29 septembre 2012

The First Dog


"Le président et sa femme sautent du lit. Il est en teeshirt, il enfile rapidement un short de jogging, entraîne d'un bras Laura qui glisse ses pieds dans ses chaussons mais n'a pas le temps de remettre ses lentilles de contact, prend Barney The First Dog de l'autre, appelle Spot pour qu'il les suive. Laura s'empare du chat, et le couple se hâte derrière l'agent. Dans les couloirs de la Maison-Blanche, le président des Etats-Unis court, pieds nus, suivi par sa femme, ses chiens et chat dans les bras ... Son frère Neil les accompagne. Les maîtres d'hôtel et les huissiers aussi. En chemin, ils croisent Condi Rice et Andy Card qui descendent eux aussi vers le bunker. Bush veut prendre un ascenseur mais les agents l'en empêchent. Ils dégringolent les escaliers un à un jusqu'au rez-de-chaussée, puis les sous-sols. Laura ne voit rien et tient fermement lamain de George. Elle compte mentalement les étages... Les agents les entraînent vers le bunker, ferment la porte blindée avec la serrure pressurisée à l'entrée du tunnel, claquent une seconde porte blindée. Le revoilà dans cette damnée cave..."

Après une journée de chaos total, Le président Bush regagne sa chambre au milieu de la nuit, pour y être réveillé une heure plus tard sous la menace d'un possible cinquième avion kamikaze pointant vers la Maison Blanche. On reste perplexe à la lecture de ce président pris en otage par les services de sécurité durant toute la journée, caché dans les airs et les bases militaires, ce qui l'empêche d'être informé et de prendre la moindre décision. L'avion missile se révèle rapidement être un appareil de la US Air Force. On sourit au récit de cette scène ultime, désopilante, et en découvrant que le chien de la Maison Blanche est appelé The First Dog. Mais qu'une poignée d'êtres résolus - fanatisés - se préparant durant plusieurs années puissent amener pareil désordre fascine, et on ne sourit plus.  

Lu dans:
Nicole Bacharan, Dominique Simonnet. Mardi 11 septembre 2001. Perrin. 2011. 325 pages. Extrait p. 255

28 septembre 2012

L'enfer c'est moi


"Je me suis mis à détester les gens, et ils me le rendent bien."

On entend tant de choses sur une journée, mais certains mots restent plus présents que d'autres. Qu'en peu de termes le mal-être humain peut être décrit. Mieux que jamais, j'ai perçu à quel point la haine est une forme de désarroi.

26 septembre 2012

Le temps le plus tendre


"Ciel de septembre
Plus gris que bleu
Tu te rappelles
L´arbre qui tremble
Au vent de septembre
Et la prairie
Un peu moins verte
(..)
J´aime septembre
A l´ombre bleue
Des feuilles blondes
J´aime septembre
Le temps le plus tendre
Du monde."

Au cœur de septembre
Paroles: Tom Jones. Fr: Eddy Marnay. Musique: Harvey Schmidt

Et si ma vie était une saison, je dirais: septembre.

Lueur, lumière


"Voir nécessite d'en prendre Je temps. La lumière n'est pas nécessairement celle qui éblouit, mais plutôt celle qui lentement finit par s'imposer à l'œil qui s'y s'attache."
Jacques Richard
   
Jacques Richard expose de nouvelles peintures de la série Lumière à l'Espace Senghor, chaussée de Wavre 366 - 1040 Bruxelles
http://jacques-richard.blogspot.be/

25 septembre 2012

La guerre vue par les enfants


"C’est difficile, à 5 ou 6 ans, de comprendre ce qu’est la guerre. Qu’est-ce qui fait que des gens se tuent, que votre père est prisonnier, que votre mère pleure devant vous? À la fin du conflit, on écoutait beaucoup la radio, les bulletins sur l’avancée des troupes alliées. Je me rappelle avoir posé cette question à ma mère, surprenante pour un futur journaliste : une fois que la paix sera revenue, il n’y aura plus de bulletins d’information?"
Bernard Pivot

Lu dans:
Patrice Trapier. Pivot : "Aujourd’hui, les enfants ont les réponses avant de se poser les questions. Le Journal du Dimanche. Dimanche 16 septembre 2012
Bernard Pivot. Oui, mais quelle est la question ? Bernard Pivot, Nil. 272 p.

23 septembre 2012

Vrai mensonge


"Le mensonge social, le mensonge par omission ou par pitié, le mensonge dans le cadre professionnel, le mensonge à son entourage familial, le mensonge à ses enfants, le mensonge à son conjoint, et le pire de tous : le mensonge à soi-même."

Entendu dans la voiture la semaine passée, je ne me souviens ni de la chaîne, ni de l'invité qui prononça ces paroles, mais elles poursuivent leur chemin dans ma tête.  


20 septembre 2012

Raccourcis d'histoire


"Dieu reconnaîtra les siens."
 Arnaud Amaury, abbé de Citeaux

D'Albi, sa place forte, l'hérésie avait gagné l'ensemble du Languedoc. Philippe [Philippe Auguste, roi de France] ne prit pas part à l'expédition, mais laissa les seigneurs du Nord accourus en grand nombre à l'appel de l'Église, y participer. Cette guerre fut sauvage. À Béziers (1209), par exemple, les nordistes massacrèrerit toute la population. Le légat du pape Arnaud Amaury, abbé de Citeaux, mis au courant de l'impossibilité de distinguer, la ville prise, les catholiques des hérétiques, aurait déclaré: «Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens." Si des historiens, parmi lesquels Régine Pernoud, ont mis en doute la véracité de cette parole, le sac de Béziers fut bien réel. 

Ironie du hasard, je lis simultanément dans Le Monde le récit du massacre des camps de Sabra et Chatila, les 16 et 17 septembre 1982, supposés infiltrés par deux milliers de terroristes palestiniens, impossibles à trier de la population réfugiée; Ariel Sharon, ministre de la Défense, a cette formule lapidaire  "Alors on va les tuer, tous. Il n'en restera aucun." La tuerie sera réalisée par les alliés phalangistes et les milices libanaises, tandis que l'aviation israélienne éclairera les camps. Un sinistre décompte révélera qu'il n'y avait dans les deux camps ni 2 000, ni 1 000, ni 500 « terroristes » : les forces de l'OLP avaient bel et bien évacué Beyrouth. A l'ambassadeur américain Morris Draper qui marque des réticences devant l'imminence du carnage, Ariel Sharon se veut rassurant "Vous craignez d'être soupçonné d'être de mèche avec nous? Niez-le et on le niera." 

Lu dans:
Jean-Claude Barreau. Toute l'histoire de France. Editions du Toucan 2011. Le Livre de Poche n°32677. 285 pages. Extrait p. 64-65
Sylvain Cypel. Le « massacre évitable » de Sabra et Chatila. Article paru Le Monde du 18.09.12 

19 septembre 2012

Une immense attente


"Temps de plénitude: il faut peu de temps pour unifier une vie humaine. Joie comme s'il n'y avait plus de limites. Mais en même temps une grande lassitude de tout et une immense attente d'autre chose."
Jean Sulivan

Ecrits prémonitoires de Jean Sulivan, qui décède peu de temps après, écrasé par une voiture sur la route de Suresnes. Ils me reviennent en mémoire en découvrant ce matin dans le MAD la description que fait de Noémie Lvovsky de son dernier film:  "Bien sûr. Il y a quelque chose de magnifique qu’on peut retrouver à l’âge adulte et qui a été un des moteurs de Camille redouble, cette période où on a tous les âges, y compris ceux qu’on n’a pas encore eus. Comme le tronc d’arbre coupé, où on voit toutes les strates. Et l’adolescence est évidemment une période où on a tous les âges. On peut se poser des questions philosophiques et existentielles mais aussi avoir une mentalité de vieillard. On peut avoir une énorme maturité et garder en même temps la candeur du petit enfant." 

Comme le suggère Daniel Couvreur dans une critique élogieuse du film, "serait-il possible de changer le cours mystérieux de la vie pour basculer dans le bonheur d’une nouvelle vie ? Nous en avons tous rêvé (..), d'évacuer les regrets enfouis au fond de l’âme pour se sentir enfin en paix avec nous-mêmes. (..) Si le temps empruntait d’autres voies que celles du passé, il y a peut-être dans cet ailleurs improbable une façon de vivre différente, la possibilité de choisir sa vie plutôt que de se laisser dicter son destin. On n’a qu’une seule vie. Il est peut-être temps de la recommencer."

Lu dans :
Fabienne Bradfer. Noémie Lvovsky tente le passé recomposé. Le Soir, MAD du mercredi 19 septembre 2012, p.2-3
Jean Sulivan. L'écart et l'alliance. NRF. Gallimard. 1981.155 pages. Extrait p. 12

"Ouvrez, c'est l'infortuné Roi de France !"

Le 27 août 1346 au soir de la bataille de Crécy, blessé et hagard, Philippe VI, roi de France, trouve refuge avec une petite escorte au chateau de Labroye. La guerre de Cent ans commence par une querelle entre deux cousins revendiquant le trône de France. D'un côté Edouard III, prétendant de la cour de Londres, soutenu par une armée d'archers disciplinés, remarquables tireurs qui ne manquaient pas leur but à deux cents mètres (plus loin que les fusils à l'époque de Napoléon, 5 siècles plus tard) et pouvaient lancer douze flèches à la minute. De l'autre, Philippe de Valois défendu par une vaste coalition bien supérieure en nombre de chevaliers médiévaux en armure qui se battaient selon les règles des tournois. Les premiers engagements débutent mal pourtant pour Édouard III, qui après avoir jeté sur le continent une armée de trente mille hommes, se voit contraint de battre en retraite, poursuivi par les soixante mille hommes du roi de France. Acculé à livrer bataille après avoir franchi la Somme, il choisit une position de combat près d'Abbeville et se voit attaqué le 26 août 1346 par les charges furieuses mais désordonnées des chevaliers de France. Dans une sorte de folie générale on assure avoir vu Philippe VI lui-même pointer son épée en l'air en hurlant : "Je vois mon ennemi, et par mon âme, je veux l'affronter !". Le soleil était couché que ceux-ci chargeaient encore avec un héroïsme vain. Quand on put compter les morts, les Anglais n'avaient perdu que cent hommes et les Français quatre mille, dont mille cinq cents chevaliers.  Dans toute l’Europe, la nouvelle se répand et fait l’effet d’un coup de canon: la chevalerie la plus glorieuse d’Europe s'est fait anéantir par des archers et de la piétaille prudente. Historiquement, Crécy marque le début de la fin de la chevalerie en tant qu'ordre militaire d'élite. La supériorité d'une armée professionnelle, régulière et bien organisée sur une cohue féodale, certes courageuse, mais d'un autre temps, sera la clé des victoires anglaises de la Guerre de Cent Ans.
On reprendrait volontiers ses manuels d'Histoire pour connaître la suite...

Lu dans:
Jean-Claude Barreau. Toute l'histoire de France. ditions du Toucan 2011. Le Livre de Poche n°32677. 285 pages. Extrait p. 81-82

18 septembre 2012

Se souvenir, c'est oublier


"L'archivage permanent de nos vies personnelles, en démultipliant la mémoire, contribuer à l'affaiblir."
Monique Atlan, R.P Droit

"Ce qu'on inscrit quelque part, on l'oublie facilement. On semble bien loin désormais de cet "ars memoriae", pratiqué dans l'Antiquité qui permettait de retenir des livres entiers, voire des biblio, en s'organisant mentalement une sorte de palais de la mémoire où l'on associait des souvenirs à chaque pièce du palais, que l'on pouvait revisiter à loisir, mentalement. En reliant un itinéraire dont on connaissait les moindres détails avec les différents chapitres et paragraphes d'une œuvre, on la gravait dans son esprit. Mais, différence notable avec la mémoire numérique, il ne nous reste plus désormais que le souvenir des chemins, l'itinéraire vers l'information, et non son contenu. Les anciennes techniques de mémorisation permettent mieux comprendre combien notre mémoire est sélective, comment elle oublie pour ne conserver que ce qui compte ou ce qui lui convient. Pour une mémoire humaine, il n'y a d'histoire, de conservation et de transmission des « faits mémorables» qu'en fonction d'une sélection, d'une hiérarchisation et d'un oubli de l'inessentiel. Au contraire, la mémoire numérique commence par tout archiver de nos souvenirs personnels - sans tri, sans choix. Nous prenons plus de photos qu'on n'en prît jamais, et nous ne les regardons presque pas. Nous engrangeons toujours plus de vidéos, sans jamais les visionner. Si nos existences sont ainsi enregistrées - d'année en année, de mois en mois - et restent en vrac dans les disques durs, on approche alors d'une sorte de paralysie du jeu de notre propre mémoire qui devient fixée, figée et comme inhabitable. "
Lu dans :
Monique Atlan, Roger-Pol Droit. Humain. Une enquête philosophique sur ces révolutions que changent la vie. Flammarion. 2012. 545 pages. Extrait pp 319,320,321  

16 septembre 2012


"Avantage de la civilisation dominante: sécrétant en elle-même ses propres oppositions, elle englobe. Ainsi peut-elle exploiter et réprouver l'exploitation Elle a toujours un profil innocent à montrer. Elle réprime ses insurgés mais les suit dès qu'il n'est plus possible de tenir ses positions, affermissant d'autant plus sa domination. "
Jean Sulivan

Lu dans:
Jean Sulivan. L'écart et l'alliance. NRF. Gallimard. 1981.155 pages. Extrait p. 69-70 

15 septembre 2012

Le plein et le vide


"Il me dit que la soirée passée hier chez des amis l'a déçu. Je lui demande ce qu'il en attendait. Il ne sait pas trop, rien de particulier, pourtant il est déçu. Peut-il y avoir une déception sans attente, avec une attente qui ignore ce qu'elle attend, qui attend plus ou autre chose, une attente de l'inattendu? En fait, la soirée s'est déroulée comme il pouvait s'y attendre : un bon repas, une conversation enjouée, etc. Une excellente soirée, décevante. (..). Cet homme se reproche souvent d'être trop paisible, de s'être aménagé une existence où il ne manque de rien. « Une réussite à tous égards, ma vie.»
J.-B.Pontalis

Le rêve contemporain: se construire une existence où on ne manque de rien, à moindre risque, stable à tous égards. Cela a un prix, souffrance qu'on nomme de mille manières, et qu'on a aujourd'hui médicalisée. La plus belle description qu'il me revienne a les traits de Vladimir et Estragon, sur scène, dans un non-lieu (« Route de campagne avec arbre ») à la tombée de la nuit pour attendre « Godot ». Cet homme - qui ne viendra jamais - leur a promis qu'il viendrait au rendez-vous ; sans qu'on sache précisément ce qu'il est censé leur apporter, il représente un espoir de changement. En l'attendant, les deux amis tentent de trouver des occupations, des "distractions" pour que la vie passe. Un demi-siècle plus tard, l'absurde s'est teinté pour beaucoup d'une désespérance liée à la fatalité économique, elle aussi sans attente, à côté de laquelle la déception comblée décrite par Pontalis fait sourire. De la boîte mystérieuse ouverte par Pandore, libérant malencontreusement tous les maux de l'humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, seule la dernière, plus lente à réagir, ce mal mystérieux et doux nommé Espérance, parfois traduite comme "l'attente de quelque chose", y resta enfermée. Qu'elle ne se soit pas échappée permettait jadis à l'homme d'affronter tous les autres maux. Comment Hésiode (VIIIème siècle avant J.C) réécrirait-il le mythe de Pandore en 2012?

Lu dans:
J.-B. Pontalis. Fenêtres. Gallimard 2000. Folio 3642. 175 pages. Extrait p. 55
Broché: 124 pages
Samuel Beckett. En attendant Godot. Editions de Minuit 1995 (1ère édition 1952), 124 pages 

La tyrannie du choix


"La liberté de choisir : son école, son métier, son fournisseur d’électricité, son médecin, son mode de vie, son genre sexuel, sa mort… C’est le credo des sociétés occidentales, individualistes et dérégulées. Tout se passe comme si nous maîtrisions tous les aspects de notre existence, comme si tout était possible pour qui le voulait vraiment, comme si tout n’était qu’une question de choix et donc de rationalité. (..).
R. Salecl



Le paradoxe est que même les gens qui ont de moins en moins le choix dans leur vie supportent toujours cette idéologie du choix – et c’est sa force. L’exemple des Etats-Unis est assez frappant à cet égard. L’idéologie du libre-choix y est si profondément ancrée que bon nombre de personnes pauvres ou de précarisés ne soutiennent pas la réforme des soins de santé, qui tend à imposer un système de sécurité sociale universel. Ou alors ils ne soutiennent pas les propositions visant de taxer les riches car ils croient que leurs enfants le deviendront un jour : « Si mon fils devient un nouveau Bill Gates, je ne veux pas qu’il se fasse tondre par le fisc. » C’est le cœur de l’idéologie du capitalisme : celle du self-made-man qui, s’il le veut vraiment, peut passer du statut de très pauvre à celui de très riche… 

Lu dans:
Renata Salecl. La tyrannie du choix. Albin Michel. 2012. 224 pages

14 septembre 2012

Ce mot fort et doux, l'espoir


"Parler de la séparation, ce n'est qu'une autre façon de dire l'amour."
R. Grenier

Dakota du Nord. Des milliers de travailleurs, poussés par la crise économique tentent de revivre le rêve américain en extrayant le pétrole de schiste, 12 heures par jour et sept jours sur sept. Seuls, logés dans des containers ou dans leur voiture, loin de chez eux. L'un d'eux confie qu'il ne changerait sa place pour rien au monde: il a retrouvé l'espoir. Le prix payé pour la sauvegarde de l'environnement collectif et de la santé individuelle de chacun d'eux est effroyable, on paiera les factures plus tard. L'émission Envoyé spécial de ce jeudi soir a trouvé le ton juste pour évoquer ce mélange d'espoir et de désespoir. 

Lu dans:
Roger Grenier. Le palais des livres. NRF Gallimard. 2011. 165 pages Extrait p 94 

13 septembre 2012

Parce que c'était lui, parce que c'était moi


"Nos ames ont charié si uniment ensemble : elles se sont considerees d'une si ardante affection, et de pareille affection descouvertes jusques au fin fond des entrailles l'une à l'autre : que non seulement je cognoissoy la sienne comme la mienne, mais je me fusse certainement plus volontiers fié à luy de moy, qu'à moy.  »
Montaigne , en parlant de son ami La Boétie

«Quand j'essaie de définir ce bien qui depuis des années m'est donné », écrit [Marguerite Yourcenar] à propos de sa longue et intime collaboration avec Grace Frick, «je me dis qu'un tel privilège, si rare qu'il soit, ne peut cependant être unique; qu'il doit y avoir parfois, un peu en retrait, dans l'aventure d'un livre mené à bien, ou dans une vie d'écrivain heureuse, quelqu'un qui ne laisse pas passer la phrase inexacte ou faible que nous voulions garder par fatigue; quelqu'un qui relira vingt fois avec nous s'il le faut une page incertaine; quelqu'un qui prend pour nous sur les rayons des bibliothèques les gros tomes où nous pourrions trouver une indication utile, et s'obstine à les consulter encore, au moment où la lassitude nous les avait déjà fait refermer; quelqu'un qui nous soutient, nous approuve, parfois nous combat; quelqu'un qui partage avec nous, à ferveur égale, les joies de l'art et celles de la vie, leurs travaux jamais ennuyeux et jamais faciles; quelqu'un qui n'est ni notre ombre, ni notre reflet, ni même notre complément, mais soi-même; quelqu'un qui nous laisse divinement libre, et pourtant nous oblige à être pleinement ce que nous sommes».
Cette collaboration unique dans «les joies de l'art et celles de la vie» s'est terminée l'année dernière, juste quelques mois avant l'élection de Marguerite Yourcenar à l'Académie française [6 mars 1980], quand Grace Frick est morte à la veille de la plus grande gloire de son amie. Durant des années Yourcenar avait soigné sa compagne au fil de sa longue maladie, prenant du retard dans son travail, interdisant les traductions par d'autres de ses ouvrages déjà terminés. «Laisser quelqu'un d'autre traduire mes écrits avant que Grace eût quitté ce monde, c'eüt été lui dire que sa vie était déjà finie. Je ne pouvais pas faire cela.»
 

Lu dans:
Bérengère Deprez. Marguerite Yourcenar et les Etats-Unis. Du nageur à la vague. Racine. 2012. 208 pages.  

12 septembre 2012

Liberté intérieure


"Une dame, dans le train, un panier sur les genoux, un chat dans le panier. Les gens disent: Vous pouvez le laisser aller, il est si gentil, il sera plus libre. Il est libre, dit-elle, dans le panier."
Jean Sullivan

Lu dans:
Jean Sullivan. L'écart et l'alliance. NRF. Gallimard. 1981.155 pages. Extrait p. 65 

11 septembre 2012

Travail, richesse


"Le travail éreinte, tue et n'enrichit pas: on amasse de la fortune, non en travaillant, mais en faisant travailler les autres."

Jean-Luc Mélenchon évoquant Bernard Arnault, septembre 2012 ? Nenni, Paul Lafargue, socialiste français, gendre de Karl Marx, dans un article écrit en 1886. En ce temps-là régnait l'injustice et la lutte des classes. 


Lu dans:
Patrick Rambaud. Quatrième chronique du règne de Nicolas 1er. Grasset. 2011.178 pages. Extrait p.26 

09 septembre 2012

Pour l'amour de Babette


"Martine sursauta en apercevant un chargement de bouteilles qui arrivait dans la cuisine. Elle prit une des bouteilles et dit à voix basse: - Qu'y a-t-il là-dedans, Babette? Ce n'est pas du vin, j'espère? - Du vin, Madame? s'écria Babette. Oh! non! c'est du clos-vougeot 1846. Et elle ajouta : - Il vient de chez Philippe, rue Montorgueil. Martine ne s'était jamais doutée que les vins puissent porter des noms."
Karen Blixen. Le dîner de Babette.

Je souriais volontiers jadis en observant des connaisseurs renifler leur verre. Ayant mesuré depuis cette époque ce qu'il faut de métier, d'amour et de patience pour transformer du soleil en vin je ne souris plus guère quand un ami remonte de sa cave un cru titré et millésimé à seule fin de me signifier son amitié. Relisant "Le festin de Dabette", on s'aperçoit avec humour que lorsque des amis "reçoivent" ils se donnent en fait, et qu'il y a mille manières de signifier l'amour.
Lu dans:
Karen Blixen. Le dîner de Babette. Gallimard 1961. Folio n° 2007. 255 pages. Extrait p.49 

08 septembre 2012

Au bureau des affaires discrètes


"Dans les locaux de l'ambassade de France à Moscou, il existe une pièce appelée "la chambre sourde". On peut y parler en toute sécurité, à l'abri des micros indiscrets."
Isabelle Hausser

Beau roman allégorique de l'enfermement d'un diplomate qui se mure dans ses soupçons et imagine son propre malheur conjugal, cette chambre sourde réverbère en moi le meuble que je chéris entre tous: le bureau en bois massif de mon cabinet de consultation. A chambre sourde, bureau muet. Possède-t-on jamais pareil objet, qui transite par nos existences et nous survivra sans aucun doute, emportant les confidences, joies et souffrances confondues de milliers de patients. Le grand-père médecin de mon épouse y travailla un demi-siècle, j'y aurai moi-même bientôt passé près de quarante ans. Il aura été un confident discret, offrant sa surface généreuse aux coudes, aux petits billets raturés, aux larmes d'une dizaine de générations successives, d'inconnus improbables que rien ne rapproche, les rassurant par sa simple permanence comme on retrouve un être cher. Sa présence, - même aspect sans âge, solidité, reflets usés sur la marqueterie, localisation inchangée dans un cabinet sans style défini, odeur de cire d'abeille et tabac de Virginie - a davantage rasséréné les anxieux que ne le firent nos paroles, ou est-ce l'alchimie des deux ? Certains soirs je l'interroge: que comptes-tu faire de ta vie future, cher ami-meuble. Le bois travaille quel que soit son âge chuchote-t-il, pas de souci.  
       
Lu dans:
Isabelle Hausser. La chambre sourde. Editions de Fallois. 1998. 364 pages. Extrait page 4 de couverture.

07 septembre 2012

"Vas vers toi même.
Va pour toi      vers celui que tu es
celui que tu dois être
seul. "


Lu dans :
Genèse 12.1 - 17.27 

06 septembre 2012

Amours sans pareilles


"Mr Wilkins n'en avait pas cru ses oreilles. «Mais enfin, ma chère, à son âge ... Il y a plus d'une sorte d'amour», avait répondu Lotty."
Elizabeth von ARNIM, Avril enchanté 

Soudain revivent dans ma mémoire Gabrielle et Roger, disparus il y a une quinzaine d'années. Elle était bossue, il était borgne. Jamais couple aussi désappareillé ne fut pourtant mieux assorti. Vingt ans les séparait, elle était son aînée. Une vie commune sans passion ni romantisme, tissée de gestes affectueux qui permettent d'oublier qu'on est né sous le signe de pas de chance.  Partager la même table aidait Roger à ne pas boire et augmentait l'appétit de sa compagne. Il se tracassait pour sa santé fragile, et son âge. Un cancer mauvais l'emporta en six semaines, trois mois avant elle. Je la retrouvai un jour raide morte, coincée entre la table de nuit et le lit. On ne voulut pas l'incinérer car elle portait un stimulateur cardiaque et que son modeste forfait funérailles ne comportait pas de budget pour le lui enlever. Je m'acquittai de cette tâche, le soir même, seul dans sa chambre, avec une instrumentation de fortune, méditant sur la vie et la mort des couples célèbres, et des autres. 

La citation de E. von Arnim a été lue dans:
Francis Dannemark. La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis. Laffont  2012. 475 pages. 

05 septembre 2012

Heureux les doux


"On cherche tous l'amour. Y a-t-il un seul amour qui égale celui des innocents? Mais de celui-là, qui en veut?"
Armel Job

Quelques mots simples, et des visages familiers nous apparaissent, ouverts, offerts dans leur beauté nue et dans une dépossession totale; "pauvres en esprit", ils nous expriment une affection sans arrière-pensée. Mais comme le suggère bien Armel Job, de ceux-là, qui en veut? 


Lu dans:
Armel Job. Loin des mosquées. Laffont. 2012. 275 pages. Extrait p.273  

04 septembre 2012

Une infinie attente


"Le malheur, c'est quand il n'y a plus d'attente possible. Jean Paulhan, dans une lettre de septembre 1923 à Francis Ponge parle de « l'admirable prosopopée d'un missionnaire, le père Bridaine, je crois, qui supposait que les damnés ne cessaient de demander: "Quelle heure est-il?" et qu'une voix terrible ne cessait de leur répondre: "L'étemité l" »
Jean Paulhan, Francis Ponge, Correspondance

Alain-Fournier, auteur du Grand Meaulnes, confiant ses amours tourmentées ne les contredit guère: « Voilà: cette femme est revenue. Elle m'a attendu, sur un banc de l'avenue, un soir, deux soirs, dix soirs. Elle disait: "Le temps n'est pas long quand on est sûr que celui qu'on attend ne viendra pas." Une fois, elle s'est endormie! »

Lu dans:
Jean Paulhan, Francis Ponge, Correspondance t. I, Gallimard, 1986, p.19.
Roger Grenier Le palais des livres NRF Gallimard. 2011. 168 pages. Extraits pages 35-36 et 45

03 septembre 2012

Comment apprendre à parler flamand avec deux doigts


"Je sais tant de choses et ça m'aide si peu."
Francis Dannemark

Les années n'y font rien, l'émotion demeure au son de la cloche qui met nos gosses en rang ce premier lundi de septembre. "C'est comment qu'on apprend le flamand?" s'interroge notre Jim au moment d'entrer en immersion en troisième maternelle. Que retiendront-ils de tant d'heures sur les bancs de l'école? Le "gai savoir" aura pour certains la saveur d'une soupe à la grimace. Scène de rue anderlechtoise la semaine passée: un homme délabré patiente devant le bureau de chômage, plaisante, sort un harmonica de sa poche et se met à en jouer divinement bien. Qui lui a appris, quelle méthode? La même sans doute que celle qui permit à Django Reinhardt le Manouche de Liberchies (Belgique) de créer de la beauté avec une main amputée de trois doigts sur une guitare. Bonne chance les petiots, même si vous n'avez que deux doigts dans la tête rien n'est perdu. 

Mon ami Francis Dannemark nous livre un nouveau roman de rentrée, sans sujet autre qu'une vie qui s'égrène avec ses espoirs, ses factures de gaz, le printemps qui tarde et une maison aux portes grandes ouvertes. Un certain art de vivre prête aux paroles chuchotées, aux confidences sur le divan devant l'écran où chaque semaine s'improvise un ciné-club réunissant des êtres habités par une douceur bienveillante des sentiments. On se prend à rêver à la mythique Maison bleue chantée il y a quarante ans par Maxime Le Forestier, qui devait y ressembler. Les années ont passé, San Francisco n'est pas Bruxelles, la petite musique d'un quotidien sans prétention demeure.    

Lu dans:
Francis Dannemark. La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis. Laffont  2012. 475 pages. Extrait page 182-183

01 septembre 2012

Hospes Comesque


"Quelqu'un qui n'est ni notre ombre, ni notre reflet, ni même notre complément, mais soi-même; quelqu'un qui nous laisse divinement libres, et pourtant nous oblige à être pleinement ce que nous sommes. Hospes Comesque."
Marguerite Yourcenar, évoquant sa compagne Grace Frick.

Qu'en peu de mots tout un art d'aimer, de transmettre, d'éduquer, de prendre soin se résume. Grace Frick, l'amie et la collaboratrice d'une vie, s'éteint quelques mois avant l'élection de Marguerite Yourcenar à l'Académie française. La mention Hospes Comesque, reprise sur la stèle de cette dernière à Brookside Cemetery, sont deux mots des seuls vers qui nous soient conservés d'Hadrien (il parle de son âme, "hôte et compagne" de son corps). On aimerait avoir pareille pierre tombale.  


Lu dans :  
Bérengère Deprez. Marguerite Yourcenar et les Etats-Unis. Du nageur à la vague. Racine. 2012. 208 pages. 

Lune démodée


"C'était nouveau     C'est très vieux maintenant
Malgré le voisinage d'étoiles assez nombreuses
et de galaxies à ne savoir qu'en faire
la lune se sent bien seule dans le ciel de l'été
Il n'y a plus de Bonhomme habitant de la lune
Aucun Américain ne marche sur son sol
La lune est démodée     Elle le fut toujours
Mais cette grande orange est belle dans la nuit."
    Claude Roy. (28.8.1991)

Pleine lune hier soir, Neil Armstrong s'y promène peut-être, seul désormais. Nos yeux découvrent Mars, mais la magie est absente, liée à la confrontation de ce que nos propres yeux pouvaient voir, - ce disque lumineux blanchâtre qui berce nos nuits toute une vie -, les images télévisées d'un homme qui s'y déplace et la part du rêve. Bien malin celui qui identifie Mars le soir en levant les yeux au ciel, et le déplacement d'un robot aussi curiosity fût-il, ne procure pas l'émotion de la fragilité d'un homme perdu dans l'immensité à explorer.

Lu dans:
Claude Roy. Les pas du silence. NRF Gallimard. 1993. 270 pages. pp 95.96