28 octobre 2006

Les choses s'arrangent

"Les choses s'arrangent mais ça ne va pas mieux."
Kate Atkinson. De Fallois . 2006

La lecture du supplément Livres du Soir devant la télévision donne parfois de comiques raccourcis. Telle la découverte de ce récent roman dont le titre s'est superposé aux images télévisées de Bush commentant les résultats de l'intervention américaine en Irak et di Rupo la reprise en main des affaires de Charleroi.

Se perdre

"C'est en se perdant en soi-même qu'on peut un jour s'accepter."
Jacques Attali . Chemins de sagesse, Traité du labyrinthe.

C'est en se perdant qu'Ulysse réalise l'amour de sa femme, que Colomb découvre l'Amérique, que Newton comprend la gravitation. C'est en s'égarant dans le désert que le peuple juif a reçu sa Loi. C'est aussi ce que dit la sagesse celte lorsqu'elle écrit quë « dans certains voyages, c'est quand les voyageurs ont perdu leur chemin et qu'ils ramènent leurs rames à bord, quand ils ne vont plus nulle part, qu'ils atteignent les îles merveilleuses.
Dans la société industrielle, se perdre, c'est perdre. Perdre du temps et de l'argent. Toutes nos sociétés font de l'égarement un échec, voire une folie: il faut marcher droit, savoir où l'on va, ne jamais reconnaître qu'on s'est perdu.
Le labyrinthe - tous les labyrinthes dont j'ai parlé jusqu'ici - requiert pourtant une tout autre attitude. En y entrant, il faut accepter d'être désorienté, de vivre hors de J'espace et du temps, d'avoir le vertige, le tournis, de ne connaître d'avance ni la durée ni le chemin; d'admettre, alors qu'on croit atteindre le centre, qu'on est peut-être en train de s'en éloigner.

De fait, se perdre n'est jamais un échec. C'est une occasion de prendre du recul, d'aller là où l'on n'est pas attendu, de se trouver. Il faut même vouloir être égaré, trouver du plaisir à être perdu, ne pas faire ne pas faire ne pas faire d'une traversée un combat, mais une expectative curieuse. Ne pas craindre l'errance, la solitude, dominer la peur de l'inconnu, accepter d'avancer à l'aveugle, malgré l'ennemi peut-être tapi après la prochaine bifurcation. En science, sans errance, on ne trouve rien de ce qu'on ne cherche pas. En art, se perdre est la condition de la création. Dans l' apprentissage, sans échecs, on n'apprend rien.
Aimer se perdre suppose encore une qualité particulière: la curiosité. Elle permet d'apprendre dans l'égarement, de découvrir dans l'inconnu, de rencontrer dans l'ignorance. Elle implique de s'intéresser aux autres, de ne point chercher à leur imposer d'emblée sa propre voie, d'être aux aguets de toutes les différences, de se mettre à la place de l'étranger pour comprendre sa singularité. La curiosité est la qualité vitale du nomade, essentielle au voyageur du futur. Nombre de jeux vidéo forment assez bien à cette exigence. J'y vois même un exercice infiniment plus enrichissant que la contemplation passive de la télévision. Etrange coïncidence que l'avènement d'une technologie à l'heure où se révèle toute son utilité initiatrice pour les adolescents de demain.

C'est en se perdant dans une ville qu'on la rencontre. « Labyrinther », dit Rabelais; «trabouler », dit-on à Lyon. C'est se perdre avec plaisir. C'est en se perdant sur Internet qu'on apprend ce qu'on croyait ne pas avoir à savoir. C'est en se perdant en soi-même qu'on peut un jour s'accepter.

26 octobre 2006

le feu, le vide

"C'est par le vide entre deux bûches
que le feu brûle."

Michel Jourdan. Journal du réel gravé sur un bâton.

23 octobre 2006

Toute passion abolie

"J'ai toujours pensé qu'il valait mieux plaire beaucoup à une seule personne, qu'un peu à tout le monde!"
Vita Sackville-West. Toute passion abolie. p.65, Ed. Autrement, 2005

22 octobre 2006

les besoins d'un arbre

"Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d'élégance. La beauté qui leur est nécessaire c'est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d'étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches.[...]
Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait."
Erri de Luca . Trois chevaux, trad. Danièle Valin, p.23, Folio n°3678

Je vous souhaite une bonne semaine
CV.

20 octobre 2006

Mort sans descendance

ÉPITAPHE DE MISANTHROPE
"Je suis mort sans laisser de fils, et regrettant Que mon père avant moi n'en eût pas fait autant."
Anth. Pal., VII, 309.
Épigramme anonyme dans le goût de Callimaque, date incertaine. Peut-être Ille siècle avant notre ère

19 octobre 2006

les temps ordinaires

« C’est ainsi que je revins dans les temps ordinaires : on ne peut vivre sans cesse dans les aveuglantes certitudes de la vie et de la mort. Il faut bien qu'elles s’apaisent et que on retourne au temps mesuré des jours qui passent en glissant, égaux, où nous mènent des rênes invisibles et des repères banals et forts. Les enfants reprirent leur place d'enfants, nous la place de parents. »

Marie Rouanet. Année blanche. Albin Michel. 2003

L'inoubliable et l'inespéré

"Ce qui de mon passé m'échappe, les autres peuvent s'en souvenir. Accepter l'oubli, c'est aussi accepter que je ne sois pas le seul à me souvenir de moi, ni moi seul le lieu où je puisse me saisir moi-même. Accepter l'oubli, c'est aussi m'en remettre à l'autre de mon oublieuse mémoire, croire sa parole sur ce que je ne puis voir ni revoir. L'altération de la mémoire par l'oubli ne constitue pas seulement une destruction ou une mutilation, elle forme aussi le site possible d'une confiance. "
JL Chrétien. L'inoubliable et l'inespéré, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.

16 octobre 2006

des yeux pour voir

"Il ne suffit pas d'ouvrir les yeux pour voir, il faut que ces yeux interrogent."

Jean Louis Chrétien. L'appel et la réponse, Paris, éditions de Minuit, 1992.

15 octobre 2006

vos rires

« J'entends vos rires »
Alice Ferney. Les autres

Une courte phrase du dernier livre d'une auteure qui nous a déjà enchanté il y a peu. Parmi le florilège de belles phrases dont elle nous a gâtés, elle ne nous en voudra pas d'avoir choisi la plus simple pour en symboliser le coeur, dernier mots d'une vieille femme qui va mourir : «J'entends vos rires »


Bilan d'une vie

Ci-gît un fameux Cardinal
Qui fit plus de mal que de bien
Le bien qu'il fit, il le fit mal
Le mal qu'il fit, il le fit bien.

Epitaphe pour le cardinal Richelieu

14 octobre 2006

la beauté des ponts

"J'ai passé ma vie à Istanboul, sur la rive européenne, dans les maisons donnant sur l'autre rive, l'Asie. Demeurer auprès de l'eau, en regardant la rive d'en face, l'autre continent, me rappelait sans cesse ma place dans le monde, et c'était bien. Et puis un jour, ils ont construit un pont qui joignait les deux rives du Bosphore. Lorsque je suis monté sur ce pont et que j'ai regardé le paysage, j'ai compris que c'était encore mieux, encore plus beau de voir les deux rives en même temps. J'ai saisi que le mieux était d'être un pont entre deux rives. S'adresser aux deux rives sans appartenir totalement à l'une ni à l'autre dévoilait le plus beau des paysages. "

Turquie, Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006.

12 octobre 2006

sans hésitation c'est oui

«Quel est le plus beau mot d'amour? me demanda-t-il un jour.
« Sans hésitation, c'est: oui. »
FO Giesbert. Le vieil homme et la mort.

la suite dans le texte :
Il (Mitterrand) hocha la tête et me récita en substance les dernières lignes d'Ulysse de James Joyce: «Alors, je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m'a demandé si je voulais oui dire oui ma fleur de la montagne et d'abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l'ai attiré sur moi pour qu'il sente mes seins tout parfumés oui et son c½ur battait comme un fou et oui j'ai dit oui je veux bien oui. »

10 octobre 2006

des étoiles dorment

"Au fond des puits
dorment des étoiles."
A Gide

Une petite phrase qu'on a envie d'adresser à tous ceux (ou celles) qui ce soir sont tristes.

faire du silence une oreille

Un homme parle
et fait de cent silences
une vibrante oeille

Claire Lejeune

09 octobre 2006

Je c'est tout moi

Dès notre naissance, nous vivons avec un inconnu. Il faut s'arranger ensemble, et essayer de se comprendre, ce n'est pas toujours évident. "Je" ne s'entend pas avec "moi". Et pour certains, cela durera jusqu'à ce qu'ils soient enfin sous la terre. De la clarté à l'ombre, le différend aura duré. Et j'ose aussi écrire le différent avec un t.
J. Green. Le grand calme du soir. Flammarion. p.253

08 octobre 2006

07 octobre 2006

la poule n'est pas une nuisance

"Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n'est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d'un oeuf) au serein (dégustation d'un ver de terre) en passant par l'affolé (vue d'un renard) ; que ce paisible voisinage n'a jamais incommodé que ceux qui, pour d'autres motifs, nourrissent du courroux à l'égard des propriétaires de ces gallinacés ; la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d'orchestre et la poule un habitant d'un lieu-dit ".
Sagesse des décisions judiciaires.

05 octobre 2006

fleurs de neige

"La neige c'est de l'eau qui fleurit en hiver."

Michel Jourdan. Journal du réel gravé sur un baton. Ed du Rocher.

éveil et acte

"Tel homme s'éveille, le matin, dans son lit. A peine levé, il est déjà de nouveau endormi ; en se livrant à tous les automatismes qui font que son on corps s'habiller, sortir, marcher, aller à son travail, s'agiter selon la règle quotidienne, manger, bavarder, lire un journal; car c'est en général le corps seul qui se charge de tout cela , ce faisant il dort 'Pour s'éveiller il faudrait qu'il pensât : toute cette agitation est hors de moi. Il lui faudrait un acte de réflexion. Mais si cet acte déclenche en lui de nouveaux automatismes, ceux de la mémoire, du raisonnement , sa voix pourra continuer à prétendre qu'il réfléchit toujours; nais il s'est encore endormi. Il peut ainsi passer des journées entières sans s'éveiller un seul instant. Songe seulement à cela au milieu d'une foule, et tu te verras environné d'un peuple de somnambules L'homme passe, non pas, comme on dit, un tiers. de sa vie, mais presque toute sa vie à dormir de ce vrai sommeil de l'esprit. Et ce sommeil, qui est l'inertie de la conscience a beau jeu de prendre l'homme dans ses pièges : car celui-ci, naturellement et presque irrémédiablement paresseux, vouait bien s'éveiller certes, mais comme l'effort lui répugne, il voudrait; et, naïvement il croit la chose possible, que cet effort une fois accompli le plaçât dans un état de veille définitif ou au moins de quelque longue durée; voulant se reposer dans son éveil, il s'endort. De même qu'on ne peut pas vouloir dormir, car vouloir, quoi que ce soit, c'est toujours s'éveiller, de même on ne peut rester que si on le veut à tout instant.

Et le seul acte immédiat que tu puisses accomplir, c'est t'éveiller, c'est prendre conscience de toi-même. Jette alors un regard sur ce que tu crois avoir fait depuis le commencement de cette journée c'est peut-être la première fois que tu t'éveille vraiment; et c'est seulement en cet instant que tu as conscience de tu as conscience de tout ce que tu as fait, comme un automate sans pensée. Pour la plupart, les hommes ne s'éveillent même jamais à ce point qu'ils se rendent, compte d'avoir dormi. Maintenant, accepte si tu veux cette existence de somnambule. Tu pourras te comporter dans la vie en oisif, en ouvrier en paysan, en marchand, en diplomate, en artiste, en philosophe sans t'éveiller jamais que, de temps en temps, juste ce qu'il faut pour jouir ou souffrir de la façon dont tu dors ; ce serait même peut-être plus commode, sans rien changer à ton apparence, de ne pas t'éveiller du tout.

René Daumal, Tu t'es toujours trompé, Mercure de France

03 octobre 2006

plus plus moins

"Plus vite, plus fort, plus tôt, plus longtemps, plus tard,
plus performant, plus mobile, plus polyglotte, plus jeune
plus diplômé, plus svelte, plus sportif, plus bronzé
plus payé, plus embouteillé, plus pollué, plus enveloppé, plus imbibé
plus PLUS
cent millions d'euros d'antidépresseurs precrits en Belgique en 2005
quatre vingt trois millions d'euros d'antiulcéreux
les médecins prescrivent décidément ces choses-là sans aucun discernement."

musique

"Musique est lumière convertie à l'oreille."
C. Lejeune

02 octobre 2006

seul plein d'amis

"I'm sitting alone with some friends."
Ballade irlandaise

C'est une vieille et rude ballade irlandaise, qui parle d'un vieux chanteur entouré d'amis qui l'entourent, et si seul pourtant. Le contraire aussi existe: seul avec une étendue immense sous les yeux, et des amis plein le coeur.

01 octobre 2006

le vide et la vie

"Aux noces de Cana, je leur servirai la soif
Et ils me reprocheront de ne pas l'avoir servie d'abord."
Claire Lejeune. La gangue et le feu.

Le TAO nous rappelle que tout s'articule autour d'un vide, qui seul permet le mouvement, la vie: moyeu de la roue, bloc-cylindre des moteurs, case vide des puzzles carrés de notre enfance qui nous voyaient reconstruire une image cohérente en faisant glisser sous nos doigts de minuscules cases imagées, enveloppe creuse de la montgolfière.
La soif, faim et désert de l'âme précèdent-ils les plus belles fêtes?