28 février 2010

Un bonheur de petite fille

"En ce monde
nous marchons sur le toit de l'enfer
et nous regardons les fleurs."
Issa Kobayashi
Mieux connu sous son seul prénom d'Issa (litt. "la tasse de thé"), le maître du haïku japonais finira sa vie sous le toit de sa grange, perdue six mois plus tôt dans l'incendie de son village. Les images de désolation en Vendée et de Concepcion au Chili du JT de 20 heures paraissent bien illustrées par ces trois lignes  de sagesse, complétées par ce délicieux mot d'enfant au téléphone: "à qui ai-je le bonheur?"

_________________________________________

Une barbarie à visage humain

"Sans l'espérance, vous ne rencontrerez jamais l'inespéré."
Héraclite d'Ephèse.
Printanier, un orgue de Barbarie égrène Piaf au seuil du Westland Shopping Center ce samedi matin. Un souffle de vent tiède, une paresse dans la fuite des jours, un ciel soudain un peu moins gris annoncent la fin proche de bonhomme hiver. Curieux tout de même qu'on puisse appeler Orgue de Barbarie un instrument aussi paisible et Little Boy (Petit garçon) la première bombe atomique larguée sur Hiroshima. Je m'étonne moi-même d'associer ainsi, sans les provoquer, des réflexions aussi saugrenues par un beau jour de (presque) printemps éclairé par un artiste de rue infirme égrenant sa musique: nos gestes les plus anodins réveillent chez l'autre que nous croisons des souvenirs issus de sa propre histoire, et c'est magique.
 
Lu dans
cité par Colette Nys Mazure. Les ombres et les jours. Alice Editions. 1999. 96 pages. Exergue p.49 

25 février 2010

Un ruban d'amour et de lumière

« Je n'ai pas dormi cette nuit, ne pouvant songer qu'à toi, qu'à nous.
Le soleil se lève, et une lanière orangée drape les toits de la ville.
Je t'aime comme cette lumière aime le jour. »
Lettre de Laetitia à Raphael.


Des mille et une manières de se dire Je t'aime, certaines sont tout de même bien tournées. Je l'ai lue ce matin dans un métro bondé, calé entre les uns, les autres et leur mystère propre.  Une gsmiste racontait la vente d'un appartement à un interlocuteur lointain. Un homme à la mine sérieuse émettait ses hypothèses sur les causes de la catastrophe de Buizingen. Sur la plate-forme, un peu esseulé, un homme vêtu d'un manteau bleu marine assez banal, portant un cartable en cuir élimé et un comique béret rond terminé par une minuscule petite virgule en feutre sur le sommet du crâne, dégageait je ne sais pourquoi la sympathie. Il souriait seul et semblait se parler à lui-même, bien le genre de type me suis-je dit à se prononcer, ou à écrire, le genre de phrase d'amour telle celle de Laetitia  à Raphael.  Le  gars à qui on  confie la présentation du JT parce qu'immédiatement on le croit, ou à qui on confierait quelque souci lourd à porter. Un "délit de sale gueule" en négatif en quelque sorte, que tout cela est étrange. Au fond, il a une tête de prof ai-je conclu, mais d'un genre un peu ancien. Il est descendu à la station Alma, et a emporté son mystère. 

Lu dans:
Vincent Engel. Raphael et Laetitia. Ed. Mille et une nuits. 2003. 72 pages. Extrait p. 47

Si le grain ne meurt

"Tu sais, mon grand-père, on l'a replanté !"
Sagesse enfantine

Mot d'enfant au retour de l'enterrement de son grand-père mort "rassasié d'années". 
 

Lu dans :
Un peu de mort sur le visage. Gabriel Ringlet. Desclée De Brouwer.1997. 150 pages. extrait p.138

21 février 2010

Match nul

"Le matin t'est donné,
ne le prends pas comme un dû."
Eugène Guillevic
Un oncle cher s'éteint, avec une lenteur infinie. Un cancer vaincu, un autre cancer vainqueur, match nul aurait ironisé Pierre Desproges qui estimait que son crabe n'était pas sociable. Soucieux de lui épargner une longue agonie, nous aurons guetté jusqu'au bout le mot de révolte, la demande d'en finir, le geste d'appel à l'aide pour quitter ce monde: rien, pas un souffle qui y ressemble, mystère insoluble de cette vie qui s'écoule  jour après jour et dont l'être humain espère bénéficier  jusqu'à la dernière goutte. Encore une dernière fois embrasser une épouse chère, une dernière fois voir un vrai soleil qui se lève, une dernière fois se sentir entouré de tous ses enfants réunis, une dernière fois passer une bonne nuit, une heure, juste une heure encore et puis on verra bien où se terminera cette source qui a commencé à sourdre minusculement pour enfler jusqu'à se jeter dans la mer immense dont nul ne revient.La vie reste notre grand mystère. 
 

Mille vies sont possibles

"Avec une seule existence, on peut écrire mille autobiographies. Il n'est pas nécessaire de mentir, il suffit de déplacer un mot, de changer un regard, d'éclairer un autre aspect du réel enfoui."
B. Cyrulnik
Le malheur crée des héros et des salauds, c'est selon. L'accident de trains à Hal n'échappe pas à la règle: les victimes appartiennent dans l'ensemble à la catégorie des premiers, sauf le conducteur de train qui en échappe. Les badauds qui se trouvaient sur le trajet et ont amené une chaise, un témoignage, ou pris la main d'une victime sont incontestablement des héros et figurent à la Une des reportages. Les responsables politiques, les cadres des compagnies incriminées, les actionnaires, qui se targuaient hier encore d'une parcelle de pouvoir, sont coupables à coup sûr: ils auraient dû prévoir. Le ministre d'il y a cinq ans est plutôt moins coupable que l'actuel, laissons ce retraité tranquille, même si la négligence s'étend sournoisement sur vingt années: l'actuel n'a pas pris en compte les leçons du passé. 

Derrière nos écrans chauds, nous appartenons tous à plusieurs de ces catégories en même temps, mais heureusement une catastrophe ne se produit que rarement et nous laisse la possibilité de nous placer du bon côté quand elle arrive dans le jardin des autres. J'espère qu'un sort mauvais m'épargnera de me trouver un jour du côté du paumé qui n'a pas vu le feu rouge dans sa profession lors d'un moment d'inattention conjugué à une succession de hasards malencontreux. 
 
Lu dans:
Boris Cyrulnik. Autobiographie d'un épouvantail. Ed. Odile Jacob. 2008. 275 pages. extrait p. 271

19 février 2010

Lever du jour

"Quand on a mission d'éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement comme le premier saisissement sont pour soi."
René Char
Petite phrase modeste. Je ne sais pourquoi elle m'a ravi, hier, me ramenant en mémoire des images de bonheur simple, oubliées dans mon activité actuelle je l'avoue. 
 

17 février 2010

Entre Mardi Gras et Cendres

"Cette part d'ombre en moi
et qui ne m'appartient pas
à qui dois-je la rendre?"
Vincensini
Le contraste entre l'apothéose du Roi Carnaval et le sévère rappel des cendres inaugurant le carème chrétien "homme, souviens-toi que tu es poussière et retourneras à la poussière" m'impressionna dès mon enfance, les deux événements m'apparaissant excessifs. Par contraste, ce modeste rappel d'un poète disparu célébrant notre part d'ombre fait résonner en moi avec justesse une ironie douce-amère qui transcende les croyances et les religions. Et je souscris à ce 
"Je n'aurai pour tout dire
Écrit sur mon chemin
Que mon incertitude
La buée qui recouvrait la vitre
Et peut-être la vitre
Mais jamais la fenêtre
Et jamais le chemin
(Vincensini. Pour tout dire)

La mer n'est plus la mer

"Quand nul ne la regarde
la mer n'est plus la mer
elle est ce que nous sommes
lorsque nul ne nous voit."
Supervielle

Magie des masques vénitiens un jour de Carnaval, une possibilité d'être vu sans se révéler ni être reconnu. Un jour par an se désintégrer de sa propre existence pour ne plus être qu'un être sans nom ni sans histoire. Me revient le récit du professeur Dautrebande, gilles de Binche dès sa plus tendre enfance, que nul ne voyait dans son service le jour de Mardi Gras car ce jour-là "il n'était plus ni médecin, ni radiologue, ni professeur, mais un gilles méconnaissable sautillant parmi les gilles, et jusqu'à la fin de la nuit." 
Lu dans 
Jules Supervielle. La fable du Monde. Poèmes. Gallimard . 1938 (Paris).
Colette Nys Mazure. Courir sous l'averse. Desclée de Brouwer. 2009.  184 pages. extrait p.64

13 février 2010

Le temps où l'âme se repose

"Ce doit être ici le relais
où l'âme change de chevaux."
Supervielle


Bon repos à tous ceux qui en ont l'occasion.
  

On disait qu'on s'aime

"Le plus difficile n'est pas tant d'aimer que de se laisser aimer."  
 JM Gueulette


Clin d'oeil aux Valentins


Lu dans
Jean Marie Gueulette. Une fragilité différente. La fragilité, faiblesse ou richesse.  Albin Michel . 2009.  215 pages . extrait  p.154 

La souffrance du médecin

"Le médecin vit comme un sentiment d'impuissance ce qui n'est en fait qu'une impossibilité, d'où son mal-être."
JP Lebrun
 
Lu dans:
JP Lebrun. De la maladie médicale . De Boeck Bruxelles. 1993.

12 février 2010

11 février 2010

Le bonheur dont on fait les robes

"Yves Saint Laurent, dont le bonheur tenait à un fil, le seul qu'il n'ait jamais pu tisser."
Alain Chamfort  


 
Entendu sur
France Inter. 11.2.2010. Alain Chamfort. Une vie Saint Laurent. 

10 février 2010

Un autoentartage réussi

"Quand un philosophe fait un exposé pompeux avec sa braguette ouverte à tous les vents, la gravité de ce qu'il dit est contredit par sa braguette." 
Boris Cyrulnik

C'est le genre de mésaventure qui vient de sauter au visage du philosophe Bernard-Henri Lévy, brillant de chez brillant, controversé mais toujours à la pointe quand il s'agit de faire un coup médiatique ou d'émettre une opinion destinée à devenir un courant de pensée. Autopiégé par une mystification ancienne dûment révélée par son auteur, journaliste au Canard enchaîné, BHL n'avait apparemment pas lu dans le cas présent la fin de l'histoire et suscite l'hilarité de la France d'en bas, trop heureuse de noter que les meilleurs n'échappent parfois pas au ridicule.
Citant dans son dernier ouvrage un certain Jean-Baptiste Botul, philosophe et amant à ses heures de Marthe Richard, Marie Bonaparte et Simone de Beauvoir (rien que ça), conférencier au Paraguay et auteur de "La Vie sexuelle d'Emmanuel Kant", dont deux clics sur Wikipedia nous apprennent que tout n'est que supercherie, le beau Bernard-Henri tente péniblement de rétablir une crédibilité fissurée. Rien de bien méchant au fond, et c'est ce qui rend la phrase de Cyrulnik, écrite in tempore non suspecto, si adaptée à cet autoentartarge insolite. C'est Noël Godin qui doit se réjouir.

Lu dans:
Boris Cyrulnik. Autobiographie d'un épouvantail. Odile Jacob. 2008. 280 pages, extrait p.67

08 février 2010

Lumineuse fêlure

"Heureux les fêlés car ils laissent passer la lumière".
Béatitude pour le temps présent
La phrase est de Michel Audiard, citée par Marie Balmary lors d'un récent colloque de l'ISTR sur la fragilité les 24 et 25 janvier 2009 à Toulouse. Audiard lui-même s'est vraisemblablement inspiré de Léonard Cohen qui chante "Il y a une fissure, une fissure dans tout, comme cela la lumière peut entrer." Toutes deux belles au demeurant.
 
Lu dans :
Fragilité, Faiblesse ou richesse? Albin Michel. 2009, 217 pages, extrait P.9

Que de vent!

 "Le vent c'est de l'argent."
Sagesse des publicitaires

Glané à la radio, ce clin d'oeil pour les éoliennes Eole m'a fait sourire. Et vous?

05 février 2010

Sagesse de Liliane Wouters

« Mourir n’est après tout que changer d’apparence,
Nous dégager de ce cocon de chair et d’os
Comme nous avons dû quitter la poche d’eau.
Mais hélas nous serons plus nus qu’à la naissance
Car même notre corps fera défaut."
Liliane Wouters. 
Liliane Wouters. Le livre du soufi. Editions Le Taillis Pré. Décembre 2009.  

L'histoire se répète

"Ce qui importe pour un grand homme, c'est qu'il soit né à la bonne époque."
Epitaphe du pape Adrien VI
Intrigué par cette inscription tombale, comment ne pas s'enquérir de ce pape opportuniste? Adriaan Floriszoon (si si, comme ceux de La Panne Adinkerke, Méli etc.)  fut pape du 9 janvier 1522 au 14 septembre 1523, ce qui n'est pas bien long pour un souverain pontife, dernier pape non-italien avant l’élection de Jean-Paul II en 1978. On apprend qu'il fut chanoine au chapitre d'Anderlecht (si non e vero!) et aurait passé la plus grande partie de sa vie à l’Université de Louvain, d’abord comme étudiant et ensuite comme enseignant, recteur et chancelier avant d'être élu pape, quasi inconnu et en n'étant pas présent au conclave: l'élection de cet homme modeste, guère suspect de faire de l'ombre aux cardinaux désunis, sema la consternation à Rome et les électeurs regrettèrent vite leur choix. Il réduit le nombre de ses serviteurs à quatre (de 100 qu’avait son prédécesseur), évite les banquets et interdit le port d’armes dans la ville, devenant un reproche vivant pour beaucoup. Il meurt le 14 septembre 1523, dans l’indifférence, sinon l'hostilité, générale. Pour la réforme de l’Eglise en tout cas, ce fut une occasion manquée. Les bonnes intentions ne suffisent pas. 

Lu dans:
Godfried Danneels. Confidences d'un cardinal. Racine.2009. 173 pages. extrait p.105.
Wikipedia. Adrien VI. http://fr.wikipedia.org/wiki/Adrien_VI

03 février 2010

Sagesse du législateur

«La loi est la même pour tous les misérables.» 
Carlo Dossi

La violence des berges

"On dit d'un fleuve emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l'enserrent."
Bertolt Brecht

La presse m'apprend ce matin que j'habite en bordure d'une zone de non-droit, truffée d'armes de guerre et de trafics sordides. On ne doit pas avoir de la violence ni du droit la même conception, moi qui reste viscéralement attaché à cette zone urbaine où le matin il fait bon voir s'éveiller les quartiers. Où les paumés s'ébrouent en rue sans honte et où on peut encore se promener librement partout, sans buter sur les grilles de lotissements protégés par des portails électroniques abritant la tranquilllité des plus riches. Où trois continents se côtoient dans une ambiance débonnaire le weekend sur plusieurs kilomètres carrés de marché offrant à la vente tout ce que la terre peut produire de fruits, de vins, d'épices et de mets colorés. Les rares policiers qu'on y croise canalisent les voitures mal garées comme le ferait l'agent 33 de Quick et Flupke et je m'y sens infiniment plus en sécurité qu'au coeur du quartier européen, devant le Charlemagne, où on me vola ma trousse en fracturant le carreau arrière de ma voiture l'an passé. Plutôt que de stigmatiser certains quartiers en les désignant comme des repaires de lépreux, ne faut-il s'interroger sur la violence créée par la hausse des loyers et du prix des maisons qui chasse nos enfants et leur impose des navettes éreintantes, ou concentre l'extrême pauvreté dans quelques ghettos pourris pour mieux les contenir. 

Dorénavant donc, tolérance zéro pour Curegem/Anderlecht. Pourquoi la règle qui est applicable à un homme ne le serait-elle pas également à tous les autres, se demandait Alexis de Tocqueville? Les petits délits bien profitables sont-ils donc à ce point concentrés dans la zone entre le canal et la gare du Midi, alors que le reste du pays respire l'honnêteté et le goût du bien. Dès demain je me promène en rue agitant la clochette de la lèpre. 

01 février 2010

De mauvais gré

"Je suis né le 5 avril 1929. Contre mon gré: je suis né par césarienne."
Hugo Claus
 

Lu  dans:
Le monologue de Hugo Claus. Le Soir 1 février 2010. page 37.