère comme pour l'enfant, il faudra une certaine dose de courage pour accepter de n'être pas ce que les autres veulent qu'on soit. 

06 mars 2013


"Les individus sont des artifices que les gènes ont inventés pour se reproduire."
Pierre-Henri Gouyon
 
Lu dans:
Dominique Dupagne. La revanche du rameur. Michel Lafon. 2012. 345 pages. Extrait p.42
Pierre-Henri Gouyon, Jean-Pierre Henry, Jacques Arnould. Les avatars du gène. Belin 1977

05 mars 2013

Traces fossiles


"L'équipe de l'Anglais Matthew Bennett a mis au jour une vingtaine d'empreintes fossiles d'hominidés dans deux couches sédimentaires de limon et de sable au Kenya. Elles témoignent de caractères modernes comme des doigts de pied courts, un gros orteil parallèle et accolé aux autres, une voûte plantaire et une grande enjambée. Les marcheurs, deux adultes de 1,75 m et un enfant de 92 cm, étaient sans doute des Homo ergaster ou Homo erectus, deux espèces d'hominidés ayant vécu entre 1,9 et 0,2 millions d'années avant notre ère ." 

L'article de Science décrit le type de démarche, l'apparition de la bipédie, la conformité des pas à la marche ou à la course. Il me plaît d'imaginer ces trois humains marchant côte à côte à la recherche de quelques mets pour se nourrir. De quoi parlaient-ils? De quelle joie, de quel projet, de quelle inquiétude?  A en juger par sa taille l'enfant ne devait guère dépasser les 2-3 ans, marchant à peine, et demandant à être porté. Imaginer la chaîne des hasards nécessaire pour que ces traces anonymes croisent ce soir ma rêverie donne le tournis. Il reste à imaginer qu'une trace d'un moment aussi banal de mon existence qu'une marche dans le sable survive 1.5 million d'années pour habiter de manière fugace la pensée d'un hominidé ...   

Lu dans:
Matthew R. Bennett. Early Hominin Foot Morphology Based on 1.5-Million-Year-Old Footprints from Ileret, Kenya. Science 27 February 2009:Vol. 323 no. 5918 pp. 1197-1201
Par Marion Sabourdy,Empreintes fossiles : les plus anciennes preuves d’une bipédie moderne le 23/03/2009ScienceActualité.fr.

Sagesse des cerfs-volants


« - Il est maître des cerfs-volants, dis-je.
Elle parut favorablement impressionnée.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- C'est comme un grand capitaine, mais dans le ciel. »
Romain GARY

Croisé hier quelqu'un de vraiment découragé. On cherche le mot juste, sans aspérité, un message d'envol glissé modestement dans la paume de la main. Surgit l'image du cerf-volant, compagnon des vacances bretonnes en famille, écrasé sur le sable mouillé par un vent mal négocié, les fils entortillés à l'infini. Les enfants perplexes, craignant que la partie soit finie. Un temps interminable est nécessaire  pour débrouiller l'écheveau, épousseter le sable mouillé, colmater une déchirure, réemboîter les baguettes en carbone, et faire revivre le rêve, l'audace, la poésie, la liberté inscrits dans le ciel. Le fil ténu que le vent fait à nouveau chanter entre mon rêve là-haut et mes sandales agrippées à la plage vaut tous les encouragements. 

Lu dans:
Romain GARY. Les Ceifs- Volants. Gallimard. 1983. Folio. 366 pages.
David Khayat. Des larmes et de sang. Odile Jacob. 261 pages. Extrait. Exergue p.11

04 mars 2013

Des limites de la satiété


"Parce que les nombres continuent à l'infini, l'argent est sans limite. De la richesse, nous dit Aristophane, on n'a jamais assez. Le pain, le sexe, la musique, le courage, tous finissent par rassasier l'appétit, mais non l'argent. Il est impossible de mettre un frein au désir de fric. Si un homme reçoit treize pièces, il aspire à en avoir seize, et lorsqu'ils les possède il considère la vie insupportable à moins d'en gagner quarante. La nature impose des limites strictes à la taille d'un individu et à sa durée de vie, mais il n'existe aucune limite semblable pour l'argent. (..) A côté d'un milliardaire, le millionnaire est pauvre."
D. Tammet.
   
Lu dans:
Daniel Tammet. L'éternité dans une heure. Les Arènes. 2012. 304 pages. Extraits p.220, 223

03 mars 2013

Une décroissance heureuse


"La production d'énergie exige elle-même une certaine consommation d'énergie, dont le volume varie selon la difficulté d'accès de la ressource et l'état de la technologie. Du fait de l'épuisement des ressources les plus accessibles, il faut maintenant dépenser de plus en plus d'énergie pour produire une quantité donnée d'énergie utilisable. (..) Au début du XXème siècle, un baril de pétrole suffisait à réaliser les différentes opérations servant à produire 100 barils de pétrole. Le même baril ne générait plus que 35 barils dans les années 1990, 12 en 2007 - et ce taux continue à baisser."
Hervé Kempf

Se définissant joliment comme « objecteur de croissance », Hervé Kempf assure depuis sa création en janvier 2009 la rédaction de la chronique hebdomadaire « Écologie » du quotidien Le Monde. Dans un petit ouvrage qui se lit d'une traite, "phosphorescent d'idées" l'auteur renouvelle l'écologie politique en balisant les possibilités d'une décroissance choisie et heureuse. On ne refait certes pas le monde en un jour, mais ma vision de mon monde en a été sans aucun doute modifiée. Il fait partie des livres que j'offrirais à mes amis rien que pour le plaisir d'enrichir nos conversations ensuite. 
Lu dans:
Hervé Kempf. La fin de l'Occident, naissance du monde. Seuil. 2013. 155 pages. Extrait p.49.  

01 mars 2013

Un dernier miaulement avant immobilisation


"Déjà l'odeur s'est modifiée. Et le rythme de ma respiration. Je pose une petite boule sur le plateau, je prends le temps de la caresser, nous nous apprivoisons, et hop en route ! Le bonheur de sentir pieds et mains se coordonner sans effort, la terre me guide, je l'écoute, nous nous aimons, juste la bonne teneur en humidité, l'argile se creuse et s'érige, le plaisir vient, la forme également, encore quelques tours, les deux plateaux gémissent en sourdine, un dernier miaulement et, lentement, s'immobilisent. Je lisse avec une petite éponge. Savoure le silence. A l'aide d'un fil métallique, je coupe précautionneusement à la base et je transporte le bol sur la grande table où sèchent déjà d'autres pièces. Je la contemple mon oeuvre. Mais oui, elle existe ! Avec un mélange d'aplomb et de modestie. "
 
Avec ces lignes d'un érotisme subtil je vous souhaite un bon weekend
CV.
 
Lu dans :
Claude Pujade-Renaud. Dans l'ombre de la lumière. Actes Sud. 2013. 304 pages. Extrait p 168-169

Habiter le vide immense


 "Je vous appelle. Je jette votre nom dans le vide dans l'espoir insensé qu'il le comble."
L. Georjin

On se souvient des chants désespérés qui font les chants les plus beaux: plus grande est l'absence, plus grande est la présence potentielle. Une main vide est un néant plus petit qu'une salle déserte, et plus grande est la salle vide, plus de choses elle peut contenir. Nos utopies se nourrissent du vide qu'elles occupent, et dans lequel elles s'épanouissent. Et pourtant... Les grandes utopies jouent ce rôle dynamique qui élargit le champ des possibles, permettent de mobiliser les énergies, mettent en mouvement l'imagination et la volonté humaine. Plus la ligne d'horizon se brouille, plus s'applique la réflexion de Ricoeur selon laquelle une société peut fonctionner sans idéologie, mais pas sans utopie, " car ce serait une société sans dessein ".

Lu dans
Laurent Georjin. Portraits en forme de nuage qui passe.  Esperluète Editions. 2009. 94 pages. Extrait p. 30
Mireille Delmas-Marty. Résister, responsabiliser, anticiper. Seuil. Coll. Débats. 2013. 196 pages.