12 juillet 2009

L'extinction des des feux

"Le grand repos que donnent les bêtes
c'est que je m'intéresse à elles
qui s'intéressent peu à moi."
Claude Roy
Un changement de phase, d'à peine dix minutes, m'a fait assister hier soir sur notre terrasse paisible avec vue sur jardin, à la magie d'un décor qui s'éteint. L'éclat du soleil frisant sur la tour de la collégiale Saint Michel et Gudule, relayé par l'illumination de la fée électricité a donné l'envoi. Le vol de cinq oiseaux en escadrille dans l'exacte ligne tracée par un avion parti vers l'autre bout du monde me remémore Félix Leclerc : "On va faire une promenade? Avec plaisir. Ils sont partis en direction de la mer, en volant: c'étaient des oiseaux". Le bleu soleil sombre peu à peu dans le bleu nuit. Le chuchotement d'un couple sur une terrasse voisine - la ville par la proximité des lieux de vie enseigne la discrétion et le respect des environnements particuliers - s'estompe avec la clarté. Les arbres bruissent d'oiseaux divers dont les chants se répondent, mais se répondent-ils ? Tout ce que j'ai appris ne m'a pas donné réponse à la nature profonde du langage des oiseaux: le merle de la cîme du sapin répond-il à la merlette du bas, ou chantent-ils leur partition sans se tracasser l'un de l'autre? Le pépiement des moineaux domestiques se soucie-t-il le moins du monde des trilles des mésanges ou des rouge-gorges , bref ce qui est symphonie pour nos oreilles humaines ne serait-elle qu'une cacophonie d'instruments naturellement accordés les uns aux autres, mais sans aucune partition commune. 

Un couple de tourterelles a réintégré sa place habituelle pour y bâtir son nid. Où étaient-elles donc durant leur longue absence? Pourquoi sont-elles revenues exactement à la même place, et sont-ce les mêmes d'année en année? Qui écrira l'histoire des couples de tourterelles, il doit y avoir là comme ailleurs de bien étranges histoires. Le rôle peu clair des pies reste lui aussi à éclaircir, elles n'ont pas une réputation bien nette dans le milieu et on n'en voit que rarement cohabiter avec d'autres oiseaux dans notre minuscule enclos urbain, rafraîchi par un minuscule étang. Surprise la semaine passée: un héron, un vrai, s'y est déposé, le bec avantageusement orienté vers les poissons qui y nagent. Il s'envole dès notre arrivée, la conscience apparemment peu tranquille, même si comme dans l'histoire de comptoir "il voulait sauver les poissons d'une noyade certaine en les emportant dans les cieux." 

Soudain la nuit est tombée. Les fenêtres se sont allumées une à une, quelques étoiles aussi. Un chien se met à aboyer dans le jardin d'en face, et aussitôt un voisin rageur (pavlov n'est pas mort) lui intime de se taire en frappant dans les mains, en hurlant "silence" et en s'époumonnant dans un sifflet de policier. Les oiseaux qui se sont tus les uns après les autres rient sous cape, pour autant qu'ils s'intéressent à nous autant que nous à eux, ce qui n'est pas sûr du tout. Et ils auraient raison, car il est paradoxal de hurler "silence" alors qu'on pourrait se contenter de chuchoter "bruit", surtout après l'extinction des feux. 

Je vous souhaite une bonne semaine. Je vogue demain pour quelques jours vers le moulin de Tartarin de Tarascon, Fontvieille et ses cigales, s'il en reste: je vous le confirmerai volontiers. Vivre un 14 juillet en outre-Quiévrain reste pour nous un bonheur rare. J'ai dans les bagages des livres neufs et un vieux Livre de Poche à l'odeur âcre intitulé Que ma joie demeure, du Giono pur jus qui m'avait ému à l'époque. Mais j'avais 16 ans, et de l'eau a coulé dans la Durance de Stewball et de Daudet depuis. J'en commencerai le premier chapitre et on verra bien. 

Lu dans
Impromptu de juillet. Ecrit le 13 juillet 1986. Le voyage d'automne. Gallimard. 1987. 114 pages. Extrait p.96
Le calepin d'un flâneur. Félix Leclerc. Bibiothèque québecqoise. 1961. 218 pages. Extrait p 87.

Une toux guère innocente

"Je ne resterai jamais dans une salle d'où je ne peux pas sortir !"
G. Banu

Que n'a t-on dit sur le silence durant une représentation. Récemment je fus abasourdi par la virulence d'une altercation entre une spectatrice tousseuse et une voisine de balcon au Bozar, incapable de départager le droit inaliénable d'une asthmatique d'assister à une finale du Concours Reine Elisabeth et d'une mélomane à l'ouië (trop?) sensible. Quoique. Le symptôme d'ennui n'est-il pas dans ces toux éparses, ce frémissement gêné... Les applaudissements, protocole respecté, ne sauront pas effacer les indices inquiétants fournis par le comportement du public. Ils sont repérables. Lisibles. Subtile réflexion que développe Georges Banu dans Le Monde ce samedi, qui ne clôt guère le débat.  "L'homme de théâtre ne fustige rien de plus que le spectateur qui quitte une salle au point même d'élaborer une fois encore des stratégies à même de juguler les hémorragies prévisibles. La suppression de l'entracte s'explique, parmi d'autres, par de pareilles craintes aussi. A-t-on droit de partir ? Etant jeune, dans une salle bondée, je me souviens d'un vieux metteur en scène respecté que j'ai vu se lever, lorsqu'il a appris que, selon les coutumes de l'avant-garde des années 1960, les portes du théâtre étaient fermées. En se retournant vers nous, il cria : "Je ne resterai jamais dans une salle d'où je ne peux pas sortir ! Il y a des modes violents ou discrets pour quitter une salle, mais ce départ doit toujours rester possible. A-t-on lu tous les livres jusqu'au bout ? (..) Une question : pourquoi part-on toujours en couple ? Est-ce signe de fusion ou de soumission ? "

Lu dans
Silence amoureux et départ volontaire, par Georges Banu. 11.07.09. Le Monde. Georges Banu est critique théâtral, auteur de "Miniatures théoriques" (Actes Sud, 144 pages, 22 €). 

10 juillet 2009

Sagesse du doute

«C'est un triste chemin que de monter et de descendre l'escalier d'autrui.»
Dante, La Divine comédie 


J'avais oublié jusqu'à l'existence de Dante, Cathérine (82 ans) me l'a remise en mémoire hier. Son mari est décédé des suites d'une démence il y a trois ans, et pour la première fois elle est revenue à sa bibliothèque pour se lancer dans la lecture de La divine comédie, imprimé il y a 50 ans. Elle y a découvert un mince feuillet jauni écrit de la main de son beau-père, recommandant de s'inspirer autant que possible de la lecture du poète italien ("Autant que savoir, douter me plaît", souligné dans le texte) et conseillant de poursuivre par la découverte de maître Eckkaert...  Cathérine m'explique qu'elle oublie de plus en plus, ce pourquoi elle recopie dans un cahier toilé l'essentiel de ses découvertes et de ses réflexions personnelles. "Je m'aperçois que mémoire et réflexion sont deux notions totalement différentes" souffle-t-elle, "dès lors et si je perds l'une, l'autre fonctionne comme lorsque j'avais 20 ans, dès lors j'écris." 

Je la quitte pour rendre visite à une autre patiente, plus âgée, plus oublieuse, dont je note l'étonnant monologue: "je ne sais pas où je suis, ni même plus qui je suis, heureusement qu'il y a des cartes d'identité, mais c'est ma fille qui l'a car elle craint que je la perde. On est le 2 juillet, je ne m'en souviens pas mais je viens de le lire sur la première page de mon journal, c'est agréable un 2 juillet, cela évoque le 21 juillet et la fête nationale, et des dizaines de souvenirs heureux. Heureusement qu'on a encore tout ce bonheur dans la tête. Je n'entends plus bien, j'ai les oreilles bouchées, tant mieux, ainsi les souvenirs heureux ne pourront pas sortir. "

On quitte tout cela avec des sentiments mélangés, dehors le ciel est gris plombé d'un côté, tout bleu de l'autre, juillet cette année est capricieux. Comme la vie sans doute, heureusement qu'on a la possibilité de garder tout ce bonheur dans la tête. 

09 juillet 2009

Sagesse de la différence

"Le progrès de la connaissance est entièrement basé sur les divergences d'opinion."

Karl Popper

07 juillet 2009

La connaissance accroît les limites de l'ignorance

"Je sens que je progresse à ceci que je recommence à ne rien comprendre à rien."
Ramuz
 
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Charles Ferdinand Ramuz. Journal, 10 septembre 1917. Extrait du Chant de notre Rhône.

Sagesse du Sun Zi

"Souvenons-nous de ces maximes du Sunzi: si l'ennemi arrive reposé, commencez par le fatiguer; s'il arrive rassasié commencez par l'affamer; s'il arrive uni, commencez par le désunir. Sans même qu'il s'en rende compte, transformez-le jusqu'à ce qu'il ait perdu la capacité de vous résister; dès lors, à peine vous l'attaquez, il se défait, et 1'action devient inutile."


Un des premiers principes de l’art de la guerre chez Sun Zi est de pouvoir gagner sans combat. L’Art de la guerre de Sun Zi fut à l’origine un ouvrage militaire, mais dont les principes sont aujourd’hui couramment utilisés dans le monde de l’entreprise et dans la construction de stratégies de développement économique par les entreprises chinoises, en particulier à l’international. La guerre devient ainsi un art de l’affrontement indirect, basé sur la tactique et l’intelligence plus que sur les forces en présence. C’est la recherche de la meilleure adaptation, par l’étude approfondie du terrain, la ruse mais aussi grâce à une utilisation optimale de l’information. Ces concepts de base de l’analyse stratégique de Sun Zi sont très adaptés à la vie économique actuelle et à la compétition qui règne pour la maîtrise des secteurs économiques dominants. 

Lu dans
François Jullien. Les transformations silencieuses. Chantiers, I. Grasset. 2009. 198 pages. Extrait p. 184.

05 juillet 2009

Sagesse de Mencius

"Un paysan qui veut que son blé pousse, tire sur les pousses; le soir, quand ses enfants accourent voir le résultat, tout est desséché. En tirant sur les pousses, en visant par cette action directement l'effet, il a forcé l'effet et produit immanquablement du contre-effet. Car la poussée est dans la situation: la graine qui est dans la terre et ne demande qu'à pousser. Faut-il pour autant rester passivement au bord du champ et regarder pousser: j'attends que ça pousse... ? Non, bien sûr; il convient seulement, nous dit Mencius, de faire ce que tout paysan sait, qui est discret et non pas héroïque: de jour en jour, biner, sarcler, bêcher, au pied de la pousse - favoriser la poussée, c'est-à-dire favoriser la transformation silencieuse qui aboutit peu à peu, sous nos yeux, mais sans qu'on s'en aperçoive, à ce que le blé un jour soit mûr et qu'on n'ait plus qu'à le couper. "
Mencius
 
Mencius, est à la fois le nom d'un penseur chinois ayant vécu aux alentours de 380-289 av. J.-C, disciple de Confucius et recueil d'entretiens consignés dans le livre qui porte son nom, le Mencius. On y retrouve cette autre anecdote souvent racontée aux enfants en Asie du Sud-Est. Un jour, sa mère, ayant élu domicile dans un endroit "convenable" pour l'éducation de son fils, était à son ouvrage - un métier à tisser. Elle vit le jeune garçon rentrer de l'école plus tôt que prévu. Sans mot dire, elle prit les ciseaux et coupa le beau morceau de tissu qu'elle était en train de réaliser. Le jeune Mencius lui demanda pourquoi ce geste de destruction d'un si bel ouvrage ! Ce à quoi sa mère rétorqua : « C'est exactement ce que tu es en train de faire ! » Aussitôt, l'enfant se confondant en excuses, retourna à l'école et devint le grand philosophe Mencius. 

Lu dans:
Mencius II, A, 2 (16)
François Jullien. Les transformations silencieuses. Chantiers, I. Grasset. 2009. 198 pages. Extrait p. 185

Pilote automatique

"Depuis la fin des années 1980 et la catastrophe de la navette Challenger, on a découvert que l'erreur humaine n'existe pas, et que c'est l'organisation du travail qui place l'homme en situation d'échec. Cela débouche sur l'analyse de la dangerosité des systèmes socio-techniques eux-mêmes." Car la relation entre l'homme et les automatismes est paradoxale : ceux-ci ne sont sûrs que s'ils intègrent l'homme comme ultime recours pour parer à leur propre défaillance ; mais l'homme qui n'intervient plus dans la conduite ordinaire perd peu à peu sa capacité d'intervention en urgence...
Franck Guarnieri, directeur du Centre de recherche sur les risques et les crises de l'Ecole des mines de Paris

 
Ce qui vaut pour Challenger paraît s'appliquer à l'Airbus A330 d'Air France qui effectuait la liaison Rio-Paris, dans la nuit du 31 mai au 1er juin et s'est abîmé en mer sans raison connue à ce jour. Mais aussi à de nombreuses situations vécues dans notre quotidien, à chacun d'entre nous d'en faire la liste. 

 
Lu dans
Quatre minutes et quinze secondes du vol Rio-Paris, Alain Faujas, LE MONDE, 03.07.09

04 juillet 2009

La mer au plus près

"J’ai grandi dans la mer et la pauvreté m’a été fabuleuse, puis j’ai perdu la mer, tous les luxes alors m’ont paru gris, la misère intolérable. Depuis, j’attends. J’attends les navires du retour, la maison des eaux, le jour limpide."
Albert Camus. La mer au plus près


Aujourd'hui la terre suffit pour incarner les tourments humains, et la mer paradoxalement devient refuge ce qu'elle n'était guère jadis. La mer, mère nourricière et cimetière des marins est devenue symbole d'une fuite perpétuelle des misères de la terre. Petite pensée pour accompagner les vacanciers qui se dirigent vers elle ce week end.   
 

03 juillet 2009

La montre dans les chaussures

Sieste à la plage
La montre dans ma chaussure
Le temps est à mes pieds

Christophe Rohu
 
Un certain nombre bénéficie d'un départ en vacances ce week end, ce petit clin d'oeil pour les leurs souhaiter bénéfiques

01 juillet 2009

HArmonie

«L’art est beau quand la main, la tête et le coeur travaillent ensemble.»
John Ruskin