31 décembre 2009

La petite fée espérance

"Je suis étendue là toute seule, enroulée dans les plis sombres de la nuit, de l'ennui, de la captivité, et cependant mon coeur bat d'une incompréhensible joie intérieure. Et je souris à la vie dans l'ombre de mon cachot."
Rosa Luxembourg.   
L'année tourne sa dernière page. Comme l'écrit un poète "hier s'en fut , demain n'est pas encore là, aujourd'hui s'en va sans s'arrêter un instant: nous sommes un fut et un sera. (Quevedo)". C'est le moment de feuilleter distraitement les rétrospectives d'une année, d'une décennie. L'actualité nous apprend qu'Obama a été brûlé en effigie  à Lahore, que  90 millions de SMS vont s'échanger ce soir sous les lampions, que Johnny entame un procès, que le créateur de Barbie n'était qu'un pervers rêvant d'immortaliser une call-girl. Et soudain surgit ce court entrefilet narrant qu'un épagneul, perdu il y a trois ans par ses maîtres dans le Gers, est revenu à la maison la semaine passée , fourbu, crasseux mais jappant à en perdre haleine. Notre quotidien s'en trouve soudain embelli, pareil à la boîte mythique de Pandore laissant s'échapper un à un les papillons des passions humaines et ne laissant s'envoler en dernier que le plus fort : l'espérance. 

Je vous souhaite une bonne année 2010
CV. 

30 décembre 2009

Jamais trop vieux pour chanter

« Nathanaël, enseigne-moi la ferveur.»
A Gide

La phrase de Gide s'est imposée d'elle-même lors de la vision du film documentaire "Jeunes de choeur" (Young@Heart) de Stephen Walker, qui s'efface derrière les membres de la petite chorale Young at Heart, formée de personnes âgées de 77 à 93 ans. L’ensemble est dirigé par Bob Cilman, totalement dévoué à son projet et qui leur fait alterner rock, punk, "Should I Stay or Should I Go" du groupe The Clash,  "Stayin’ Alive" ou "I Feel Good".  L'affection que porte le réalisateur au groupe ne perd rien de sa fraîcheur ni de sa spontanéité tout au long des 90 minutes que dure ce portrait sincère, dont le récit sur la résistance au temps et la pulsion vitale est  d'une poésie pure. Un film rassurant en quelque sorte.
 
Lu dans :
André Gide. Les Nourritures terrestres. NRF Gallimard. 1897.
Young@Heart. You're never too old to rock. Stephen Walker. 1h50 minutes.

28 décembre 2009

Voir, percevoir, s'apercevoir

«lci, au bord de la rivière, les motifs se multiplient, le même sujet vu sous un angle différent offre un sujet d'étude du plus puissant intérêt, et si varié que je crois que je pourrais m'occuper pendant des mois sans changer de place en m'inclinant tantôt plus à droite, tantôt plus à gauche. »
Cézanne
Lu dans :
 Oliver Sacks. Un anthropologue sur Mars. Ed du Seuil. 1995. Points. 460 pages. Extrait p. 190.

25 décembre 2009

Le nain de neige

"Réveillon -
Seul, dans le fond de la cour,
Le bonhomme de neige."
Jocelyne Villeneuve

 
Merci à mon frère Marc pour ce haïku bien de saison. Il n'est pas anodin dans le cas présent d'apprendre que celle qui le rédigea, bibliothécaire de profession s'est mise à l'écriture après un accident de voiture qui la laissa tétraplégique et contrainte à l'intermédiaire bienveillant des mains de ses proches pour jeter sa pensée sur papier. Oeuvre sensible, dans laquelle la symbolique des mots fait référence au vécu de l'auteure en permanence, telle dans ce simple 
"Pique-nique. La fourmi
sur la nappe quadrillée disparaît
dans un carreau noir."
Ce matin de Noël, la neige a fondu dans notre minuscule jardin de ville, et ce qui pouvait passer hier pour un bonhomme de neige est redevenu un nain de jardin dégoulinant de pluie. Il faut peu de chose pour passer d'un aspect de la réalité à un autre, du carreau blanc au carreau noir de la table quadrillée, d'une existence sans souci à la difficulté d'être. Un message posté sur mon répondeur hier soir à 20 heures sollicite une prescription non-urgente et me souhaite de bonnes fêtes. En d'autres temps, plus jeune, j'aurais morigéné l'impétrante soulignant le moment inapproprié. La connaissant mieux, et percevant davantage ce que la solitude peut peser un soir de fêtes, je trouve l'appel plutôt touchant, et lui retéléphonerai ce matin. Je tente d'imaginer les proches et familiers qui découvrent la beauté simple de "ce bonhomme de neige seul au fond de la cour" de Jocelyne Villeneuve, les uns dans le bonheur, les autres en difficulté: que la fête Noël vous soit douce. 
CV. 

17 décembre 2009

Une variante de la peau de l'ours

"Il ne faut pas préparer la poêle tant que le poisson est dans la mer."
Proverbe bulgare
 
La mésaventure survenue à Louis Michel ( contre toute attente, le Suisse Joseph Deiss lui a été préféré pour présider la 65ème assemblée générale de l'ONU) ce lundi en rappelle d'autres, qui furent plus philosophes dans leur dépit. Avoir humé l'air des sommets est une ivresse, parfois triste.
 

16 décembre 2009

Une carrière où se blottir

"Une carrière réussie est une chose merveilleuse, mais on ne peut pas se pelotonner contre elle, la nuit,  quand on a froid l'hiver."
Marilyn Monroe
 On doit à la même Marilyn, orfèvre en la matière de gloire et de sentiment de solitude, un pathétique "j'ai une mémoire merveilleuse pour les chose qu'il s'agit d'oublier". Oublier les nuits de solitude, les faux amis, l'isolement accompagné, la pauvreté de l'âme qui bat la campagne. Oublier que réussir n'est pas toujours une réussite, alors que le départ d'êtres dont l'affection, par-delà la mort nous réchauffe n'a guère un goût d'échec. 
 
Lu dans :
Eric de Bellefroid. Enquête indiscrète sur la réussite. Lire. LLB. 14 décembre 2009.
Don Wolfe. Marilyn Monroe. Echange avec Sidney SKOLSKY. Enquête sur un assassinat. Ed Albin Michel 1998. J’ai Lu 

15 décembre 2009

Magie de Noël

"Pour préparer un arbre de Noël, il faut trois choses, outre les ornements et l'arbre, la foi dans les beaux jours à venir."
Zahrad.
Je ne connaissais pas Zareh Yaldcyan dit Zahrad, poète arménien (1924 - 2007) dont les œuvres ont été traduites dans vingt-deux langues. Orphelin de père à trois ans, il a su (vous avez dit résilience ?) développer un point de vue original sur la condition humaine mettant l'accent sur l'action humaine au centre de l'histoire qui constitue un motif de transformation. On peut en prendre une pincée. 

PS On me signale que Paroles d'arbres (que je citais dimanche) est épuisé, remplacé par un 2ème tome, Magie des arbres (plus beau encore), toujours chez Weyrich.

13 décembre 2009

Entre Guantanamo et la fonte des glaces

"C'est ainsi que personne ne peut dire d'un geste gratuit qu'il sera inutile à terme. (..) Il peut arriver que , sans qu'on s'y attende, on vous fasse cadeau du prisonnier pour lequel vous êtes intervenu."
Vladimir Jankélévitch.
Les récentes difficultés rencontrées par le président Obama à concrétiser son engagement de fermer au plus vite le centre de détention de Guantanamo me viennent à l'esprit en découvrant les trente mille (cent mille ?) manifestants qui ont défilé samedi après-midi à Copenhague, en marge des négociations sur le climat. S'il ne se trouve aucun pays pour accueillir les résidents du sinistre camp de concentration, seront-ils plus nombreux à concrétiser leur exigence de lutter contre la fonte des glaciers en acceptant de voir leur niveau de vie baisser significativement, la viande disparaître de leur assiette, leur mobilité réduite et de travailler en pull plus tard et plus longtemps. Signer une pétition pour un monde meilleur, la libération d'un prisonnier d'opinion, le respect de la vie et celui de la femme, la suppression de l'énergie atomique n'engage que l'encre de la plume si nous n'assumons pas les conséquences immédiates de nos revendications, comme nous le ferions dans le cas d'un contrat moral. Et surtout d'envisager l'impensable: ralentir.  
  
Lu dans:
Jean-Jacques Lubrina. Vladimir Jankélévitch. Les dernières traces du maître. Editions du Félin. 2009. 200 pages. Extrait p.68

Ecouter un arbre

 "J'eus le sentiment que cet arbre venait d'entendre les pesantes questions qui me tourmentaient et s'amusait d'elles, allègrement."
Henri Gougaud.
Herman Van Rompuy élude finement la question de l'après-Europe en citant Malraux "je me contenterai de voir grandir un arbre" ... et jouer avec des enfants. Pour avoir gardé deux de nos petits-enfants ce weekend, on peut assurer qu'il s'agira sans aucun doute d'une retraite active. Quant aux arbres, conseillons-lui le superbe livre-cadeau de Cécile Bolly, orfèvre en la matière en ce qui concerne les confidences des plus silencieux et les plus sages de nos interlocuteurs (Paroles d'arbres). Notre président philosophe y puisera sans aucun doute matière à réflexion pour ses futures interviews et discours.
  
Lu dans:
Cécile Bolly. Paroles d'arbres. Weyrich Editions. 2002. 125 pages. Extrait p.42
André Malraux. Les chênes qu'on abat. Correspondance. Gallimard. 1971.
Herman Van Rompuy tourne la page belge. Interview Le Soir Martine Dubuisson & Véronique Lamquin. 12-13 décembre 2009. page 24. . 

10 décembre 2009

Sagesse de William Osler

"Au lieu de vous demander: "De quoi telle personne est-elle malade?" demandez-vous plutôt: "Pourquoi telle maladie a-t-elle choisi telle personne?"
 (attribué à) William Osler
D'Osler il a été écrit qu'il fut à la fois médecin, clinicien au diagnostic réputé, anatomo-pathologiste, enseignant, bibliophile, historien, essayiste, conférencier, organisateur et auteur... Il fut surtout médecin et sa plus grande contribution fut sans doute son programme pour que les étudiants apprennent leur métier en voyant des patients et en leur parlant, préconisant la mise en place des résidents en médecine (internes). Cette dernière idée s'est répandue dans tout le monde anglophone et reste en place aujourd'hui dans la plupart des hôpitaux universitaires. Peu de temps après son arrivée à Baltimore où il enseigne, Osler a insisté pour que les étudiants en médecine puisse se rendre au chevet des patients dès le début de leur formation. Pendant leur troisième année, ils recueillaient l'histoire du patient, réalisaient des examens cliniques et pratiquaient des examens de laboratoire sur les sécrétions, le sang et les selles au lieu de prendre des notes dans une salle de cours. Il a réduit l’importance des cours magistraux et a déclaré un jour qu'il espérait que sur sa pierre tombale on écrirait seulement, "Il a amené les étudiants en médecine au chevet des malades pour y recevoir leur enseignement", considérant cela comme étant de loin le travail le plus utile et le plus important qu'il ait été amené à faire. Devenu doyen d'Oxford, il n'en demeura pas moins un farceur invétéré, écrivant plusieurs pièces humoristiques sous le pseudonyme d’Egerton Yorrick Davis, parvenant même à tromper le rédacteur en chef des Philadelphia Medical News avec un article sur le soi-disant phénomène du pénis captivus (pénis captif). Il aimait à dire: "Celui qui étudie la médecine sans livres navigue sur une mer inconnue, mais celui qui étudie la médecine, sans voir les patients ne va même pas en mer. Si vous écoutez attentivement le patient, ils vous donnera le diagnostic."

Lu dans;
Oliver Sackx. Un anthropologue sur Mars. Seuil . 1996 460 pages. Exergue p.7
Wikipedia. William Osler. http://fr.wikipedia.org/wiki/William_Osler

06 décembre 2009

05 décembre 2009

Article 27 asbl

"On peut vivre sans le "je ne sais quoi" comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien."
V.Jankélévitch
 
Je termine ma consultation par J. qui vient "juste pour un papier" destiné à son médecin du travail. L'occasion est belle pour évoquer son quotidien paumé, détruit par l'alcool, son gris cortège et sa déstructuration lente. Il me surprend par sa connaissance du théatre et du cinéma, qu'il fréquente bien plus régulièrement que moi et le plaisir qu'il y prend. J'apprends ainsi l'existence de l'asbl Article 27 qui se donne pour mission "de sensibiliser et de faciliter l'accès à toute forme de culture pour toute personne vivant une situation sociale et/ou économique difficile" en permettant un accès gratuit à une vaste série de manifestations culturelles. Le choix est varié, théâtre, danse, cirque, théâtre de rue, spectacles de musique classique, opéra, jazz, rock ou musiques folkloriques. Le cinéma n'est pas oublié, des films passant en salle aux documentaires, exploration du monde, tout comme les expositions d’arts plastiques (exposition de peinture, sculpture, architecture, arts contemporains, etc.) A découvrir et à faire partager par tous ceux à qui cette initiative étonnante pourrait redonner un peu de sens à une vie bien éteinte. 

Lu dans:
Jean-Jacques Lubrina. Vladimir Jankélévitch. Les dernières traces du maître. Editions du Félin. 2009. 200 pages. Extrait p.23
Article 27 asbl http://www.article27.be/index.php
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02 décembre 2009

Le meilleur d'entre nous

« L'étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté. »
Montesquieu
Me revient le récit de ce sage qui, se sachant condamné, décide d'apprendre à jouer de la flûte. D'aucuns s'en étonnent, lui demandent quelle utilité cela peut avoir quand il ne reste que quelques semaines à vivre. Si ce n'est "d'approcher ce qu'on ressent quand on apprend encore à quelques jours de sa mort." 
La réflexion de Montesquieu est citée dans le cadre des Grandes Conférences catholiques, qui ce soir recevaient Alain Juppé. Les revers de la vie et des amitiés politiques auraient-ils bonifié cet énarque froid, ex-premier de France, "le meilleur d'entre nous tous" comme le nommait Chirac, mais dont la réputation d'intellectuel calculateur creusa la perte. Revenu d'un long exil québecois, le "moins durable des ministres de l'environnement durable" dans le premier gouvernement Fillon (trois petites semaines de fonction) est redevenu le premier municipaliste de Bordeaux où il découvre une "sobriété heureuse". Une heure de bonheur pour un public conquis, partage chaleureux d'expérience et de convictions nouvelles issues de blessures profondes, d'échecs et de trahisons sur lesquelles il n'est guère disert. On finira par souhaiter quelques "traversées du désert" à  nos responsables politiques. 

Montesquieu (1689-1755). Cahiers.
Je ne mangerai plus de cerises en hiver. Alain JUPPE. Plon . 2009. 252 pages