31 décembre 2013

Saut d'année


"Cette graine que je tiens
dans le creux de ma main
qu'en naîtra-t-il     demain
un roseau     ou un chêne
quelque plante de jardin
(..) pourvu que je lui trouve
bonne terre     qui la couve.
Ainsi         bonne graine
attends

(..) Cet amour     que tu tiens
dans le creux de ta main,
qu'en naîtra-t-il demain
mon bonheur      ou ma peine
ou mes regrets       
        sans fin. "
        E. Granek

Dans quelques heures se tourne la page d'une année. Que nous réserve la suivante? Savourons le bonheur de l'ignorer encore et de nous souhaiter le meilleur.
Bonne et heureuse année 2014

Lu dans :
Esther Granek. Portraits et chansons sans retouches. Préface de Flora Groult. Ed. Saint-Germain des Prés. 1976. 61 pages. Extrait p.20

29 décembre 2013

Par temps clair de fin décembre


"Par temps clair, hiver pur, été sec, la plus belle lumière est celle de la fin du jour, rasante, intense, dorée, sœur vive des ombres longues et promesse du repos de la vie. Rembrandt suggère qu'il peut y avoir des fins de vie éclairées de cette lumière-là, vies de vieux hommes « rassasiés de jours », et que douleur, joie et sagesse ont passées au tamis."
Claude Roy

Belle description de la lumière rasante de cette fin d'après-midi, par temps pur. Une poule faisane échappe sous nos yeux au tir croisé de cinq chasseurs, laissant leur chien rapporteur bredouille. On rit sous cape, en voilà une qui aura des choses à raconter à son faisan ce soir. La tempête a abattu un vieux sapin lui aussi "rassasié de jours", la tronçonneuse lui donne une seconde vie sous forme de bûches qui rougiront dans l'âtre. Une journée ainsi s'achève, comme l'année, tissée de récits et d'événements minimes qui ensemble forment la toile contrastée de nos vies. 


Lu dans :
Claude Roy. La fleur du temps. Ed Gallimard 1988. NRF. 357 pages. Extrait p.330


"En moi
ce besoin
de poser l'oreille
contre terre
D'écouter cogner
le coeur du monde
Pour entendre
le mien."
L. de Groot


Lu dans: 
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extrait p.98

28 décembre 2013

Art et dérisoire


"Chacun apprend les répliques de son rôle
sans pouvoir lire la pièce en entier
on joue mal on joue bien
parce qu'on ne connaît pas le sujet ."
 Robert Mallet

Une découverte du nouveau centre culturel de Dunkerke, battu par les embruns de la mer du Nord qui le borde, laisse rêveur. Entre un miroir que l'artiste a arrosé de son sperme pour l'immortaliser et une chaise Ikea oubliée dans un coin, l'esprit se repose. Mal nous en prend si nous tentons de nous y mettre, délogé aussitôt par un gardien hilare qui nous intime "qu'on ne s'assied pas sur une oeuvre d'art". Il en rit tant lui-même que je doute qu'il soit dupe, mais fait ce qu'on lui demande de faire et on le comprend bien. J'en sors avec l'impression d'un monde atteint d'une intense lassitude, ayant érigé l'insignifiant et le dérisoire en sublime, me récitant quelques phrases de Beckett ou de Marcel Marien pour qui  "il manque au monde le commencement et la fin. Nous vivons dans le reste."

Lu dans :
Robert Mallet. L'ombre chaude. NRF. Gallimard. 1984. 110 pages. Extrait p.78
Frac . Fond Régional d'Art Contemporain. 503 Avenue Bancs de Flandres, 59140 Dunkerque. Téléphone :03 28 65 84 20 http://www.fracnpdc.fr/

27 décembre 2013

La fièvre de tous les soirs


« C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. "
Georges Bernanos

Un long entretien consacré aux enfants difficiles hier en radio m'a remis la phrase de Bernanos en mémoire. Ces mômes qui ne tiennent pas en place, hurlent, tirent la langue quand on leur parle, paraissent ne rien entendre ni ne rien saisir de ce qu'on leur demande seraient-ils atteints de la fièvre évoquée par Bernanos, ou gagnés par la simple agitation d'une société qui ne se pose jamais? Hypothèse plausible, mais comment expliquer dans ce cas qu'au sein d'une même fratrie tant de différences se notent. Une hyperactivité sans projet et sans cadre réchauffe-t-elle le monde ou l'épuise-t-elle au même titre qu'elle épuise les parents de ces marsupulamis bondissants sans cesse. Faute de les comprendre, il nous reste à les aimer, car plus que d'autres sans doute ils en expriment le besoin. 

Entendu à :
O Positif 26/12/2013 - ADN - Comprendre les enfants difficiles
http://www.rtbf.be/radio/player/lapremiere?id=1881353&e=

26 décembre 2013

Sagesse d'Epicure


"Ce n'est pas tant l'intervention de nos amis qui nous aide mais le fait de savoir que nous pourrons toujours compter sur eux."
Epicure



24 décembre 2013

La promesse de l'aube


"Sempre caro mi fu quest'ermo colle
E questa siepe, che da tanta parte
Dell'ultimo orizzonte il guardo esclude."
    Giacomo Leopardi. L'infinito

« Toujours chère me fut cette colline  
Solitaire; et chère cette haie
Qui refuse au regard tant de l'ultime
Horizon de ce monde. »
    L'infini, trad. Yves Bonnefoy

La vie qui s'écoule m'a appris à apprécier l'obscure clarté d'un ciel étoilé autant que la transparence de l'heure de midi, les tons mordorés du soleil qui se couche et le decrescendo des instruments qui, un à un, quittent la scène. La limite de toute chose, les zones d'ombres, la décroissance deviennent des compagnons aimables. On découvre que la nuit la plus profonde, de par la promesse de l'aube, peut avoir un goût de nuit de Noël, de fête intime partagée, de rêves d'avenir comme autant d'invisibles richesses. Fragile trêve dans une année qu'on vous souhaite heureuse. 

Lu dans:
Leopardi cité par Jean Clair, Les derniers jours. Gallimard NRF. 2013 346 pages. Extrait p.123

23 décembre 2013

On n'achète pas l'amitié d'un Mermoz


"La grandeur d'un métier est peut-être, avant tout, d'unir des hommes:  (..) on n'achète pas l'amitié d'un Mermoz."
A. de Saint Exupéry.

Sans avoir été pilote à l'Aérospatiale, j'eus la chance de pratiquer un métier qui m'a fait rencontrer des Mermoz. Comme le décrit le père du Petit Prince, si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. Il connut bien sûr, privilège des as du ciel, "ces nuits de vol et leurs cent mille étoiles, cette sérénité, cette souveraineté de quelques heures, que l'argent n'achète pas. Cet aspect neuf du monde après l'étape difficile, ces arbres, ces fleurs, ces femmes, ces sourires fraîchement colorés par la vie qui vient de nous être rendue à l'aube, ce concert des petites choses qui nous récompensent". Je connus ces matins lumineux au retour d'une visite de nuit au chevet de vieux patients qui se sont éteints à l'aube, ces fins de consultations où, fourbu, on rejoint ses proches attablés, ces réveillons de l'an où se révélaient toutes les détresses de la ville: que de journées anonymes où, peut-être, j'ai soigné Beethoven. La contrainte stimulante d'une profession qu'on aime, par les rencontres qu'elle autorise, est à elle seule déjà un salaire. 

Lu dans :
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard 1939. Folio 21. 183 pages. Extrait pp 35-36

21 décembre 2013

Appelés à migrer


"Quand passent les canards sauvages à l'époque des migrations, ils provoquent de curieuses marées sur les territoires qu'ils dominent. Les canards domestiques, comme attirés par le grand vol triangulaire, amorcent un bond inhabile. L'appel sauvage a réveillé en eux je ne sais quel vestige sauvage. Et voilà les canards de la ferme changés pour une minute en oiseaux migrateurs. Voilà que dans cette petite tête dure où circulaient d'humbles images de mare, de vers, de poulailler, se développent les étendues continentales, le goût des vents du large, et la géographie des mers. L'animal ignorait que sa cervelle fût assez vaste pour contenir tant de merveilles, mais le voilà qui bat des ailes, méprise le grain, méprise les vers et veut devenir canard sauvage."
A. de Saint-Exupéry

Aujourd'hui c'est l'hiver, et l'heure où les uns et les autres ramènent bulletins et évaluations à leur domicile, fiers ou penauds. Le paradoxe est que ces derniers auront parfois été les plus méritants, n'est pas doué qui veut. Rude tâche que de mener un apprenant vers la connaissance et lui faire découvrir le bonheur de découvrir l'inconnu. Enseignants-passeurs demandés, capables de susciter l'envie d'apprendre chez ces petits canards domestiques qui "ignorent que leur cervelle fût assez vaste pour contenir tant de merveilles."


Lu dans :
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard 1939. Folio 21. 183 pages. Extrait pp 169-167

19 décembre 2013

Déconstruire l'oubli

"Nos souvenirs, on les garde, ils se baladent, ça flotte, ça traîne, ça s’échange… Puis, à un moment donné, on en attrape quelques-uns, on lie une image et une émotion [comme] pour en faire un petit gâteau. (..) Pour y arriver, il faut le faire avec des choses qui ont du sens pour vous. Quand on fait répéter des suites de chiffres à des personnes âgées, c’est d’une crétinerie absolue. Comment voulez-vous vous souvenir de chiffres qui n’ont aucun sens? Il faut que cela ait du sens, que cela apporte quelque chose. (..) L’oubli a ses vertus. Pour être créatif, il faut avoir oublié. L’oubli rend disponible à tout ce qui peut arriver, aux découvertes, aux surprises, à la curiosité, à l’innovation. "
Simon-Daniel Kipman.



Lu dans:
Simon-Daniel Kipman. L'oubli et ses vertus. Albin Michel. 2013.

17 décembre 2013

Une main nue

"Il n’aurait fallu qu’un moment de plus
Pour que la mort vienne
Mais une main nue alors est venue
Qui a pris la mienne."
     Aragon

Serré combien de mains aujourd'hui, geste convenu ou amical. Parmi elles,peut-être une pour laquelle nous fûmes cette "main nue" lui permettant de redémarrer. Cela vaut la peine de se lever le matin.


16 décembre 2013

Insaisissables amours

"L'amour reste à l'épreuve du temps
Le trouver, c'est le chercher sans cesse
L'attendre, le saisir un instant
S'en souvenir pour qu'il reparaisse"
Charles Dumont

Il faut être moine-poète à Scourmont pour parler de l'amour avec pareille justesse, ou Marguerite Duras, qui n'eurent pas tout-à-fait la même vie et disent pourtant la même chose  "Tu es comme mille femmes ensemble ..." / "Cela ne me déplaît pas, d'être mille femmes ensemble pour toi." (Hiroshima mon amour)

Lu dans :
Gabriel Ringlet. Effacement de Dieu. Albin Michel 2013. 297 pages. Extrait p.196
Elizabeth Connor. Charles Dumont: Monk-Poet: A Spiritual Biography. Cistercian Publications. 2007. p. 173-187. 229 pages. Extrait p 173-187

Une vie en panne, faute de vent

"Nous ne demandons pas à être éternels, mais à ne pas voir les actes et les choses tout à coup perdre leur sens, (..) semblables à un voilier en panne, sans vent, sur la mer."
    Antoine de Saint-Exupéry. Vol de Nuit.

L'image du voilier en panne, faute de vent, est belle. Surgissent de notre passé ces souvenirs de Bretagne, de "ces petites villes d'autrefois qui entendaient parler des îles et se construisaient un navire, pour le charger de leur avenir, pour que les hommes puissent voir leur espérance ouvrir ses voiles sur la mer." L'émission Thalassa a suivi durant de longs mois une famille en projet de construction d'un voilier, finalement mis à l'eau et confié au large. De quels navires sommes-nous les rêveurs?
       
Lu dans:
Antoine de Saint-Exupéry. Vol de Nuit. Préface d'André Gide. Prix Femina (1931). Gallimard 1931. 178 pages. Extrait p.156

12 décembre 2013

Dunes à l'infini

"A beau chameau, vaste désert."
Achille Chavée

Je ne l'ai connu que rouspétant contre un fils qu'il décrit ingrat, des voisins bruyants, des amis qui le dénigrent, la fausseté de son chat, le curé devenu black. Sa viande est devenue dure, ses lunettes faiblissent, les prothèses acoustiques deviennent inabordables, le dentier est inadapté par malice du prothésiste dentaire. Il traverse sa fin de sa vie dans une solitude construite à petites touches... "par la faute des autres". Comme il le résume avec un humour glacé "je les déteste, et il me le rendent bien."  


11 décembre 2013

"Il ne faut pas oublier de se souvenir."
Sagesse des comptoirs

Phrase de poivrot ou de poilu, elle m'a fait sourire ce matin.

Lu dans:
Jean-Marie Gourio. Le grand café des brèves de comptoirs. Laffont 2013. 925 pages.

10 décembre 2013

"J'étais si près de toi
que j'ai froid près des autres."
        Paul Eluard. Ma morte vivante.


07 décembre 2013

Sâges

"La sève est toujours jeune."
Gilles Baudry

Ces mots simples prennent vie quand on revoit Mandela dansant à l'aube de ses 90 ans.

Lu dans:
Gabriel Ringlet. Effacement de Dieu. Albin Michel 2013. 297 pages. Extrait p. 108

06 décembre 2013

Mandela dies

"Et dans la tendre mort le capitaine entra vivant encore."
Joseph Kessel

Nelson Mandela est mort ce matin.


Lu dans :
Joeph Kessel. L'équipage. Gallimard 1924. Le Livre de Poche n°83. 250 pages. Extrait p.231

04 décembre 2013

Etoile d'araignée


Comme l'araignée
tisse sa toile
Quand la rosée
s'égoutte sur ses fils
goutte à goutte
dès le premier soleil
Sa toile
devient étoile
au lieu
d'un piège à mouches
Et je l'envie
   Louisa de Groot


Lu dans:
Louisa de Groot. Le Parloir. Ed. Traces de vie. 2005. 100 pages. Extrait p.42    

03 décembre 2013

Sagesse de Sun Tzu

"Dans la guerre, le nombre seul ne procure aucun avantage."
Sun Tzu

On a écrit que Napoléon et le duc de Wellington étaient des patrons de terrain. Wellington reconnaissait la valeur de son adversaire: "Sa présence sur le champ de bataille comptait autant que 40.000 hommes." Pour l'affronter, il se devait d'être lui aussi près de ses soldats, ce qu'il fit avec succès. Conseils avisés que reprend Louis Ferrante dans son petit manuel "Les règles d'or de la Mafia", dont on recommandera la lecture à tous les dirigeants, ainsi que celle de Sun Tzu ( VIème siècle av. J.-C), qui décrit l'attitude à adopter face à la victoire: "Traitez bien les prisonniers, nourrissez-les comme vos propres soldats ; faites en sorte, s'il se peut, qu'ils se trouvent mieux chez vous qu'ils ne le seraient dans leur propre camp, ou dans le sein même de leur patrie. Ne les laissez jamais oisifs, tirez parti de leurs services avec les défiances convenables, et, pour le dire en deux mots, conduisez-vous à leur égard comme s'ils étaient des troupes qui se fussent enrôlées librement sous vos étendards. Voilà ce que j'appelle gagner une bataille et devenir plus fort." 




Lu dans:
Louis Ferrante. Les règles d'or de la Mafia. Les Editions de l'Homme. 2012. 270 pages. Extrait p. 193
Sun Tzu. L'art de la guerre. Flammarion Poche.  1999. 266 pages.

01 décembre 2013

Entre loisirs et travail

"Les mendiants ne travaillent pas, dit-on. Mais alors, qu'est-ce que le travail? Un terrassier travaille en maniant un pic. Un comptable travaille en additionnant des chiffres. Un mendiant travaille en restant dehors, qu'il pleuve ou qu'il vente, et en attrapant des varices, des bronchites, etc. C'est un métier comme un autre. Parfaitement inutile, bien sûr - mais alors, bien des activités enveloppées d'une aura de bon ton sont elles aussi inutiles. [ ... ] Un mendiant, à voir les choses sans passion, n'est qu'un homme d'affaires qui gagne sa vie comme tous les autres hommes d'affaires, en saisissant les occasions qui se présentent. Il n'a pas plus que la majorité de nos contemporains failli à son honneur: il a simplement commis l'erreur de choisir une profession dans laquelle il est impossible de faire fortune".
George Orwell

Qu'est-ce qu'un travail? Intéressante réflexion poursuivie sur le mode de l'autodérision par le philosophe Lars Svendsen qui s'observe au quotidien (il est professeur de philosophie à l'université de Bergen en Norvège), restant parfois quelques jours à la maison en "home working" plutôt que de se rendre à son bureau, passant ses journées sur le divan du salon, ses chats sur les genoux, à siroter son café et à fumer des cigarettes tout en lisant un livre tellement intéressant et distrayant qu'il l'aurait lu de toute façon pendant son temps libre. "Aristote n'aurait pas vu le moindre travail dans ce que je fais; il aurait plutôt considéré cela comme du loisir. Ce n'est qu'assez récemment dans l'histoire de l'humanité, avec l'émergence des professions intellectuelles, que ce que je fais a commencé à être qualifié de métier. " Certains se retrouveront dans cette description, d'autres pas. Par ailleurs, je connais des papys et des mamys dont le quotidien est réglé par un horaire et une liste de prestations soutenant la comparaison avec des travailleurs plein-temps. On a rencontré hier un tandémiste pour aveugle bénévole et une dentellière dont les prestations égalent les miennes en termes d'horaire: travail? pas travail? Assez philosophé pour aujourd'hui, au boulot :).  



Lu dans:
Lars Svendsen. Work. Acumen Publishing 2008. Le travail. trad Léa Drouet. Autrement. 2013. 195 pages. Extrait p.15
George Orwel. Dans la dèche à Paris et à Londres (Down and out in Paris and London). Livre autobiographique de George Orwell (1933). Ed 10/18. 2003; 290 pages