31 mai 2007

29 mai 2007

la lampe cachée

«Telle cette lumière dans l’esprit
Qui brille quand on quitte, de nuit, sa chambre,
Une lampe cachée contre son coeur,
Pour retrouver une autre ombre dansante.»


Yves Bonnefoy - Les Planches courbes

27 mai 2007

Une petite musique de nuit

"C'est fini la sourdine
Je rue dans les brancards
Je suis Léopoldine
La soeur de Mozart
Et comme la renommée
N'est pas un boomerang
Je n'aurais pas dû le laisser signer
Wolfgang. "

Wolgang et moi, F. Mallet Joris/ MP Belle. 1973

Il m'aura fallu plus de trente ans pour réaliser que la superbe ritournelle deMarie-Paule Belle, écrite par sa comparse Françoise Mallet Joris n'étaitnullement le fruit de leur imagination débordante. Un tout récent ouvrage de Rita Charbonnier narre toute l'histoire d'une rivalité familiale peu ordinaire. En cette année 1763, dans toutes les Coursd'Europe, Maria-Anna Mozart, surnommée Nannerl, fait un triomphe aux côtés deson jeune frère. Unis par une même passion, ils nourrissent une tendrecomplicité face aux sévérités d'un père opposant une rigoureuse discipline àl'insolence de leur génie. Mais Nannerl, l'aînée, est vite rattrapée par les obligations imposées auxjeunes filles de son temps. Et devra étouffer ses aspirations, taire sesprodigieuses facultés et s'effacer devant Wolfgang, ressentant tout à tourranc½ur; jalousie et admiration pour ce petit frère, objet de tous les soins.Elle ne gardera rien de ses propres compositions, brûlera ses partitions et ne laissera à la postérité que quelques lettres, témoignage d'un talent sacrifié.

La Soeur de Mozart Rita Charbonnier . Points Seuil n° PI 696, 399 pp.

Je vous souhaite une bonne semaine

CV.

26 mai 2007

vive la vie

"Dans le monde comme il tourne, dire qu'on aime la vie
c'est comme crier "j'aime les crèmes glacées" dans sa maison en flammes."

Lu hier, quelque part

le passage du temps

"J'aimais penser au cimetière où vont mourir les jours. J'avais le sentiment que c'était lorsqu'ils devenaient des nuits que les jours mouraient. Je les voyais se mettre les uns derrière les autres pour se diriger vers le cimetière".

Kebir M. Ammi. Le ciel sans détours. Gallimard.

Une bien belle réflexion sur le passage du temps...

25 mai 2007

de la fidélité en amitié

"Il est malaisé de rester fidèle à des amis qui ne demeurent pas fidèles à eux-mêmes."

Louis Scutenaire.

24 mai 2007

l'ouië fine du malheur

(..) et c'est parce qu'ils sont blessés qu'ils comprennent.
Une blessure écoute toujours plus finement qu'une oreille."

Aaron Appelfeld.


Peu d'entre nous se souviendront sans doute qu'en 2004, cet auteur remporta le Medicis du livre étranger avec "Histoire d'une vie". Aharon Appelfeld nous y livrait des fragments d'une existence marquée au sceau de l'épreuve: souvenirs de sa petite enfance à Czernowitz, en Bucovine. Portraits de ses parents, des juifs assimilés, et de ses grands-parents, un couple de paysans dont la spiritualité simple le marque à jamais. Puis des scènes brèves, d'une violence inouïe, visions arrachées au cauchemar de la déportation et de l'extermination. Vient ensuite l'arrivée en Israël, et l'élaboration progressive de son oeuvre.La phrase de ce jour en prend une densité inattendue.

21 mai 2007

acide sulfurique

"Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus :
il leur en fallut le spectacle."

Amélie Nothomb. Acide sulfurique

L'art d'un auteur; mettre des mots sur des sentiments ressentis chaque soir, lors de la découverte des nouvelles su monde.
"Que d'hommes se pressent vers la lumière, non pas pour voir mieux mais pour mieux briller."

F. Nietszche.

20 mai 2007

Sagesse du passant lambda.

"Qui es-tu, d'où viens-tu, où vas-tu? Je m'appelle Jean, je suis à la station Mérode et je rentre chez moi."

Entre moka et croissant ce dimanche matin, cette petite phrase anodine me revient, avec une pensée amicale pour Philippe qui doit se trouver dans le Thalys le ramenant d'Annecy. J'imagine le retour sur terre après une semaine stimulante de formation Balint, l'esprit enchanté par la multiplicité de la relation patient-médecin, un zeste d'introspection et une interprétation enrichie des multiples signes cachés de nos mots, gestes et et regards.

Je l'imagine découvrant son courrier de huit jours, parsemé de demandes triviales de renouvellement de prescription urgente, de dispense à l'obligation de vote et de certificats pour la natation: le beau métier de médecin, sur la terre comme au ciel.

17 mai 2007

Qui aime les bêtes aime les hommes

"J'ai fait cette nuit un rêve dans lequel L. Bonaparte rendait contre la rage le décret que voici : Je, Napoléon, etc... décrète : article 1er. Il n'y a plus de chiens. Art. II. Tous les chiens sont élevés à la dignité de gendarmes. Art. III. Quiconque mordra sera destitué. Art. IV. On aboiera en français."Victor Hugo (Choses vues, 1858)

"Dans un courrier adressé le 18 avril 2007 au président de l’association Stéphane Lamart pour la défense des droits des animaux, le candidat Nicolas Sarkozy écrit : «[…]On estime que 100 000 animaux entrent de manière illégale sur notre territoire. Cette réalité confirme la nécessité de mieux encadrer le commerce des animaux de compagnie. […] Sans doute faut-il également rendre obligatoire la stérilisation des animaux dans les refuges avant leur adoption. […]»

16 mai 2007

Il empêche de naître

"Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas; il les touche et ne les sent point; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.

Au dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?

C'est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l'emploi du libre arbitre; qu'il renferme l'action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu'à l'usage de lui-même. L'égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait.

Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la sue d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître".

Alexis de Toqueville (1805-1859). De la démocratie en Amérique, "Quelle espèce de despotisme les nations démocratiques ont à craindre"

13 mai 2007

La fête, le lendemain

"Il n'y avait pas un seul de ces convives avec qui Meaulnes ne se sentît à l'aise et en confiance. Il expliquait ainsi plus tard cette impression : on imagine de vieilles gens, des grands-parents pleins d'indulgence, qui sont persuadés à l'avance que tout ce que vous faites est bien fait. Certainement parmi ces bonnes gens-là les convives de cette salle avaient été choisis. Quant aux autres, c'étaient des adolescents et des enfants..."

Alain Fournier. Le grand Meaulnes

Bon vent à Anne Cathérine et Quentin sur la route prometteuse d'une existence partagée. La fête fut belle, rappelant par certains accents les plus beaux textes d'Alain Fournier.
Qu'elle soit à l'image de votre vie

CV

11 mai 2007

Eloge du silence

"Dis-moi ce que tu tais
Je te dirai qui tu es."

Exergue du Petit Silence illustré, édité en 1955 par Jacques Sternberg (7 numéros) et remplacé ensuite par le journal satirique Hara Kiri.

10 mai 2007

Les mots qu'on murmure et ceux qu'on profère

"Ballaciner: tomber du ciel de nuage en nuage, entre les éclairs."

J.M.G. Le Clezio. Ballaciner. Nrf. Gallimard. 2007.

Neologisme poétique créé par Le Clezion pour exprimer son amour du cinéma, associant ballade et ciné, il fait partie de ces mots friandises qu'on se répète pour le simple plaisir. Rien de commun avec "bavasser", que je ne connaissais guère non plus jusqu'il y a deux semaines, avant qu'un futur président français ne l'utilise avec rage ("Il y en a qui sont dans un grand hôtel à bavasser ensemble, moi, mon hôtel, c'est ici."
Curieux: tant de voyelles et de consonnes communes entre ces deux verbes, positionnés pourtant aux antipodes l'un de l'autre. Ce sont les lèvres qui font les mots.

09 mai 2007

Sagesse du silence

"Tout ce qui peut être dit peut l'être clairement;et ce dont on ne peut parler , on doit le taire."

Wittgenstein. Tractatus logico-philosophicus

Il ne se paiera pas de mots: après la sortie de son ouvrage, il gardera le silence pendant huit ans, abandonnant Cambridge pour devenir assistant jardinier dans un monastère près de Vienne.

08 mai 2007

Sagesse de l'inconnu

"Pour atteindre un objectif qu'on ne connaît guère,
il faut emprunter des chemins qu'on ne connaît pas."

Saint Augustin, cité par Pierre Bartholomé.

05 mai 2007

le goût de la chouquette

"J'avais quinze ans, je sortais du lycée, affamé comme on peut l'être à cet âge, sans discernement, sauvagement et pourtant avec une quiétude que je me rappelle seulement aujourd'hui, et qui est juste ce qui fait si cruellement défaut à toute mon œuvre. Toute mon œuvre que ce soir je donnerais sans regret, sans l'ombre d'un remords ni l'amorce d'une nostalgie, pour une seule et dernière chouquette de supermarché.

J'ouvrais le sac sans ménagement, je tirais sur le plastique et agrandissais ensuite grossièrement le trou que mon impatience y avait formé. Je plongeais la main dans le sac, je n'aimais pas le contact gluant du sucre déposé sur les parois par la condensation de la vapeur. Je détachais précautionneusement une chouquette de ses congénères, je la portais religieusement à ma bouche et je l'engloutissais en fermant les yeux. On a beaucoup écrit sur la première bouchée, la deuxième et la troisième. On a dit beaucoup de choses justes à ce sujet. Toutes sont vraies. Mais elles n'atteignent pas, et de très loin, l'ineffable de cette sensation-là, de l'effleurement puis du broyage de la pâte humide dans une bouche devenue orgasmique. Le sucre imbibé d'eau ne croquait pas: il cristallisait sous la dent, ses particules se dissociaient sans heurt, harmonieusement, les mâchoires ne le cassaient pas, elles l'éparpillaient en douceur, dans un indicible ballet fondant et croustillant.

La chouquette adhérait aux muqueuses les plus intimes de mon palais, sa mollesse sensuelle épousait mes joues, son élasticité indécente la compactait immédiatement en une pâte homogène et onctueuse que la douceur du sucre rehaussait d'une pointe de perfection. Je l'avalais rapidement, parce qu'il y en avait encore dix-neuf autres à connaître. Seules les dernières seraient mâchées et remâchées avec le désespoir de la fin imminente.

Je me consolais en songeant à la dernière offrande de ce sachet divin: les cristaux de sucre déposés tout au fond, en souffrance d'un chou auquel s'agripper, et dont je fourrerais les dernières petites sphères magiques, avec mes doigts poisseux, pour terminer le festin d'une explosion sucrée."

Muriel Barbery. Une gourmandise. (6)

On termine. au terme d'une quête éperdue, arrivé en fin de vie, notre critique gastronome retrouve inopinément la saveur perdue qu'il traquait afin d'en savourer la sensation une dernière fois avant de mourir. On l'aura deviné, comme dans Proust, elle l'amène aux années sauvages de ses quinze ans, sur le chemin du retour de l'école, insouciant et avide de tout. Le goût de la chouquette...

Pour ceux qui ignorent comment se prépare une bonne chouquette, la page de Wikipedia qui lui est consacrée lèvera les incertitudes: http://fr.wikipedia.org/wiki/Chouquette
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04 mai 2007

Sagesse du dimanche matin

"Une ode permanente et vivante à la brioche du dimanche matin lorsque, engourdis mais heureux de ce jour de repos qui commence, nous enfilons un vieux chandail confortable et descendons préparer du café en surveillant du coin de l'œil la boule brune qui repose sur la table. On se sent délicieusement mal réveillés, on jouit encore quelques instants, dans le silence, de n'être pas soumis à la loi du travail, on se frotte les yeux avec de la sympathie pour soi-même et, quand monte l'odeur palpable du café chaud, on s'assied enfin devant son bol fumant, on presse amicalement la brioche qui se déchire doucement, on en traîne un morceau dans l'assiette de sucre en poudre, au centre de la table, et, les yeux mi-clos, on reconnaît sans se le dire la tonalité douce-amère du bonheur."

Muriel Barbery . Une friandise. (5)

03 mai 2007

Le pain quotidien

"Si le pain se « suffit à lui-même », c'est parce qu'il est multiple, non pas en ses sortes particulières mais en son essence même car le pain est riche, le pain est plusieurs, le pain est microcosme. En lui s'incorpore une assourdissante diversité, comme un univers en miniature, qui dévoile ses ramifications tout au long de la dégustation. L'attaque, qui se heurte d'emblée aux murailles de la croûte, s'ébahit, sitôt ce barrage surmonté, du consentement que lui donne la mie fraîche. Il y a un tel fossé entre l'écorce craquelée, parfois dure comme de la pierre, parfois juste parure qui cède très vite à l'offensive, et la tendresse de la substance interne qui se love dans ses joues avec une docilité câline, que c'en est presque déconcertant. Les fissures de l'enveloppe sont autant d'infiltrations champêtres: on dirait un labour, on se prend à songer au paysan, dans l'air du soir; au clocher du village, sept heures viennent de sonner; il essuie son front au revers de sa veste; fin du labeur.

À l'intersection de la croûte et de la mie, en revanche, c'est un moulin qui prend forme sous notre regard intérieur; la poussière de blé vole autour de la meule, l'air est infesté de poudre volatile; et de nouveau changement de tableau, parce que le palais vient d'épouser la mousse alvéolée libérée de son carcan et que le travail des mâchoires peut commencer. C’est bien du pain et pourtant ça se mange comme du gâteau ; mais à la différence de la pâtisserie, ou même de la viennoiserie, mâcher le pain aboutit à un résultat surprenant, à un résultat... gluant. Il faut que la boule de mie mâchée et remâchée finisse par s'agglomérer en une masse gluante et sans espace par où l'air puisse s'infiltrer; le pain glue, oui, parfaitement, il glue. Qui n'a jamais osé malaxer longuement de ses dents, de sa langue, de son palais et de ses joues le cœur du pain n'a jamais tressailli de ressentir en lui l'ardeur jubilatoire du visqueux. Cc n'est plus ni pain, ni mie, ni gâteau que nous mastiquons alors, c'est un semblant de nous-mêmes, de ce que doit être le goût de nos tissus intimes, que nous pétrissons ainsi de nos bouches expérimentées où la salive et la levure se mêlent en une fraternité ambiguë."

Muriel Barbery . Une gourmandise (4)