30 novembre 2011

Un bonheur infime

"Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme."
Alexis de Tocqueville. De la Démocratie en Amérique


29 novembre 2011

La vie comme un tram

"C'est fou, on court pour un tram et demain je ne serai plus là."
H. Claus
La veille de sa mort programmée, Hugo Claus a voulu aller au cinéma voir Paris de Cédric Klapisch. "Nous étions trois dans la salle avec Suzanne (Holtzer, son éditrice). On avait couru pour attraper le tram. Il m'a dit: "C'est fou, on court pour un tram et demain je ne serai plus là."

Quel sera votre tram aujourd'hui?

Lu dans:
Béatrice Delvaux. Hugo Claus choisit sa mort. Le Soir. 29.11.11. page 13

27 novembre 2011

Sagesse des poètes

« Quand on est amoureux, on lit des poètes morts depuis près d’un siècle, et on a l’impression qu’ils parlent de vous».
Luc Dellisse
(..)
"Mais le plus beau de l’amour pour moi, c’est s’enfermer avec quelqu’un, chuchoter et avoir des fous rire, en pensant que les adultes pensent que nous sommes des adultes, alors que nous savons que nous sommes restés des enfants. C’est ce qu’il y a de plus merveilleux dans l’amour (..). On a toujours une sorte de revanche à prendre sur son enfance."


Luc Dellisse, Les Atlantides, édition Les Impressions Nouvelles, collection Traverses. 2011

L'envers de l'angoisse

"Jusqu'à présent nous vivions dans l'angoisse. Eh bien! Nous allons vivre dans l'espoir."
Tristan Bernard, interné à Drancy durant l'Occupation.

A la lecture de ces quelques mots surgit le souvenir de cet oncle aimé, à qui est annoncée une affection qui l'emportera quelques semaines plus tard. Je m'inquiète de ce que cette nouvelle provoque en lui et il me rassure: "Sincèrement, je m'attendais à pire". Et si la crainte du malheur s'avérait plus redoutable que sa survenue?


François Bott. Eloge du contraire. Editions du Rocher. 2011. 104 pages. p. 74

26 novembre 2011

La recette du weekend

"CDO, voici la recette: plonger des dettes variées dans un grand chaudron financier, bien remuer, verser la pâte, la rouler en forme de saucisse, couper la saucisse en tranches, puis vendre les tranches en tant que nouveaux produits financiers lucratifs. Les ingrédients pouvaient être des dettes de toute nature. Au début, il s'agissait de prêts hypothécaires de première catégorie (les primes), mais ensuite on a recouru à des prêts étudiants, dettes de cartes de crédit, des prêts pour l' acquisition de biens de consommation coûteux, comme les voitures, etc. Les tranches de la saucisse étaient d'abord notées "senior" ou même "super-senior" (ce qui voulait dire que leur détenteur serait payé), puis venaient des notes moins prestigieuses - et ainsi de suite, jusqu'au bas de l'échelle. Plus le remboursement avec intérêts paraissait certain, plus le produit était cher . "
Suzan George

Ou l'économie pour les nuls. Description imagée des CDO (pour collateralized debt obligation, en français : « obligation adossée à des actifs »), structure de titrisation d'actifs financiers de nature diverse. Il s'agit de titres représentatifs de portefeuilles de créances bancaires ou d'instruments financiers de nature variée. Au même titre que la titrisation et les dérivés de crédit, ces produits de finance structurés sont issus de montages complexes, répondant à différents besoins tels que réduire les coûts de refinancement, exploiter des opportunités d'arbitrage et surtout se défaire du risque de crédit (Wikipedia).

Lu dans:
Suzan George. Leurs crises, nos solutions. Albin Michel. 2010. 367 pages. Extrait page 65.

24 novembre 2011

L'arôme du pouvoir

"On ne meurt jamais d'une indigestion de compliments."
Jean Louis Debré

Ministre sous Chirac, Jean-Louis Debré s'amuse encore à la seule évocation des échanges autour de la table du Conseil des ministres. De Raffarin ("Monsieur le Président, vous avez été formidable") à Fillon ("Monsieur le Président, je voudrais vous dire avec gravité et émotion tout la confiance que je vous porte"), la gratitude est directement proportionnelle à la crainte d'être éconduits par le simple fait du Prince, mais comme le souligne Sarkozy, émoustillé par un si grand éloge: "Ce peut être important de se dire qu'on s'aime". Nobles pensées, émaillant les missiles et les turpitudes grouillant sous la nappe, parfois au-dessus, d'un monde insensible à la pitié. Détail amusant parmi d'autres: un café est servi au Président, les autres en hument l'arôme. La majesté se décline dans les détails.

Lu dans:
Bérengère Bonte. Dans le secret du Conseil des ministres. 2011. 260 pages. Editions du Moment. Extrait p. 143.

22 novembre 2011

Sagesse de Rilke

"Et pourtant tout ce qui nous touche, toi et moi,
nous rassemble comme rassemble un coup d'archet ,
qui de deux cordes ne fait jaillir qu'une voix."
RM Rilke
Lu dans:
RM Rilke. Oeuvres poétiques et théâtrales. Gallimard. 1997.
cité dans. Stéphane Hessel. Tous comptes faits. Libella-Maren Sell. 2011. 198 pages. Extrait p. 58

20 novembre 2011

Dépasser est un plaisir bref

"Au même titre que la calamité du raccourci, qui s'avère toujours le plus long chemin entre deux points, la malédiction de la mauvaise file semble être une loi universelle de la conduite."
P. Barthélémy
L'autre voie avance-t-elle vraiment plus vite ? Guère. Deux chercheurs de Stanford démontrent dans Nature que ce problème crucial n'existe pas. Dès qu'un bouchon se forme, les deux files évoluent à la même vitesse même si, par moments, une file ralentit alors que l'autre progresse. Au bout du compte, on est dépassé autant que l'on dépasse. Cependant, ces deux phénomènes ne sont pas symétriques dans leur distribution temporelle. Sur les dix minutes, on passe moins de temps à doubler qu'à être doublé. Cela est dû à l'écart entre les voitures. Lorsque celles-ci sont à l'arrêt, pare-chocs contre pare-chocs, les chanceux de la file voisine peuvent en dépasser trois en une seconde. En revanche, comme les automobiles qui roulent sont séparées par une certaine distance, on ne sera jamais dépassé par trois véhicules en une seconde... L'impression que l'autre file est plus rapide provient de cette dissymétrie. Dépasser est un plaisir bref, être dépassé une torture longue. Nos vies aussi sont des chemins, où nous sommes dépassés en permanence. Vraiment?


Lu dans:
Pierre Barthélémy. L'autre file avance-t-elle vraiment plus vite ? Le Monde. Planète. 18.11.11.

19 novembre 2011

Redécouvrir l'enfant rieur

"Qu'est devenu cet enfant rieur que j'aurais voulu être et qui vit toujours en moi?"
Henry Bauchau

.. se demande Bauchau à la fin de son récit, écrit et publié alors qu'il s'approche des cent ans. Question intéressante que nous nous pourrions tous nous poser, à l'instar de cette émission télévisée qui interrogeait "qu'avez-vous fait de vos vingt ans?" Découvrir simplement que cet enfant existe encore en nous, et ne demande qu'à casser la coquille, est déjà une victoire.

Lu dans :
Henry Bauchau. L'enfant rieur. 2011. Actes Sud. 336 pages.

Ces enfants qu'on élève

"Fils (fille): le terme "fils" porte la notion de transmission. Elever un enfant, c'est comme monter un mur, un travail jour après jour."

Pour la première fois, je découvre le sens double du mot "élever" un enfant. C'est surprenant.

Lu dans:
Brigitte Giraud. Pas d'inquiétude. Stock. 2011. 270 pages.

18 novembre 2011

La crise touche tous les secteurs

"Entre 2010 et 2011, une différence de 2.000 décès en Belgique inquiète le secteur des pompes funèbres."
Lu dans la presse du vendredi 18 novembre 2011.

Qui a écrit que la nourriture des uns est le poison des autres?




17 novembre 2011

Espérer

"Savoir qu'on n'a plus rien à espérer n'empêche pas de continuer à attendre. (..) Nos désirs vont s’interférant, et dans la confusion de l’existence, il est rare qu’un bonheur vienne justement se poser sur le désir qui l’avait réclamé."
M. Proust

... "ce sentiment funeste et doux, l'espérance", décrit par Raymond Aron qui rapporte que dans les premiers camps de la mort, un prisonnier était libéré chaque jour pour bonne conduite. A lui seul, il remplaçait utilement les barbelés, les clôtures et les miradors.


Lu dans :
Marcel Proust. A la recherche du temps perdu, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, volume 2

16 novembre 2011

Je rêve d'une vie

"Mon histoire est vraie parce que je l'ai complètement inventée."
Bernard Shaw

... ainsi des grands mythes fondateurs de l'humanité et des récits de vie construits progressivement - volontairement ou non - par transmission orale ou écrite. Le livre "Les rêves de mon père" a ainsi sans aucun doute participé à l'ascension d'Obama en donnant un fil rouge à ce qui n'était au départ qu'une simple existence parmi des millions d'autres.


15 novembre 2011

Faire une recherche

"La capacité à donner du sens à l'information pléthorique, éparse et hétérogène qui compose notre environnement, représente un enjeu majeur pour réaliser la transition nécessaire de la société de l'information vers les sociétés du savoir."

Préoccupation majeure des enseignants dans des auditoires où Google a remplacé simultanément le Grand Robert, le Bon Usage de Grévisse, le Collins et l'annuaire téléphonique. Quand une recherche sur un terme aussi désuet et abscons que "concupiscence" ne demande que 0.08 secondes pour collecter 721 000 références, quand 4.000 livres sont édités chaque jour dans le monde (58.000 nouveaux titres en 2006 pour la France), quand la notion de "faire une recherche" a substitué au travail d'une vie de bénédictin la capacité de pouvoir aligner trois mots-clé sans même plus se tracasser de leur orthographe, le métier d'enseignant prend une autre épaisseur.


Vers les sociétés du savoir. Rapport UNESCO 2005
Jean Pierre Aerts. La simplicité est payante. La Libre Entreprise. 12.11.11. p.9

14 novembre 2011

Le bonheur est à l'hyper

"Les contraintes du passé n'étaient peut-être pas très épanouissantes mais elles avaient l'avantage d'être rassurantes.Elles offraient un enracinement et des repères stables aux individus. L'abondance des possibles peut recéler le danger d'être écrasé par la difficulté de choisir."
F. Lenoir

La naissance conditionnait le destin individuel: on héritait du métier de son père et on se conformait au mode d'existence de sa catégorie sociale. Aujourd'hui, on peut choisir son métier, son lieu de vie, on pourrait même changer de sexe par opération chirurgicale. Se promener dans un hypermarché nous expose à 25.000 références d'articles divers. Nous a-t-on enseigné qu'on peut (bien) vivre avec 150? Nous étouffons sous les possibles.


Lu dans:
Frédéric Lenoir. Petit traité de vie intérieure. Plon . 2010. 195 pages. Extrait p.86

12 novembre 2011

Automne dense

"Le soir tamise son or entre les branches
Un nouvel hiver ne tardera pas à venir.
Les feuilles himides du parc brûlent
Frémissement de lumière sous les auvents.
Les mamelles de l'automne sont pleines..."
A. Calinas
Lu dans :
Antonio Calinas. Automne dense. trad Claude de Frayssinet. Actes Sud.
dans Les Poètes de la Méditerranée. Gallimard Poésie. 2010. 955 pages. Extrait p.601

Le jour où la pluie...

"La triste, triste terre rouge
Qui craque, craque à l'infini
Les branches nues que rien ne bouge
Se gorgeront de pluie, de pluie
Et le blé roulera par vagues
Au fond de greniers endormis."
Le jour où la pluie viendra. 1958

L'eau, source future de conflit entre les peuples plus cruciale encore que le pétrole ou la terre. Je croyais être économe de son usage, l'évaluant à quelques litres quotidiens. La lecture de Suzan George me dessille les pupilles: j'appartiens à ces individus occidentaux aisés qui en consomment quotidiennement et indirectement dans les 3.000 litres par jour (refroidissement des centrales énergétiques, fabrication des puces de nos PC, production de l'essence qui nous transporte, des habits que nos portons, de la viande que nous mangeons..). La crise de l'euro est multiforme, et on perçoit chaque jour que de simples mesurettes ne suffiront guère.

Lu dans:
Suzan George. Leurs crises, nos solutions. Albin Michel. 2010. 367 pages. Extrait page 323.
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10 novembre 2011

Une vie à attendre maman

"Un enfant éperdu (..) sur le palier, attendant maman. C'est ainsi que nous sommes, cherchant à corriger les douleurs du passé dans notre avenir. Il faut que l'interprétation soit donnée, que cet enfant enragé et désespéré soit nommé, décrit et un jour intégré pour qu'il cesse de gouverner l'adulte."
Jacqueline Harpmann.

Courte méditation la semaine passée sur la tombe des parents, arrêt sur image dans un film en noir et blanc. Etonnant de se dire que tous mes souvenirs d'eux datent d'avant cette pierre bleutée et nue endormie sous les feuilles de novembre, relayés par les souvenirs que nos propres enfants auront de nous. On passe rapidement du stade d'enfant à celui d'ancêtre. Mieux vaut avoir été un enfant heureux.

Lu dans:
Jacqueline Harpmann. Ecriture et psychanalyse. Ed. Mardaga. 2011. 144 pages.

09 novembre 2011

La solution du problème

"Il ne faut pas demander à ceux qui ont créé un problème de le résoudre."

Glané sur France Inter ce matin, la phrase en réfère à l'aphorisme d'Albert Einstein "On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré». La page spéciale du Soir alignant les portraits successifs des responsables politiques qui auraient payé la crise en perdant leur fonction en constitue la plus belle illustration.

08 novembre 2011

Tapis de feuilles

"Les herbes se couvrent
d'automne
Je m'assieds."
Matsuo Bashô (1644-1694)

Après la splendeur des ocres et des roux, l'inimitable sensation des feuilles foulées sur le sol humide de nos jardins et prairies. Les vins jeunes sont dans leurs cuves en attendant une commercialisation festive, après les prix littéraires et avant les agapes des grands saints Eloy, Barbe et Nicolas: la perte de la lumière se compense.

06 novembre 2011

Eloge de la métamorphose

"Selon le sinologue François Jullien, la remarque souvent citée qui veut que l'idéogramme chinois signifiant « crise» combine les notions de « danger» et de «bonne occasion» est en réalité une reconstruction occidentale. Le caractère chinois fait plutôt penser à la détente de l'arbalète, c'est un mécanisme de libération. Ainsi, en grec, en chinois et, pour autant que je sache, dans d'autres langues, le mot transmet le sentiment d'un avant et d'un après, dune accumulation de tensions et d'un brusque et bref passage entre plusieurs voies possibles: c'est I'instant crucial du carrefour qui détermine l'avenir."
(communication personnelle de F. Jullien à Susan George)

La crise qui se creuse et s’amplifie conduit-elle au désastre ou au dépassement ? Pour Edgar Morin, l'hypothèse d'un effondrement qui rappellerait celui qui faillit éliminer la vie à la fin du primaire est possible. Quelques rares espèces avaient survécu puis de nouvelles espèces étaient apparues. Le chaos peut être destructeur, mais peut aussi être l’ultime chance d’une métamorphose pareille à celle de la chenille en papillon. Quand la chenille entre dans le cocon, elle commence un processus d'autodestruction de son organisme de chenille, et ce processus est en même temps celui de formation de l'organisme de papillon, lequel est à la fois le même et un autre que la chenille. Il reste à imaginer à quoi pourrait ressembler notre société métamorphosée de larve en papillon.

Lu dans:
Susan George. Leurs crises, nos solutions. Albin Michel. 2010. 366 pages. Extrait page 30.
Edgar Morin. Vers l'abîme? Herne Ed. 2007. Collection : Carnets de l'Herne. 181 pages.

Sagesse des contes de fée

"Taches? Rides? Teint terne ? En seulement deux semaines les taches sont réduites, les rides lissées, la peau retrouve sa fermeté et sa luminosité profonde.L'ombre des années s'estompe, votre visage s'éclaire d'une nouvelle jeunesse. "
Publicité Clarins. Sérum Capital Lumière


Un conte de fées pour adultes, mais pourquoi diable vouloir estomper l'ombre des années?

05 novembre 2011

Simplement la vie

"Le jour est revenu. Avec lui pas forcément le bonheur ou la joie de vivre. Mais la vie. Simplement la vie. La conscience absolue d'être en vie. "
F. Lefèvre.

Hier j'ai croisé un joueur de boules, seul au soleil levant. Il devait avoir 80 ans, tout blanc, tout cassé, tout chiffonné. Je lui ai demandé où étaient ses coéquipiers. "Ils dorment, et moi je m'entraîne." J'ai souri, sa rencontre m'avait fait du bien.


Lu dans
Françoise Lefèvre. Se perdre avec les ombres. Editions du Rocher 2004. 200 pages. Extrait p.129

04 novembre 2011

Sagesse de Sibérie

"Quinze sortes de ketchup. A cause de choses pareilles j'ai eu envie de quitter ce monde."
Sylvain Tesson.
Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à la vie... et dix-huit bouteilles de sauce Heinz Super Hot Tapas - trois par mois - emportée par l'auteur dans sa cabane au fond des bois en Sibérie. Un récit long comme le temps d'une retraite volontaire pour se réapproprier le temps, la solitude, l'espace et le silence qui commencent à se faire rares dans son existence quotidienne. Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.

Je n'ai pas encore lu le livre, nominé pour le Renaudot qui lui aura en définitive échappé d'un fifrelin. Ma question demeurée sans réponse: mais pourquoi donc est-il revenu? Pour les quinze sortes de ketchup, pour la douce chaleur des villes, ou pour retrouver cet univers quotidien tissé de quelques dizaines de liens humains enchevêtrés, infimes et essentiels, qui nous donnent une raison de vivre? Et vous.

Lu dans:
Sylvain Tesson. Dans les forêts de Sibérie. Gallimard. 2011. 288 pages. Extrait page 21