13 mars 2024

Deux barques


 "Deux barques juste posées sur la rive,
point d'amarres ni d'entraves.
Un rien peut les libérer" 
            Philippe Devuyst


Un matin n'est jamais aussi lumineux que le jour où on prend la route.


Lu dans: 
Philippe Devuyst. Alouettes, où êtes-vous. Autoédition. 2024.

12 mars 2024

L'homme qui plantait des arbres

 "Pour que le caractère d'un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l'idée qui la dirige est d'une générosité sans exemple, s'il est absolument certain qu'elle n'a cherché de récompense nulle part et qu'au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d'erreurs, devant un caractère inoubliable."

                            Jean Giono


En 1953, le magazine américain Thé Reader's Digest demanda à Giono d'écrire quelques pages pour la rubrique bien connue "Le personnage le plus extraordinaire que j'aie jamais rencontré ". Quelques jours plus tard, le texte tapé à la machine, était expédié, et la réponse ne se faisait pas attendre : réponse satisfaite et chaleureuse, c'était tout à fait ce qui convenait. Quelques semaines passèrent, et un beau jour Giono descendit de son bureau. Son visage reflétait la stupéfaction. Il venait de recevoir une deuxième lettre du Reader's Digest, d'un ton bien différent de la première : on l'y traitait d'imposteur... Giono trouvait la situation cocasse, mais ce qui prédominait en lui à l'époque, c'est la surprise qu'il puisse exister des gens assez sots pour demander à un écrivain, donc inventeur professionnel, quel était le personnage le plus extraordinaire qu'il ait rencontré, et pour ne pas comprendre que ce personnage était forcément sorti de son imagination... Fiction ou pas, ce petit ouvrage figure au panthéon de mes lecture préférées. Peut-être parce qu'il donne vie au héros sans gloire ni histoire auquel nous aimerions tous ressembler.


Lu dans: 
Jean Giono; L'homme qui plantait des arbres. Gallimard. NRF Collection blanche. 1996. 33 pages

09 mars 2024

L'inattendu de toutes les couleurs


"Ce matin je sors de chez moi
Il m'attendait, il était là
Il sautillait sur le trottoir
Mon Dieu, qu'il était drôle à voir
Le petit oiseau de toutes les couleurs
Le petit oiseau de toutes les couleurs."  
                    Gilbert Bécaud, Maurice Vidalin



Surprise aux premiers rayons de soleil, une mésange enchante notre petit jardin, bientôt rejointe par une seconde. Elles en explorent les recoins et le minuscule nichoir qui semble les attendre. On prévoit l'achat de graines, imagine une nichée. Et puis le lendemain, plus rien. On ne connaîtra jamais la raison de leur disparition aussi soudaine que leur arrivée, la crainte des pies ou l'ombre d'un chat dans les rideaux de nos voisins. Rien n'est aussi imprévisible que la survenue de l'inattendu et sa dissolution, mais quel bonheur.




Lu dans:
Gilbert Becaud / Maurice Vidalin. Le P'tit Oiseau de toutes les couleurs. 1966

27 février 2024

La Ferme du Soleil

 

"C’était le bruit des sept pas d’ensemble, des sept faux volantes, des sept faux fauchant, des herbes qui tombent, puis des sept pas, des sept faux volantes, et ainsi de suite. Ça se répétait sans faiblir toujours au même rythme. Ils ne sentaient pas la fatigue. Ils étaient entourés par l’herbe blonde. Le sommet des herbes où étaient les graines et les panaches moussait légèrement comme l’écume de l’eau et réfléchissait le soleil, et ne pesait pas sur la faux, et se couchait sous le vent, et se relevait, puis se couchait sous la faux, et ne se relevait plus. (..) Jacquou se baissa et ramassa une tige de blé. Elle était coupée juste à l'anneau de terre. Elle était entière, comme pas touchée, fauchée comme par un faucheur divin. Jacquou garda sa tige de blé dans les doigts. C'était trop beau. Un travail qu'on ne fait plus. Il faut du temps pour faire ça, se disait-il. Il faut avoir, se disait-il, du temps à perdre pour faucher comme ça." 
                        Jean Giono


Au loin, la rumeur des klaxons de tracteurs gagnant le centre ville. Alignés sur des kilomètres, aussi anachroniques que le serait un troupeau de vaches dans un magasin d'ameublement. On les aime bien, car on a tous au fond de la tête une Ferme du Soleil, une image de moissons, un pâturage de vacances, l’Angélus de Millet, une Martine à la ferme, et pour certains l'image d'enfance chez une grand-mère à la campagne. L’attachement à la figure du paysan demeure, tandis que les agriculteurs se font de plus en plus rares: la France compte en effet moins de 390 000 exploitants agricoles, quand ils étaient six millions dans les années 1940, et encore près de quatre millions dans les années 1960.  L’image autour de la paysannerie a moins changé que le monde réel, car elle cumule le rêve d’une terre calme et nourricière, rattachée à des valeurs familiales et à une tradition morale qui par ailleurs se dissolvent.


Lu dans:
Jean Giono. Que ma joie demeure. Éditions Thélème. 2018). 
Marion Rousset. Le paysan, ou l’imaginaire fantasmé d’un monde qui disparaît. Le Monde. 26 février 2024

24 février 2024

Il est où, le soleil?

 "Comme il n'existe pas non plus tel coucher de soleil de tel après-midi d'automne, ce qui existe c'est le sentiment poignant qui nous étreint en regardant le même disque rouge qu'a vu Virgile en son temps."

                                    Dany Laferrière


Mais il reste où, le soleil? Les vols en avion nous apprennent pourtant qu'il est là, par-dessus les nuages. Il nous reste à l'imaginer, espérant le revoir.


Lu dans: 
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages. Extrait p.20

23 février 2024

Le vent

 "Mistral, tramontane, mais aussi alizés, sirocco, blizzard, mara'amu, meltem ou harmattan, voici quelques-uns des nombreux vents qui soufflent à travers le monde.D'où vient le vent ? Présent sur toute la Terre, il reste pourtant méconnu, car ses effets ne se bornent pas à faire tourner les moulins ou avancer les voiliers. Car les forces de la nature rappellent au marin qu’il n’est pas maître des lieux. "

                    Olivier Le Carrer



Vent et insomnie font bon ménage, la bourrasque qui secoue les arbres de la rue s'insinue volontiers dans nos fins de nuit difficiles. C'est que les forces de la nature nous rappellent, comme le suggère le marin, que nous ne sommes pas maître des lieux.


Lu dans: 
Olivier Le Carrer. Le vent. Souffle de la Terre. Aubanel. 2007. 216 pages.

19 février 2024

La vie c'est quoi?


"C'est quoi la musique?
C'est du son qui se parfume
C'est quoi l'émotion?
C'est l'âme qui s'allume
C'est quoi un compliment?
Un baiser invisible
Et la nostalgie? Du passé comestible
C'est quoi l'insouciance?
C'est du temps que l'on sème
C'est quoi le bon temps?
C'est ta main dans la mienne
C'est quoi l'enthousiasme?
C'est des rêves qui militent
Et la bienveillance?
Les anges qui s'invitent
C'est quoi l'essentiel?
C'est de toujours y croire

Mais dis papa, la vie c'est quoi?
Petite, tu vois
La vie c'est un peu de tout ça mais surtout c'est toi
Dans tes histoires,
Dans tes délires,
Dans la fanfares de tes fous-rires
La vie est là, la vie est là
Dans notre armoire à souvenirs
Dans l'espoir de te voir vieillir
La vie est là, la vie est là
Papa...
                    Aldebert


Jolie chanson d’Aldebert, qui depuis une quinzaine d’années a décidé d’écrire principalement des chansons jeune public. Le monde y gagnerait-il  à redevenir jeune public? Moi si.


Lu dans: 
La vie c'est quoi ? Aldebert, Maud Roegiers (Illustrations). Ed. Alice. 2022. 48 pages
La vie c'est quoi ? Aldebert. Jive Epic. Sony Music. Album Enfantillages 3

18 février 2024

Le murmure des étourneaux

 « Quand tu mourras, notre amour se recomposera. Il se recomposera dans le ciel rouge, comme le murmure des étourneaux après le franchissement de l’obstacle.»

                                            Christian Bobin.



Lorsque les étourneaux, volant à l’unisson, rencontrent un obstacle imprévu, comme un roc dépassant d’une rivière, ils se séparent instantanément en deux groupes avant de se retrouver aussitôt après le franchissement de l’épreuve. Cette chorégraphie aérienne, d’une beauté confondante, s’appelle « le murmure ». Ce murmure constitue le titre du livre posthume de Christian Bobin qui, dans les dernières semaines de sa vie, écrivant depuis son lit d’hôpital, s’adressait ainsi, dans un souffle et dans l’intimité, à la femme qu’il aimait – la poétesse Lydie Dattas, vers qui il lançait ces mots de gratitude. Fuyant son temps, les mondanités, les honneurs et les réseaux sociaux, Bobin s'était protégé toute sa vie dans son Creusot oublié. Moqué par la parisianerie dont il ne participait guère au monde ni aux festivités, il mourut comme il avait vécu, dans le silence et la sérénité.

Et si par ces mots simples, compréhensibles par tous, il rendait leur parole aux gens. Un de mes oncles chers, accompagné il y a peu lors de ses funérailles, arborait sur le cercueil une photo  de son couple et une banale phrase "Je te rejoins enfin." Personne n'eut  envie de rire, retrouvant en chacun ces mots immémoriaux qui nous aident à franchir le seuil sans terreur. On imaginait sans peine Christian Bobin, en fin de vie lui aussi, prononçant ces même mots derrière notre groupe rassemblé, jetant sur le cercueil nos roses et nos merci et leur souhaitant que le murmure remplace la passion. Quelques brins de mimosas précoces embaumaient l'air, annonçant le printemps après l'hiver. Juste ce qu'il fallait pour que les au revoir ne soient pas une déchirure.


Lu dans: 
Nicolas Crousse. Bobin vivant jusqu’au dernier souffle. Le Soir Livre. 168 février 2024.    
Christan Bobin. Le murmure. NRF Gallimard 2024.  144 pages.


11 février 2024

Venise et ses masques

 "Un jeune paysan tombe amoureux d'une fille arrivée pieds nus dans son village. Sa grâce et son rire l'ensorcellent. Il doit lui promettre en l'épousant de ne pas chercher à savoir d'où elle vient et de la laisser, une fois l'an, disparaître seule quelques jours. Il respecte son vœu. Ils sont heureux. Des enfants leur naissent leurs vaches vêlent chaque année, leurs récoltes sont belles. Un jour pourtant, la curiosité vient à le tarauder. Il n'y tient plus: il la suit en catimini dans la forêt. Il la surprend qui danse avec les elfes, ses sœurs. Mais, par ce serment rompu, il la perd: elle se dissout dans un chiffon de brume."

                                Christiane Singer.


Dans l'étreinte la plus amoureuse, c'est un être libre avec sa part de mystère qu'on tient dans ses bras. La tradition d'une journée masquée au carnaval de Venise, tous visages dissimulés, ajoute une touche ludique et allégorique à cette nécessité du jardin préservé.


Je vous souhaite une bonne semaine carnavalesque. Le mardi, les oranges, les tambours, les plumes et les confettis. Le mercredi, les Cendres car "rappelle-toi que tu n'es que poussière". Il fut une époque où la vie se déroulait comme un cours de philosophie, fêtes laïques et fêtes religieuses confondues. C'est loin tout cela.
CV


Lu dans :
Christiane Singer. Les âges de la vie. Albin Michel. 1984. 214 pages. Extrait pp 168 169

08 février 2024

Non, merci

 "II s'assied tôt le matin devant la porte du bureau de tabac, la main tendue pour une aumône. Son visage est tanné comme du vieux cuir par le soleil. Le bleu délavé de ses yeux fait penser à quelque chose d'aussi ancien et perdu que la petite enfance. Aujourd'hui, je l'ai rencontré à une place inhabituelle. II était assis, paisible, sur un banc devant l'école communale. II regardait le mouvement des passants et des voitures, les oiseaux dans les platanes. Nous avons échangé des cigarettes et quelques mots sans mystère. Comme je m'apprêtais à lui donner une pièce, et avant même que j'en aie esquissé le geste, il m'a dit: « Non, aujourd'hui je ne travaille pas. »

                                C. Bobin



Ce court récit de Bobin me remet en mémoire deux courts moments vécus à une époque où ma vie n'était que course. Un sans-abri sur un banc au soleil de juin devant la Basilique, se régalant d'une baguette au boursin avec vin. Je me surpris, nanti de l'existence, à jalouser ce pauvre hère, l'enviant de disposer ainsi de son temps et de le savourer. L'autre, une chambrière d'hôtel, aussi fripée que grise de robe, toute rapiécée, refusant les deux piécettes que je lui rendais pour que le compte soit juste: "ici je n'accepte pas les pourboires". C'était sa dignité de patiente, farouchement sauvegardée, et je me demandai si de moins précaires qu'elle avaient conservé ce pouvoir.




Les diamants et la rouille


"Nous savons tous les deux ce que les souvenirs peuvent apporter
Ils apportent des diamants et de la rouille."

                        Joan Baez




S'il ne lui fallait en garder qu'une, "Diamonds and rust" serait celle-là. Émouvantes lignes à Bob Dylan, écrites de longues années après leur séparation, en 1975 Joan Baez finissait le morceau par ces paroles : «Et si tu veux m'offrir des diamants et de la rouille, sache que j'ai déjà payé». A partir de 2007, surprenant son public, elle les modifiera et chantera : «Et si tu veux m'offrir des diamants et de la rouille, je prends les diamants…». Beau témoignage de sérénité. Dans un documentaire musical intitulé « Joan Baez I Am A Noise », qui sort sur nos écrans cette semaine, l’artiste revient sur sa vie et ses 60 ans de carrière.


Lu dans:
Joan Baez. Diamonds and Rust. A&M, 1975.

06 février 2024

Merci le chat


"Pour cet homme qui vit seul
l'unique intérêt d'avoir un chat
c'est qu'il se sent lors autorisé
même tard le soir, à frapper à
la porte de sa jeune voisine
pour un bol de lait frais."


Dommage qu'il n'existe aucun mot pour identifier tous ces gestes prétextes à la rencontre que sont le bol de lait pour le chat, le journal lu le matin et déposé en partage le midi, les croissants chauds rapportés du boulanger au lever du jour, le coup de fil matinal pour s'assurer que tout va bien, le chien de la voisine promené quand la nuit est tombée, les médicaments fournis à domicile par le pharmacien attentionné. Petites attentions désintéressées, indispensables au vivre ensemble.

Lu dans:
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages. Extrait p.101

03 février 2024

La pauvreté choisie

 "Cette chance inouïe qui m'était donnée: pouvoir vivre dans un corps sans maladie, ne pas avoir à courir après l'argent, et sentir chaque jour ma vie se simplifier au fur et à mesure que je vieillissais."

                        J-F Beauchemin


L'auteur cite son grand-père. Je repense au mien, mort devant sa télévision comme s'il avait éteint le programme de sa vie. Au moment de vider sa modeste maison, veuf depuis dix ans il avait simplifié les choses: quelques couverts, deux ou trois pulls et autant de chemises, quelques photos, une paire de draps, une paire de couvertures, une table et quatre chaises. L'époque des repas familiaux, c'était son épouse qui les préparait avec amour, elle partie il l'en organisait plus. Avec si peu de choses la vaisselle n'est plus une corvée, ni la lessive, ni les courses. Il me reste du chemin à parcourir.


Lu dans: 
Jean-François Beauchemin. Le Roitelet. LA Québec Amérique. 2021. 144 pages. Extrait p.102

01 février 2024

L'allumeur de réverbère


"Je sais que quand la télé s'allumera
la guerre reprendra, cette guerre
dont on a du mal à croire qu'elle
continue quand nous ne la regardons pas." 
                    Dany Laferrière

Vous souvenez-vous de la cinquième planète visitée par le Petit Prince, la plus petite de toutes? Il y avait là juste assez de place pour loger un réverbère et un allumeur de réverbères, elle tournait sur elle-même en une minute. Le jour, la nuit. Certains soirs, quand le temps  passe si vite, je repense à lui et à cette succession d'ombres et de lumières qui font nos vies. La guerre et les bombes au loin, la maladie et la précarité au près, c'est le versant nuit. Les fêtes, la joie des enfants, les goûters d'anniversaire, la beauté, la musique et la danse, c'est le versant soleil. On passe de l'un l'autre plusieurs fois par semaine voire par jour, pareil à l'allumeur de réverbère. Le jour, on parvient à oublier qu'il y a la nuit, tant mieux pour ceux qui y parviennent. Moi j'ai dur parfois.


Lu dans: 
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages. Extrait p.66

29 janvier 2024

Sagesse de Pierre Reverdy

"Quelqu’un vient de partir
Dans la chambre
Il reste un soupir
La vie déserte
La rue
Et la fenêtre ouverte
Un rayon de soleil
Sur la pelouse verte."
               Pierre Reverdy



On va, on vient, on se construit une histoire. Et quand on s'éteint, quelle insignifiance sur l'histoire du monde.


Lu dans:
Pierre Reverdy. Soleil. Recueil: Plupart du temps (1915-1922). Gallimard. 1989. 408 pages.


25 janvier 2024

L'art perdu de gouverner

 "Au lieu de prétendre réinventer l'art d'exercer le pouvoir, Macron aurait été mieux inspiré de suivre le conseil du général de Gaulle à Philibert Tsiranana, le président de la République de Madagascar, qui lui avait demandé, en 1966, ses secrets : « D'abord, je n'ai pas le téléphone. [...]. Ensuite, j'ai un horaire extrêmement précis [...]. Enfin, à huit heures moins dix le soir, je m'en vais et personne ne vient me déranger [...] sauf s'il y a la guerre ou des événements d'une importance considérable. On ne domine jamais rien quand on ne sait pas prendre de la hauteur." 
                    De Gaulle, cité par J. Foccart



Une autre époque?  Pas nécessairement, mais une personnalité pour le moins atypique.


Lu dans:
Jacques Foccart, Journal de l'Élysée. Tome 1. Tous les soirs avec de Gaulle (1965-1967). Fayard - Jeune Afrique 1997. 814 pages
Franz-Olivier Giesbert. Histoire intime de la Vᵉ République: Tragédie française (3) Gallimard NRF. 2023. 512 pages

20 janvier 2024

Un lit royal

 "Je n'avais aucune conscience de moi-même à l'époque, au point de prendre la rue, une fois pour aller à l'école, sans pantalon. Je portais une chemise bien repassée, des chaussures cirées, et ma valise. On m'a rejoint au bout de la rue pour me ramener à la maison. Tout le monde semblait affolé autour de moi. J'étais calme. C'était à mes yeux un événement sans importance. J'avais oublié de mettre mon pantalon, c'est tout." 

                                    Dany Laferrière


La lecture des faits divers peut être drôle, telle cette découverte ce mercredi par la police de Bruxelles d'une femme endormie dans un lit du palais royal. Aucune trace de violence ou de vandalisme n’a été constatée, et on ignore comment la femme est entrée dans le bâtiment. Pareil au gosse sans pantalon, elle a dû se dire "il y avait un lit, je me suis endormie, c'est tout. C'était à mes yeux un événement sans importance. "  Pas aux yeux du parquet toutefois: il se dit qu'elle était confuse et risque un internement psychiatrique. Elle a été hospitalisée temporairement. Alice n'est plus au pays des merveilles, partir à l'école sans pantalon ou piquer un somme dans le lit royal ne sont plus guère des événements sans importance.


Lu dans: 
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages. Extrait p.63

19 janvier 2024

Première neige


"L'argent ne m'intéresse pas
mais je veux tout ce qu'on achète
avec l'argent."  
                Dany Laferrière


Et si le bonheur ne s'achetait pas? Première neige sur les trottoirs, l'occasion est trop belle de sortir de la cave, empoussiéré, le traineau familial qui fit la joie de nos quatre enfants. Inutilisé depuis tant d'années, il semble revivre au contact du frimas et de la poudreuse qui tient sur le bitume. Orné d'un bandeau trilingue - à donner, om te geven, to give -  il attend patiemment, comme une belle de jour attend le badaud qui passe.
Moins de dix minutes plus tard, croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer, plus de traineau. Depuis, je rêve de petits bonheurs , celui du passant anonyme qui a ramené son butin inattendu à ses gosses, la première sortie-glissades d'un objet qui entame sa seconde existence, les basculades en bout de pente et les rires, les bagarres de boules de neige et la goutte au nez, le retour vers son nouveau domicile dans le jour tombé. A chaque traineau de bois croisé en rue je me demande désormais "serait-ce le nôtre?", désormais propriété d'autres petits maîtres.
Rien ne procure autant de plaisir qu'un don sans possibilité de merci, précieux pour celui qui le donne autant que pour celui qui le trouve, échappant à toute transaction commerciale comme le sont tant de choses élémentaires et prioritaires de l'existence.


Lu dans: 
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages. Extrait p.131

17 janvier 2024

Bienfaisante soupe

 "Sans la soupe, disait mon père, l'existence humaine serait sinistre. Celle que maman lui préparait et qu'il mangeait avec un gros morceau de pain noir le réconciliait avec sa vie difficile. Ma mémoire manque généralement de précision, et pourtant je le revois très clairement, après sa première cuillerée, se tourner vers ma mère et s'exclamer: «Mon Dieu! Cette soupe a du génie. Chérie, il y a une heure j'étais accablé, mais me voici bienheureux.» Cette scène, dont j'ai mille fois été témoin durant l'enfance, a rehaussé toute ma vie. Il se peut que mon intérêt très ancien pour les potagers et les légumes remonte à ces instants où je voyais papa soudainement heureux en goûtant la minestrone de ma mère." 

                        Jean-François Beauchemin



Dans les derniers temps de sa vie, raconte l'auteur, sa mère cherchait quel sens donner à son long séjour sur la Terre, toute en inquiétudes de ce qu'elle laisserait en quittant ce monde. Un jour de septembre il lui demanda de lui transmettre la recette de sa minestrone. Les arbres commençaient à perdre leurs feuilles. La nature répandait partout sa lumière traversée d'or et de cuivre. "J'ai rangé parmi les plus belles images de ma mémoire le souvenir de ce jour-là."  Que retient-on de notre enfance? Le souvenir d'un moment d'enseignement plus que son contenu, ce prof d'histoire déclamant la mort de Danton "tu leur montreras ma tête, elle en vaut la peine", ce papa debout sur une table de fin de fête entonnant "debout les damnés de la Terre", ce grand-père réchauffant dans sa grosse main calleuse la menotte gelée de son petiot en la mettant dans sa poche. Ce qui est grand, c'est ce qui est petit.


Lu dans: 
Jean-François Beauchemin. Le Roitelet. LA Québec Amérique. 2021. 144 pages. Extrait p.68

14 janvier 2024

Ces noms qui ont besoin d'un drapeau pour flotter

 "L’an dernier, le Financial Times relevait qu’une grande banque américaine comptait plus de dix mille vice-présidents."

                Solange Berger


On constate, depuis quelques années, une inflation sur les intitulés de poste. Les entreprises ont tendance à proposer à leurs salariés des titres ronflants et imposants, faisant parfois preuve de beaucoup de créativité afin de se rendre attractives. Si se voir promu vice-président suppose un certain bagage et certaines compétences, dans le même temps, l’usage du mot junior a été réduit de moitié au profit du titre d'associated qui enlève la notion de débutant.


Lu dans: 
Solange Berger  Titres de fonction: c’est la surenchère! La Libre Eco. 13 janvier 2024.

12 janvier 2024

L'oiseau

 "Même quand l'oiseau marche il sent qu'il a des ailes."
                        A-M Lemierre

                      


A la voir courir par grands sauts sur le trottoir, on ignore s'il s'agit d'une petite fille qui rêve qu'elle est un oiseau ou un oiseau qui joue à être une petite fille. Le quotidien s'enrichit de ces moments suspendus.


Lu dans: 
Antoine-Marin Lemierre, Œuvres.‎ Wentworth Press. 2018. 194 pages
Cité par Jean-François Beauchemin. Le Roitelet. LA Québec Amérique. 2021. 144 pages. Extrait p.58

Une sorte de désarroi


"Imperturbable.
Et cela par la finesse et la solidité de sa pensée.
Et cela par l'expression de son autorité mais aussi de sa tendresse.
Imperturbable en apparence.

De rares moments, il arrive que son visage laisse apparaître une sorte de fatigue.
L'alignement serein de ses pensées,
de ses actions,
laisse alors entrevoir une sorte de désarroi,
de questionnement sans limite.

Désarroi de quelques instants seulement.
L'alignement du corps et de l'esprit
retrouve son caractère imperturbable
tout en subtilité et ouverture d'esprit." 
                            Philippe Devuyst

 

Dans nos moments de doutes, qu'on aimerait croiser pareille personne. Il en existe pourtant, et davantage qu'on imagine, encore faut-il les reconnaître.


Lu dans: 
Philippe Devuyst. Alouettes, où êtes-vous? Textes et photos, autoédition. 2024. 

11 janvier 2024

Le rêve d'avoir un roi à la tête d'une république

 "Voyant la façon dont le général de vingt-huit ans [Napoléon] suit ses conseils, l'influent ministre des Relations extérieures [Talleyrand] , du haut de ses quarante-trois ans, imagine alors qu’il va pouvoir manipuler Bonaparte à volonté."

                                    Bart Van Loo



Non, vous ne lisez pas Le Monde de ce jour, même si le récit de l'accession de Napoléon au titre de premier consul il y a deux cents ans y fait penser: cette fois encore, la voie vers une nouvelle forme de gouvernement est donc ouverte, invoquant le dynamisme qu'insuffle la jeunesse. Les jours ont passé, et comme jadis Talleyrand, le plus jeune président des Français s’est laissé amplement courtiser. Tous les partis se sont présentés, les grands chefs en tête. Pour éviter d’inquiéter qui que ce soit, il a ménagé une ouverture à tout le monde et maintenu sa tactique secrète le plus longtemps possible. Pour choisir le plus jeune des premiers ministres afin d'en faire son clone. Celui-ci s'est empressé, comme ses prédécesseurs, de faire le tour des casernes des forces de l'ordre s'y forgeant un profil viril de gardien de l'ordre. On verra bien.


Lu dans:
Bart Van Loo.  Mireille Cohendy, Isabelle Rosselin (Traduction).  Napoléon. L'ombre de la Révolution. Flammarion. 2023. 592 pages. Extrait page 194.

10 janvier 2024

Miroir mon beau miroir


"Quand on se regarde dans le miroir
au lieu de voir un visage
nous sentons passer le temps."
                    Dany Laferrière



Lu dans: 
Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages. Extrait p.89

09 janvier 2024

La banalité d'une journée

 "Pour Louis XVI, le 14 juillet 1789 est une journée qu’il préférerait vite oublier. En proie à l’irritation, il ouvre son journal, réfléchit une seconde, trempe sa plume dans l’encrier et la résume en un mot. « Rien. »

                            Bart Van Loo


A quelques kilomètres, la foule s'empare de la Bastille, la nouvelle met du temps à parvenir à Versailles. Le Roi, qui n'a rien pris à la chasse ce jour-là, peut se permettre de regretter une journée perdue, et de rêver qu'il règne. Rien n'existe avant qu'on le sache.


Lu dans:
Bart Van Loo.  Mireille Cohendy, Isabelle Rosselin (Traduction).  Napoléon. L'ombre de la Révolution. Flammarion. 2023. 592 pages. Extrait page 49.

08 janvier 2024

Les paradoxes d'un progrès

 "Quelques mois plus tard, ce médecin [Joseph Ignace Guillotin] acquerra une notoriété éternelle pour avoir convaincu le Parlement de reléguer aux oubliettes les mises à mort barbares. Selon leur crime, les condamnés étaient écartelés, brûlés, étranglés, pendus, écorchés vifs ou roués. Il propose, dans l’esprit de la Révolution, la même mort pour tous. "Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point. La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus. "

                    Bart Van Loo


La rapidité d'un progrès est à la mesure des maux qu'il promet de vaincre. Quand le docteur Guillotin propose en 1789 à l'Assemblée nationale l’utilisation d’un appareil mécanique pour l’exécution de la peine capitale, visant à supprimer les souffrances inutiles tout en garantissant une égalité de traitement à tout citoyen, son projet de loi devait, selon lui, ouvrir la porte à un futur où la peine capitale serait finalement abolie. Son idée est adoptée en 1791 par la loi du 6 octobre qui dispose que "la peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu'il puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés". L’appareil est mis au point en 1792 par son confrère Antoine Louis, et aussitôt affublé du nom de guillotine malgré ses protestations par des adversaires politiques royalistes. Le docteur Guillotin en manifesta le regret jusqu'à sa mort en 1814, appelant sa fameuse machine « la tache involontaire de [sa] vie ».


Lu dans: 
Bart Van Loo.  Mireille Cohendy, Isabelle Rosselin (Traduction).  Napoléon. L'ombre de la Révolution. Flammarion. 2023. 592 pages. Extrait page 42.

06 janvier 2024

Les exilés aussi ont un visage


 

 

"Quitter son pays pour aller vivre dans un autre pays
dans cette condition d'infériorité
c'est-à-dire sans filet
et sans pouvoir retourner au pays natal
me paraît la dernière grande aventure humaine.(..)
On voudrait parfois faire cette précision
que l'exil n'est pas que tu quittes ton pays
mais plutôt que tu ne peux pas y retourner." 
                    Danny Lafferrière


Il se dit qu'ils profitent de notre richesse, usant de mille malices pour détourner nos emplois, nos allocations, nos logements sociaux. J'aurais fini par le croire si je ne les connaissais désormais par leur nom, leur visage, leur habitat et leur histoire. Ils sont mes voisins, pas nécessairement mes amis tant est profonde la différence culturelle, mais j'ai de l'affection pour eux, et mes soins gratuits constituent ma monnaie d'échange. La première a 12 ans, elle affirme effrontément s'appeler Louise, Persona, "car elle n'est personne sans papier d'identité". Sa classe part demain dans le Pas de Calais, elle n'accompagnera pas de peur de se voir interceptée. Le second a 30 ans, un physique et une énergie d'Ulysse qui aurait passé la mer naguère. Désormais une ombre sans permis de séjour  dans la ville, logé, blanchi, nourri grâce à des expédients non-identifiés, comme lui. Il est récemment venu nous aider à des travaux horticoles, et a transi en lisant à l'entrée du village paisible "H...., waar de buren kijken." Il préfère désormais les petits boulots au centre de la ville, dans les endroits anonymes où on ne s'espionne pas. La troisième à 85 ans, hébergée sous un permis touristique chez son fils depuis une année dans un logis pour deux occupé par six. Un cep de vigne tordu sur pied, qui met un quart d'heure pour franchir 20 mètres jusqu'à ma consultation tous les six mois. Elle vient renouveler sa réserve de médicaments pour une demi-année, 13 euros portés par la sécu familiale. On se salue, elle  remercie et disparaît pour six nouveaux mois. Comme nous, humains sur-terre, ils bénéficient en principe des mêmes droits, si ce n'est qu'ils habitent l'humus, là où on ne les distinguera pas. Donnez un visage à quelqu'un, portez ses sandales une heure, et les solutions apparaîtront fort différentes.


Lu dans: 
Danny Lafferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages. Extrait p.91
Didier Moulin. Le Réfugié. Couture saint Germain. Sculpture.

05 janvier 2024

La faculté d'oubli

 "C'est l'histoire d'un jeune garçon qui se souvient de tout ce qu'il a vu, de tout ce qu'on lui a dit, de tout ce qu'il a fait. Cette mémoire qui ne sait pas faire le tri n'est pas loin du cauchemar, un cauchemar que le trop-plein, comme le manque de sensations, peut engendrer."

                Jorge Luis Borges


Dans Funes ou la mémoire (1942), Jorge Luis Borges raconte l’histoire d’ Irénée Funès, un homme d’une érudition exceptionnelle, qui à la suite d’un accident de cheval, a perdu la faculté d’oublier. L'hypermnésie devient sa malédiction, irrémédiable infirmité contraignant celui qui en souffre à passer sa vie cloîtré dans une chambre sans même allumer la bougie. Ne devenons-nous pas - sans en prendre conscience - progressivement victimes de la même affection, addicts de la mémoire infinie de nos smartphones consultés au long des journées sur l'infini des connaissances, des nouvelles du monde livrées sans tri, de milliers de photos sauvegardées sur Dropbox sans que nous en ayons fait le choix? Une hypermnésie sournoise envahit nos vies, incapable d'hiérarchiser l'essentiel de l'accessoire, enlevant à notre mémoire ce qu'elle a d'essentiel : la faculté d'oublier.


Lu dans: 
Jorge Luis Borges. Fictions. Funes ou la mémoire. Funes el memorioso. 1942.
Cité par Dany Laferrière. Un certain art de vivre. Grasset. 2023. 140 pages. Extrait p.123

02 janvier 2024

Nouveau calendrier, même clou

 « Je ne prendrai pas de calendrier cette année, car j’ai été très mécontent de celui de l’année dernière ! »

                    Alphonse Allais



31 décembre 2023

Sous le gui

 « Le Monde tel qu'il est a-t-il un avenir?» lui ai-je demandé à un moment. « Oh, tel qu'il est, bien sûr que non, fit-elle en détournant un peu son visage. Mais, et tu n'es pas obligé de me croire, quelque chose de beau sortira de tout ce désordre et de ce manque de bienveillance.» En disant cela elle a pris mon bras et nous avons marché sans rien dire vers la maison. Arrivés à la petite porte à ressort nous nous sommes dit au revoir, et ensuite maman a rebroussé chemin et je l'ai perdue de vue parmi le feuillage.

                        Jean-François Beauchemin


Une année prend fin, et ce soir on s'embrassera sous le gui, feignant d'oublier l'ironie des formules quand on les confronte aux images qui nous obsèdent. Elie Barnavi interrogé il y a quelques années sur les raisons qui empêchent les conflits de se terminer suggérait "que c'est quand on n'a pas atteint le fond de l'horreur." On y arrive, malheureusement. Paraphrasant l'ironie douce-amère de ce politique français selon qui "il n'est pas de problème dont l'absence de solution ne puisse venir à bout", on se prendra à rêver qu'au terme de ces guerres  d'un autre âge des solutions de paix encore impensables aujourd'hui puissent prendre corps.  


Je vous souhaite de trouver ce soir les mots qui sonnent juste, et de les voir se réaliser. 
CV


Lu dans: 
Jean-François Beauchemin. Le Roitelet. LA Québec Amérique. 2021. 144 pages. Extrait p.58
Henri Queuille (1884-1970), cité par Franz-Olivier Giesbert. Histoire intime de la Ve République. Tragédie française. NRF Gallimard. 2023. 504 pages. Extrait p.320

29 décembre 2023

Le fil du collier

 "Ce n'est pas la perle qui fait le collier, c'est le fil."

                    Louis Scutenaire


A l'heure de passer l'année, quel en fut le fil, reliant jours de fête et soirs moroses, nouveaux amis et vieux potes, projets et et abandons? Le traveling arrière sur ces 365 jours tient à la fois du Best Off  et du Bêtisier, on peut en rire comme en pleurer. C'est le moment où on est pris de vertige: que nous réserve l'année prochaine?


Lu dans :
Louis Scutenaire, cité François de Coninck. L'Art de rien. La Centrale, Bruxelles. Jusqu'au 17 mars


24 décembre 2023

Noël à Bethléem

 

"Faut croire que des p'tits Jésus
il y en a autant qu'il y a d'églises.
Mais pauv’ St Joseph
Y n’ avait pas la tête à ça, sais-tu" 
                            Julos Beaucarne


Une crèche à Bethléem fait le buzz sur les réseaux sociaux, alors que rien ne l'y prédisposait.  Une statue de l’enfant Jésus repose au milieu des gravats, emmailloté dans un petit bout de keffieh, figurant ce que serait la naissance du Christ aujourd'hui dans les décombres de Gaza. Œuvre d'art insolite, sans valeur marchande autre que celle du message qu'elle immortalise.

Puisse Noël nous aider à faire la paix en nous, à défaut de la faire dans le monde.
CV

Lu dans: 

Julos Beaucarne. Le Petit Jésus. Le texte du petit Jésus a été écrit par le québécois Yvon Deschamps et aménagé par Julos Beaucarne pour les publics belges et français. Disque "Front de libération des arbres fruitiers."


Noël annulé à Bethléem: « L’espoir, lui, ne peut pas être annulé »

22 décembre 2023

La beauté intérieure

 "A notre première rencontre je lui ai dit: toi, tu es beau de l'intérieur." 

            Sagesse de patiente


Une consultation voit parfois surgir une parole magnifique. Celle-ci m'a époustouflé.



19 décembre 2023

Temps venteux


"Les jours de tempête
la petite mare
s’imagine océan."
                Gilles Guilleron


Question de philo

 "Plus d'une fois je me suis demandé si, croisant cet enfant que j'ai été, nous nous reconnaîtrions ou feindrions de nous ignorer." 

                            Jean Prod'Hom


Une triple question - sans véritable réponse - sous-tend cette réflexion pour terminal de philo: reconnaîtrais-je l'enfant que j'étais? serait-il mon ami? et resterait-il mon ami dans le torrent de l'existence?  Sur ce, il est temps de chercher le sommeil.



Lu dans:
Jean Prod'Hom. Elargir les seuils. Petite bibliothèque de spiritualité. Labor et Fides. 2023. 110 pages. Extrait p. 36

18 décembre 2023

La traite

 "Aujourd’hui, la traite s’est perfectionnée, puisque les esclaves se livrent eux-mêmes : ce sont les émigrés."  

                                Ibrahima Thioub



Spécialiste des traites négrières africaines, fin analyste de la « connivence » entre marchands d’esclaves européens et chefs locaux vendant leur population, l’historien sénégalais Ibrahima Thioub dresse un parallèle éclairant entre ces pratiques révolues et l’actuelle exploitation des matières premières africaines 

Lu dans:
Philippe Bernard. L’immigration n’est pas seulement une question de police. Le Monde. Chronique. samedi 16 décembre 2023.

16 décembre 2023

Silent Night

 "Le fait que rien ne change n'y change rien : chaque année, c'est la même histoire. Pauvres et riches, heureux et tristes, puissants et faibles communient dans une trêve de douze secondes au cours desquelles, abjurant le vice et proclamant la bonté, ils se souhaitent, nous nous souhaitons, en feignant d'y croire, une excellente année. (..) On a beau savoir qu'aucune aube n'est nouvelle, que la fin de l'année n'est que le début de la suivante, que dès le 1er  janvier, à la seconde où le temps reprend son vol tout est à refaire, rien n'y fait . Comment se fait-il qu'aucun homme ne se sente vraiment concerné par les vœux qu'il reçoit, ou n'y croie quand il en présente, mais serait vexé qu'on ne lui en fasse pas et honteux de ne pas en présenter ? Pourquoi sommes-nous attachés à ce rite au point d'en pardonner plus aisément l'hypocrisie que l'absence ? Bonne année, bonne santé... "

                            Raphaël Enthoven



Nous sommes des êtres sociaux, et les rites de passage apaisent nos anxiétés. Pas toujours. Qui ne se souvient de l'extraordinaire version de Simon et Garfunkel, égrenant sur quelques mesures au piano de leurs voix éthérées les paroles de Silent Night sur fond des nouvelles du soir de Noël 1966, communiquées crescendo par la voix monocorde du présentateur, le soir de Noël 1966. L'enchantement dès les premières secondes ne se dément pas au long des quelque deux minutes du morceau dans un délicat et brutal contraste. Dix ans plus tard et dans un autre registre, c'est le même désordre du monde que l’on retrouve dans la formidable version instrumentale de Stille Nacht qu’Alfred Schnittke composa en 1978 pour le violoniste Gidon Kremer. On ne doute guère que cette année, sous le gui, le houx et le sapin, la douce musique de nos vœux se superpose dans nos têtes aux images de l'année, en espérant que celle qui vient sera bonne.



Lu dans:
Raphaël Enthoven. Matière première. NRF Gallimard. 2013. 151 pages. Extrait p. 126, 127
Parsley, Sage, Rosemary and Thyme. 7 O’Clock News/Silent Nigh.    Ecouter : https://www.youtube.com/watch?v=uWyY3qUZifc
Alfred Schnittke (1934-1998). Stille Nacht (1978). pour violon et piano  Ecouter :  https://www.youtube.com/watch?v=3p372PPPEzU

15 décembre 2023

Quand l'écho vous sauve

 

"Une table tout près, une lampe très loin
Qui dans l’air irrité ne peuvent se rejoindre,
Et jusqu’à l’horizon une plage déserte,
Un homme à la mer lèvre un bras, crie : « Au secours ! »
Et l’écho lui répond : « Qu’entendez-vous par là ? »
                            Jules Supervielle


Absurde n'est-ce pas? Et pourtant, l'homme survivra car l'écho de sa propre voix est celle - non de lui-même - mais d'un être humain comme lui qui l'a entendu et y a répondu. 



Lu dans:
Jules Supervielle. Les amis inconnus. Naufrage. Gallimard. 1934

12 décembre 2023

Sagesse de Pline l'Ancien

 "Cordonnier [ne juge pas] pas plus haut que ta sandale." - "Sutor, ne ultra crepidam." 

                            Pline l'Ancien



L'ultracrépidarianisme, ou l'art de parler de ce qu'on ne connaît pas , mot de l'année 2021, doit son nom à une anecdote de Pline l'Ancien.  Un cordonnier, entré dans l’atelier du peintre Apelle pour lui remettre une commande, en admirait les œuvres quand il lui signala une erreur dans la représentation d’une sandale. Le peintre la corrigea. Mais lorsque le cordonnier commença à émettre d’autres critiques, le peintre lui répondit « ne supra crepidam sutor iudicaret », « un cordonnier ne devrait pas émettre de jugement au-delà de la chaussure.» Le recours des chaînes d'information en continu à des invités - souvent les mêmes, doté d'une prétendue expertise universelle, bons orateurs ou brillants débatteurs - est de plus en plus fréquent. Épidémiologistes un jour, avant de devenir le lendemain experts de la guerre en Ukraine, puis au Proche-Orient, ces mêmes invités passent allégrement et avec une confiance assumée d’une opinion pointue sur le terrorisme à un avis plus ou moins pertinent sur l’échec scolaire. La contagion gagne, le récent Covid nous ayant fait découvrir que notre pays comptait bien dix millions d'experts en politiques de prévention, et autant en dangerosité des vaccins. Trêve de subtilité dans les débats. Comme le démontre la loi dite de Brandolini (ou "le principe d'asymétrie du baratin"), la quantité d’énergie et de temps nécessaire pour démonter des sottises est nettement supérieure à celle nécessaire pour les produire. Un véritable expert, exposant ses doutes face à un ultracrépidarien drapé dans ses certitudes, n'aura aucune chance de s'imposer dans un débat davantage destiné à créer le buzz que de faire avancer la connaissance.


Lu dans:
Jacques Folon. Vous n’êtes pas expert, mais vous avez sûrement un avis ?  Le Soir. 11 décembre. chronique. Page 24.
Laurent Vercueil. La loi de Brandolini ou le principe d'asymétrie du baratin : un défi pour les scientifiques. www.echosciences-grenoble.fr . 9 décembre 2016
Ultracrépidarianisme a été élu mot de l’année 2021 en Belgique francophone, selon un sondage Le soir et la RTBF.

11 décembre 2023

Sagesse de Tagore


"Il en est du bonheur comme de ces étoiles qui ne sauraient couvrir tout l'espace obscur.
Des intervalles les séparent.
Ainsi notre existence est tissée d'erreurs et de malentendus,
mais la trame laisse échapper par intervalles des rayons de vérité.
Je ne sais d'où vient cette joie qui emplit mon cœur ce soir." 
                            Tagore


Que n'a-t-on écrit sur le bonheur, "je me retourne pour regarder / la personne qui m’a croisé / la brume [Shiki]."


Lu dans :  
Rabindranath Tagore. Mashi. NRF Gallimard. 1925. 224 pages.

09 décembre 2023

Leçon du déluge

 "Il faut sauver les condors, pas tellement parce que nous avons besoin des condors, mais surtout parce que, pour les sauver, il nous faut développer les qualités humaines dont nous aurons besoin pour nous sauver nous-mêmes."

                        Marc Millan, écologiste du milieu du XIXe siècle


Sauver le canari quand il arrête de chanter sur le casque du mineur, annonçant le grisou, valait toutes les alarmes.  Pareil pour la colombe relâchée par Noé à la fin du déluge pour voir si les eaux avaient diminué de la surface du sol. Ne trouvant pas d’endroit où se poser elle revint vers lui dans l’arche, car les eaux étaient sur la surface de toute la terre. Sept autres jours, et elle revint portant une feuille d’olivier toute fraîche signifiant que les eaux avaient diminué. Encore sept autres jours et la colombe ne revint pas. L'arche était sauvée car le déluge avait pris fin. Les périls demeurent, mais qui observe encore le condor, le canari ou la colombe?


Lu dans: 
cité dans: Philippe Debongnie. La Pension Almayer. Ed. A pas de loups. 2023. Commander sur https://lapensionalmayer.com/index.php/produit/la-pension-almayer-le-livre-2/
Genèse VIII, 6-12. Le déluge.

08 décembre 2023

Quitter la scène doucement

"Dans l'attente sans appel
les témoins du corps
s'éteignent l'un après l'autre
Le toucher en premier
puis l'odorat
L'ouïe ne capte plus
que la vibration du son
à sa naissance
Le regard se fragmente
et s'effrite
N'en subsiste que l'irradiation
d'une tête d'épingle
inaltérée
au fond des iris."
                    Abdellatif Laâbi


Et si la sagesse consistait à vieillir sans en faire une maladie? Le hasard m'a fait découvrir le final de la symphonie Les adieux de Joseph Haydn, où le musicien facétieux suggérait à son prince Nicolas Iᵉʳ Joseph Esterházy que ses musiciens aspiraient à des vacances et à retourner chez eux. Dans la tonalité apaisante qui clôt le dernier mouvement chaque instrument quitte la scène, l’un après l’autre : d’abord premier hautbois puis second cor, basson, second hautbois et premier cor. Seules demeurent les cordes, avant que ne s’éclipsent successivement contrebasses, violoncelles, deuxièmes violons et altos. Ne restent plus sur scène que les premiers violons qui terminent seuls, en sourdine, dans une nuance de plus en plus piano. Toute vie devrait se terminer ainsi.


Lu dans:
Abdellatif Laâbi. Zone de turbulences. Clepsydre. Editions de la Différence. 2012. 112 pages. Extrait p. 21adresse électronique suivante : entrecafejournal-unsuscribe@yahoo.fr

07 décembre 2023

La vie soudain

 

"Tumulte de petits collégiens
qui sortent de l’école, en désordre,
emplissant l’air de la place ombragée
du tintamarre de leurs voix neuves." 
                    Antonio Machado


A midi pile , devant la grande école communale, seules les cloches de l'Angélus donnent signe de vie, et on s'interroge: l'école serait-elle fermée? Dix minutes plus tard, l'air bruisse des mille déplissements de la vie qui s'épand, magnifique. Il a suffit du modeste bruit d'une cloche pour réveiller l'école endormie. Il est des plaisirs simples dans une journée, mais tant de paix dans une rue simple d'un quartier modeste fait croire en la vie.

 


05 décembre 2023

Le sourire

 

"Le visage d'une personne dont les traits n'ont pas subi la distorsion minime que leur imprime la moindre émotion, et avec laquelle avant tout autre échange on n'échange qu'un regard, est proche encore du museau de l'animal alerté, de la tête d'oiseau qui a perçu un mouvement et qui épie. Que se passe-t-il quand ce visage sourit ? Comme pour le lever d'un rideau de théâtre, un ensemble complexe de treuils, de tringles, de poulies et de fils est mis en mouve ment par un machiniste qui demeure invisible. (..) Avec le sourire, la chair se plisse de courbes, s'enfle de rondeurs, s'illumine, tend à s'immatérialiser. (..) Leur rayonnement agit comme un déclic. Communicatif, il se propage aux alentours attisés soudain du même pétillement. Quelque chose se débloque, se dénoue, se dilate."
                                Patrick Devret.


Qu'est-ce qui émeut dans le premier sourire d'un bébé, si ce n'est le sentiment que - déjà - il communique . Le sourire n'est pas, comme son lointain cousin le rire, lié à la joie ou au comique, il est communication.


Lu dans: 
Patrick Devret . Le sourire. Gallimard NRF 1999. 200 pages. Extrait pp.8-9

02 décembre 2023

Cher Saint Nicolas

 "Ce n'est pas seulement pour duper nos enfants que nous les entretenons dans la croyance au Père Noël : leur ferveur nous réchauffe, nous aide à nous tromper nous-mêmes et à croire, puisqu'ils y croient, qu'un monde de générosité sans contrepartie n'est pas absolument incompatible avec la réalité."

                            Claude Lévi-Strauss


La fièvre monte, plus que trois jours et peut-être même ce weekend quand, comme chez nos parents, on l'avançait pour qu'elle n'empiète pas sur nos devoirs d'étude en examen. Seules périodes de l'année où les parents jouent vraiment, à cache cache jetant nics-nacs et bonbons en des moments insolites, à se déguiser en Saint Nicolas et Père Fouettard pour les plus futés, à imaginer le savant désordre que font des jouets jetés du ciel, à mimer ceux qui ne savent rien encore dans l'escalier et découvrent Byzance au salon. Courts moments où enfants et parents sont en parfaite  égalité, qu'ils soient dupes ou non, on joue tous le jeu craignant qu'il cesse un jour. Infiniment drôle, je connais un enfant, peut-être le plus malin de la bande, qui n'a jamais évoqué la réalité du grand saint, prolongeant - ou feignant prolonger - d'année en année la croyance, la fête, les cadeaux, l'émerveillement partagé avec ses parents, pas plus dupes que lui-même. Bien avant d'autres, il a compris que sortir volontairement d'un conte éveillé est une infinie sottise, vous privant de beaux avantages. On se garde de l'en dissuader, espérant qu'il gagne en influence et parvienne de la même manière dans bien des années à inspirer des projets, des rêves et des horizons susceptibles de rendre ses administrés ou ses collègues heureux. Il n'est guère de grands voyages sans avoir d'abord rêvé au grand vent et aux voiles, laissons-les rêver.


Lu dans:
Claude Lévi-Strauss. Tristes Tropiques. Plon. 1993. 500 pages.

01 décembre 2023

Les mots qui font vivre


"Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur et le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et
Certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d'amis."
                        Paul Éluard


Aux images de violence extrême diffusées hier par France 2 dans son journal du soir, la lecture d'Eluard peut-elle servir d'antidote? Lorsque elles percolent dans nos têtes, il est bien difficile d'effacer ces scènes de cruauté qui interpellent sur l'être humain: eux et nous sommes pourtant de la même nature. Le même jour, en consultation, pour apaiser l'anxiété d'une petite patiente apeurée avant un vaccin, je lui avais endormi le point d'injection à la xylocaïne, elle en avait retrouvé le sourire.  Ce geste simple me paraît soudain dérisoire face à ce que subissent au même moment d'innocentes victimes du même âge en Palestine. Méfions-nous: ne secrétons-nous pas une violence du même ordre, bien tapie en nous, que les circonstances de la vie pourraient réveiller? 



Lu dans:
Paul Eluard. Au rendez-vous allemand. Gabriel Peri. Paris. Éditions de Minuit. 1945.

30 novembre 2023

La faculté d'oubli

 

« Et chaque fois qu’il y a du temps qui passe, il y a quelque chose qui s’efface »
                            Lisette Lombé




Oublier, c'est trier. Dégager de l'espace pour des sensations neuves, de nouvelles rencontres, de nouveaux projets. L'anxiété produite par la perte de souvenirs paralyse, alors que c'est une opportunité: garder ceux qui nous sont utiles pour l’avenir, et repousser ceux qui nous empêchent d’être libres et créatifs. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre devoir de mémoire et droit à l’oubli. Nul n'a mieux décrit ceci que l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, qui imagine Funes, le mémorieux, personnage fascinant en raison de son hypermnésie, mémoire absolue, se souvenant de chaque détail de chaque instant de sa vie, sans le moindre oubli. Cette mémoire totale devient à la fois un don et une malédiction, dans l'incapacité où il se trouve de filtrer ou de hiérarchiser ses souvenirs, submergé par l'énormité de l'information qu'il garde en mémoire. On n'oublie pas, on s'allège.


Lu dans: 
Lisette Lombé, 10ème Arte). À hauteur d’enfant. CotCotCot. 2023. 44 p.
Jorge Luis Borges. Funes, el memorioso (Funes, le mémorieux). Ficciones. publiée pour la première fois en juin 1942 dans La Nación puis en 1944 dans le recueil Fictions .

29 novembre 2023

Hôtels d'étape

"L'Hôtel Moderne est souvent ancien. On y vient par défaut, pas trop loin de la gare, arrivé tardivement quand plus un bar ne bouge, ou tout juste, plus un commerce. (..) On y monte à pied, l'ascenseur est en panne. La chambre donne sur une cour ou sur les toits, un lambeau de quartier, pas grand-chose ; on verra mieux au jour. Le lendemain c'est un grand paysage qui se laisse finalement admirer, la ville est plus facile dès qu'il y a du soleil."

                                        Étienne Fauré



Il est des noms d'hôtel qui sentent le renfermé et l'esprit du coin, l'Hôtel des Alpes au pied des Alpes, l'Hôtel d'Alsace en Alsace, l'Hôtel de l'Arrivée près de la gare, et celui du Départ aussi. Un relent de literie élimée à l'intérieur de la chambre, un parfum de jasmin à l'extérieur de la fenêtre ouverte le matin au lever. Étapes d'une nuit, avant de rassembler ses effets personnels, reprenant les affaires de jour et repliant celles de la nuit, pour retourner au gris ordinaire des jours ouvrables. Toutes images appartenant à un passé désuet, mais dont le souvenir n'est pas désagréable.


Lu dans:

Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait p.87


28 novembre 2023

La magie du ciel en soi


"Quand je ferme les yeux je vois
des points brillants      un pan de ciel en moi        et ses milliers d'étoiles.
Si je rouvre les yeux     par une nuit très claire
je fais partie du ciel              qui fait partie de moi."
            Claude Roy. Le Haut Bout. 13 mai 1983


Fermer les yeux: on a le ciel en soi. Les rouvrir: on s'y dissout dans l'infini. Pouvoir des paupières.




Lu dans:
Claude Roy. La fleur du temps. 1983-1987. NRF. Gallimard. 1988. 356 pages.

26 novembre 2023

La petite poêle rouge


 "Je ne crois pas en la prédestination. L'idée ne me plaît pas.. Mais j'ai tout de même parfois l'impression que certains d'entre nous ne peuvent pas faire autre chose que ce qu'ils font. Comme si c'était écrit. Bien que cela ne le soit pas." 
                                Antoine Wauters


C'est l'histoire drôle d'une petite poêle, transmise de génération en génération. Elle m'a fait sourire, et surtout réfléchir. La petite fille interroge sa maman en cuisine: "Maman, pourquoi coupes-tu systématiquement les deux bouts de la saucisse avant de la cuire, alors qu'il ne leur manque rien?" - "Je ne le sais pas , mais on a toujours fait ainsi chez nous. Interroge bonne-mammy, elle le sait sans doute". Bonne-mamy n'en sait pas plus. "Va voir Granny dans sa maison de repos, elle s'en souvient sans doute."  Voila donc la petite-fille, ravivant la mémoire de son ancêtre qui s'esclaffe: "Dis bout'chou, tu ne vas pas me dire que ta maman utilise encore cette vieille petite poêle rouge, si petite qu'une saucisse n'y tenait pas entière, et qu'on n'osait jeter!" De combien de petits poêlons de fonte, ou mieux encore de leur empreinte, nos comportements ne relèvent-ils pas?  



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Antoine Wauters. Le plus court chemin. 2023. 248 pages. Extrait p. 31.

25 novembre 2023

Noces lointaines

 "On peut sortir du ventre d'une femme, on peut être nourrie par elle durant près de vingt ans , on peut vivre sous son toit, dormir toutes les nuits à une cloison d'elle, et ne s'être jamais demandé qui était vraiment cette femme. Qui s'intéresse à ce que sa mère ressent en tant que femme ? Qui se souvient même que sa mère n'a pas toujours été une mère ? Pourquoi faut- il toujours attendre de retomber sur un vieux collier de nouilles peintes en violet pour se rappeler que les mamans aussi sont mortelles ? "

                                    Lisette Lombé


Un de mes amis chers me raconta un jour s'être marié après 25 ans de vie commune. Leurs aînés les conduisirent à l'autel, non plus comme parents mais comme un couple posant un jalon dans leur vie amoureuse. Insolite aux yeux du monde, mais plein de sens: il y a une vie en-dehors de la (m)paternité. Cet ami se reconnaîtra dans ces lignes, étonné qu'un banal et lointain échange de fin de journée de travail puisse ainsi réapparaître, signant son importance symbolique. 



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Lisette Lombé. Eunice. Seuil. 2023. 192 pages

23 novembre 2023

La dernière minute d'un Président

 « Monsieur le Président, vous ne pourrez pas dire que Dallas ne vous aime pas ! »                                             Nellie Connally



60 ans déjà. Dernières paroles adressée au président Kennedy par la femme du gouverneur du Texas, assise devant lui dans sa limousine décapotée, quelques secondes avant qu'il ne soit atteint mortellement par un tireur embusqué dans une ville hostile. L'Histoire a son lot de raccourcis célèbres, qui feraient sourire s'ils ne furent dramatiques. Moins grave, le célèbre "Quand la France s'ennuie" de l'éditorialiste Pierre Viansson Ponté en première page du Monde, quelques jours avant que n'éclatent les émeutes de Mai 68, relevait-il d'une perception erronée de la réalité ou de la prophétie d'un journaliste visionnaire?   



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Maurin Picard. Dallas, jadis « cité de la haine »,   a expié son péché. Le Soir. 22 novembre 2023.

21 novembre 2023

Heureux lombric

 "Les vers de terre sont des pharaons aveugles. Ils prennent le temps de vivre, souverains d’eux-mêmes et maîtres de leur horloge biologique. Fuyant la lumière, ils sillonnent lentement leur royaume, se rétractant et s’allongeant comme des accordéons. Ils ne risquent pas de s’étouffer : ils respirent par la peau. Pour ne manquer de rien, ils entreposent leurs propres déjections et les réingèrent après fermentation. L’hiver, ils hibernent, roulés en boule dans une léthargie profonde. L’été, ils fuient la chaleur et se regroupent dans des chambres au frais, descendant plus profond à mesure que la température du sol augmente. Ils discutaillent en laissant passer la sécheresse." 

                            Gaspard Koenig



Ne dites plus "Heureux comme Dieu en France", dites "Heureux comme un lombric dans son humus." Interpellant roman que cette réflexion insolite sur une génération que la nature en sursis invite à philosopher. Ils ne refont plus le monde comme les générations précédentes, ils le regardent se défaire en tentant de se trouver un rôle dans l'effondrement à venir.



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Gaspard Koenig. Humus. Ed. L'observatoire. 2023. 379 pages

18 novembre 2023

Incertitude à la pointe de l'herbe

 "Parvenu à la pointe de l'herbe, l'insecte a pris son essor parce que arrivé assez haut pour s'envoler, ou bien à cause de l'impasse où il se trouvait ? (..) Certitudes, incertitudes où sont enfermés les insectes. " 

                        Etienne Fauré


Une phrase, deux images. Jacques Brel avec sa guitare quittant la cartonnerie familiale où « il ne se passait jamais rien », pour une hasardeuse carrière à Paris. Le même, une douzaine d'années plus tard à l'Olympia, faisant ses adieux à la scène, revenant saluer à sept reprises près de 2 000 spectateurs debout qui hurlent « Ne nous quitte pas ». Faut-il y trouver une des raisons de l'émotion que le Grand Jacques continue à nous procurer: avoir réalisé ses rêves ?


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Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait p.117

17 novembre 2023

Des Juifs, des Arabes et des Noirs

  « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. »

                    Frantz Fanon  [en parlant à ses lecteurs noirs]

                   


Modeste réflexion à méditer quand la presse nous livre les propos indignes d'un président de parti sur la communauté tzigane. On ne peut évoquer le simple accident de langage quand la même personne se plaignait, après avoir visité Molenbeek, "qu'on ne se sentait plus chez nous dans ce quartier". Après les Roms serait-ce de nous qu'il parle?



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Frantz Fanon cité dans: Chems-Eddine Hafizest, avocat et recteur de la Grande Mosquée de Paris. C’est l’heure du choix : pas entre les musulmans et les juifs, mais entre l’humanisme et l’horreur. Le Monde. 14 novembre 2023. Extrait p. 32

16 novembre 2023

Pépites à vivre

 "La vie était-elle donc revenue? (..)  Ces événements constituaient bien plus que des distractions et engendraient plus que de la sympathie ; c'était une rédemption, une résurrection du monde lui-même, un soulèvement et une prodigieuse rêverie, la sensation d'un merveilleux bien réel qui restituait à tous les êtres et à toutes les choses leur irremplaçable présence : un chat au soleil, un enfant, un verger; plus tard des morceaux de terre cuite sur la côte bretonne, une nuée de chardonnerets, un tas de betteraves ; de la ferraille abandonnée, une échelle oubliée ; une chapelle en ruine, un jardin. (..) Lorsque je songeais alors à ces petits bonheurs, je ne pouvais m'empêcher de m'interroger. Étaient-ils les signes avant-coureurs d'un grand réveil, annonçant comme la colombe de l'arche la fin du déluge ? Ou s'agissait-il au contraire des traces laissées par les retardataires d'un monde qui avaient plié bagage et qui s'en allaient ? (..) Je ne saurais répondre aujourd'hui; je ne suis convaincu de rien, sinon que ces apparitions m'auront aidé à aller de l'avant, à goûter à nouveau à l'existence et, sur fond d'une insaisissable mélancolie, à m'émerveiller de tout ce qui s'y attache." 

                                            Jean Prod'Hom



Apprendre à cultiver ces minuscules plaisirs qui sont du soleil quand il boude. Dans le désordre, à chacun sa préférence: la première cigarette du jour, la baguette chaude du boulanger au coin de la rue,  la toile ôtée de la cage du canari qui se réveille en chantant, la fenêtre qu'on ouvre sur le jardin ensommeillé, le premier angélus du jour de la collégiale proche, l'odeur du café fraîchement torréfié. Rien qui coûte, des pépites.


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Jean Prod'Hom. Elargir les seuils. Petite bibliothèque de spiritualité. Labor et Fides. 2023. 110 pages. Extrait p. 84, 85


15 novembre 2023

Une beauté

 "L'automne est une demeure d'or et de pluie."  

                            Jacques Chassex

       



Les paysages nimbés de pluie de ces derniers jours nous offrent des images magnifiques, suggérant plus qu'ils ne montrent, jetant un voile pudique entre la réalité et la perception qu'on en a. Toile impressionniste que le vent fait frissonner, nous rappelant que ce paysage loin d'être une nature morte est en vie. Ailleurs, dans les Hauts-de-France (anciennement Nord-Pas-de-Calais-Picardie), s'étend la lagune d'une beauté dramatique. Il n'est rien qui n'ait son contraire, tout est vrai simultanément, la beauté et la désolation, le bonheur et son malheur, l'espoir et la désespérance.


13 novembre 2023

Le remède aux insomnies

 "En prévision de la vie sans téléphone, j’ai acheté dans un bazar indien de la rue du Faubourg-Saint-Denis un gros réveil de cuisine – le modèle le plus primitif et le moins cher, celui qui fait tic-tac. Je l’ai réglé sur 4 heures et quart mais à 4 heures et quart je suis depuis longtemps réveillé, en fait j’ai à peine dormi. Charles de Foucauld, lorsqu’il se réveillait la nuit, peu importe à quelle heure, avait pour principe de se lever et de considérer que la journée était commencée – façon radicale de traiter l’insomnie. Sans en avoir toujours le courage, j’essaie de faire comme lui. "

                    Emmanuel Carrère.


Il avait quelque chose de fascinant. Délégué par une firme pharmaceutique depuis une trentaine d'années, il arguait que la majorité de nos problèmes sont liés à une inadaptation de nos comportements, nous lever tous à la même heure pour nous retrouver dans les mêmes bouchons, les mêmes files au resto, les somnolences après les repas trop lourds, les insomnies de soirées arrosées. Tellement convaincant qu'on lui aurait cédé la place du docteur. Comme à regret, il rappelait ensuite rapidement la liste de ses produits "qui n'ont rien de plus que leurs concurrents je le concède, mais c'est mon métier de vous les rappeler." Amusés, on prescrivait ses spécialités sans plus de conviction, mais avec sympathie. Les experts en marketing repasseront.


Lu dans:
Emmanuel Carrère. Yoga. POL Editeur. 2020. 386 pages. Extrait p.16

11 novembre 2023

Mort trop tôt

 "Dans une guerre, la victoire même est une défaite."

                                Alice Ferney



Augustin Trébuchon, tué le 11 novembre 1918 à 10 h 55 du matin, quelques minutes avant l'armistice, est considéré comme le dernier soldat français mort au combat de la Première Guerre mondiale. La mention de son décès est antidatée au 10 novembre comme pour les autres Français morts le 11 novembre 1918  car il n'était tout simplement pas possible de mourir pour la France le jour de la victoire.  Est-il possible de célébrer le silence des armes quand, un siècle plus tard retentissent tant et plus les déflagrations des missiles, de l'artillerie et des drones? Sinistre calcul de ces victimes des deux camps tués un jour, une semaine ou une année trop tôt avant que survienne la seule solution durable possible à cet interminable conflit, la paix. Aucune guerre n'est éternelle, mais qu'il est triste de mourir pour rien quelques minutes avant l’armistice.



Lu dans:
Alice Ferney. Dans la guerre. Actes Sud. 2005. 481 pages
Jean-Dominique Merchet. 11 novembre 1918 : Vrigne-Meuse, la bataille de trop. Libération. 11 novembre 2008

09 novembre 2023

La rumeur du lever

 "Près de la rivière où je m'assois, sur les bords de l'étang au pied d'un saule, d'un aulne ou d'un bouleau, j'écoute les fleurs qui y vivent respirer et prendre leur aise. Elles n'hésitent pas à empiéter sur le territoire de leurs voisins, papillons, sentiers, nuages qui les accueillent en leur faisant un peu de place. Je les observe s'ébrouer et se déplier, se cacher, s'étirer, danser. Elles paradent sans justification ni explication, et je m'émerveille du mélange de sérieux et d'insouciance qui les anime ; non pas le sérieux qui pèse ni l'insouciance qui dissipe, mais l'insouciance et le sérieux qui s'associent sur le visage des enfants lorsqu'ils jouent. La manière qu'elles ont d'exister, sans hâte, de s'exposer et de se dérober me bouleverse. " 

                                Jean Prod'Hom



Ce silence amélioré ne serait-il désormais que souvenir d'enfance? Au lever ce matin, la paix de la nuit est rapidement rompue par des couches de bruits superposés. D'abord celui d'un organisme qui s'éveille dans  une maison qui s'ébroue, feulements de portes, sons de salle d'eau, bouilloire annonçant le café. Plus rugueux, venant de l'extérieur proche, les chocs sourds des travaux de voirie dans la rue, une mobylette, une ambulance, un bus qui assure sa navette. Dans le lointain, rassurant par sa régularité, l'appel du train assurant la ligne Bruxelles-Ostende. Et tout au loin, les jours où un vent favorable nous l'apporte, la rumeur sourde et continue du Ring entourant la capitale, charriant la vie des gens qui se rendent au travail comme circule le sang dans nos artères, grondement indistinct comme une rumeur, sans hauts ni bas, le son du labeur d'une journée qui s'ébroue.


Lu dans:
Jean Prod'Hom. Elargir les seuils. Petite bibliothèque de spiritualité. Labor et Fides. 2023. 110 pages. Extrait p. 10

06 novembre 2023

Les oubliés de la Saint Sylvestre

 "Il est né le 31 décembre 1999. Ce jour-là, les gens ne pensent qu'au réveillon, jamais à son anniversaire. Alors, depuis deux ans, il a décidé de le fêter le 28 avril où il n'y a jamais rien, ni congé, ni conférence pédagogique, ni grève."

                    Geneviève Damas


Notre troisième fils, né un 2 janvier, pourrait se reconnaître dans cette note amusée (?) de Geneviève Damas. Comment fêter après le Fête? Les vidanges de la veille ne sont pas encore rangées, les serpentins trainaillent aux lustres, il reste toujours une queue de visite familiale à effectuer...  Comme d'autres se débaptisent, on pourrait comprendre que ces infortunés nés la veille, ou le lendemain, de la Saint Sylvestre déplacent leur date anniversaire en un coin perdu de l'année. 


Lu dans:
Geneviève Damas. Jacky. NRF Gallimard. 2021. 160 pages. Extrait p.38

04 novembre 2023

Au fond d'une tisane

 "Je redescendrai le chemin de la journée
de peur d'avoir laissé quelque chose derrière moi.
Je n'ai pas le moyen de rien perdre, car je voudrais ne pas vieillir,
mais simplement mûrir de toutes mes années."
                        Philippe Jaccottet




Mourir, la belle affaire, mais vieillir... On apprécie la poésie douce-amère de Philippe Jaccotet, tout en souriant avec Jacques Brel "mourir de se dissoudre, de se racrapoter, mourir insignifiant au fond d'une tisane, entre un médicament et un fruit qui se fane." Le premier est décédé couvert d'honneurs à l'âge de 95 ans, alors que le Grand Jacques écrit en référence à sa propre vie puisque lors de l'enregistrement de l'album il sait qu'il est condamné à court terme " mourir face au cancer/ par arrêt de l'arbitre ." Il mourra à 49 ans.


Lu dans:
Philippe Jaccottet. L'effraie et autres poésies. NRF Gallimard. 1979. 61 pages
Gérard Jouannest, Jacques Brel, Marcel Azzola. Vieillir, in Les Marquises, treizième et dernier album studio de Jacques Brel. 1977. Barclay.


29 octobre 2023

Le vin redevient eau

 "L’enfant a caché l’oiseau
dans son pupitre
(..) et tous les autres enfants
écoutent la musique
et les murs de la classe
s’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
l’encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
la craie redevient falaise
le porte-plume redevient oiseau."
                        Jacques Prévert



Et tout redevient possible, comme le suggère cette carte de restaurant: "le vin, cette eau enjolivée par le soleil". 


Lu dans:
Jacques Prévert. Page d'écriture. 1997

28 octobre 2023

La mémoire du bois

 



"Sous leur peinture les bancs se souviennent qu'ils furent arbres, ressentent dans leurs nœuds les branches de naguère, comme l'estropié la douleur de son bras absent. C'est un peu ça qu'on voit quand la couleur s'écaille : des cercles s'éloignant, crevassés dans la fibre, où parfois les amours au canif se mêlent, des initiales, de la gravure sur bois où tant de fesses s'assoient, mettant les motifs de fleurs et de feuilles imprimés sous presse."

                            Étienne Fauré



Se dire que chaque planche a connu la vie d'un arbre prête à rêver: si les meubles ont une histoire propre, elle ne fait que prolonger une existence antérieure, entourée d'autres espèces, d'autres  paysages et de la succession des saisons. Et nous, de quels arbres sommes-nous issus? 



Lu dans:
Étienne Faure. Et puis prendre l'air. Collection Blanche. Gallimard. 2020. 136 pages. Extrait p.22


27 octobre 2023

Le jardin extraordinaire

 "Un des pouvoirs de l'esprit les plus précieux et les plus avarement dispensés, c'est celui de savoir s'étonner de l'ordinaire. Des milliers d'hommes avaient vu tomber des milliers de pommes avant Newton."

                                    Thierry Maulnier




Je ne l'avais revu depuis six mois, bébé porté dans les bras il marche seul aujourd'hui. Du grand banal dirait-on, alors qu'il vient de reproduire le grand saut de l'homo sapiens laissant sur-place son cousin le chimpanzé, et que personne n'en parle.  Au jardin, une corneille se prélasse au sommet d'un if de trente mètres, et s'envole sans le moindre effort. Comment s'extasier sur l'aérodynamique d'un Airbus après cela?


Lu dans:
Thierry Maulnier. L'étrangeté d'être. 1977-1979. NRF Gallimard. 1982. 326 pages. Extrait p.28


26 octobre 2023

Tu n'as rien vu à Hiroshima

 

"Qu'est-ce que tu veux qu'on tourne à Hiroshima sinon un film sur la paix?" 
                        Emmanuelle Riva, Marguerite Duras. 


Un soir de plus, comme le partage avec gravité Thomas Reverdy en clôture de l'émission la Grande Librairie, nous ferons face aux mêmes questions, lancinantes, et y répondrons avec de plus en plus de difficulté. À quoi sert tout cela, tout ce que je vis, tout ce que je vois, tout ce que je sais ou que j’ignore ? Que reste-t-il de mes connaissances scientifiques, de mes convictions philosophiques, de mes points d'exclamations pleins d'assurance, lorsque je me demande à quoi sert la vie, à quoi sert leur vie, à quoi sert ma vie ?  Nos lèvres se dessèchent quand on tente de trouver les mots. On s'accroche à ce moment  aux mots d'Emmanuelle Riva "que tourner à Hiroshima si ce n'est un film sur la paix?"

Ce jour viendra, où se posera comme une évidence la question "que tourner à Gaza , en Palestine et ailleurs, si ce n'est un film sur la paix", car il n’existe hélas aucune alternative. 

Lu dans:
Tu n'as rien vu à Hiroshima. Marguerite Duras, Emmanuelle Riva (Photographe), Marie-Christine de Navacelle (Éditeur scientifique). Gallimard. 2009. 128 pages. Ce beau livre collectif a été publié en 2008 à l'occasion du 50ème anniversaire du tournage du film « Hiroshima mon amour » réalisé par Alain Resnais.


25 octobre 2023

Lâcher du lest

 "Tant que nous volons à la même altitude, le vent nous emmène dans la même direction. Nous avons beau prier, pleurer ou jurer, rien ne varie. La seule manière de modifier notre trajectoire est de changer d'altitude pour trouver une couche atmosphérique qui a une autre direction. Pour cela, il faut lâcher du lest, s'alléger, et arriver à monter. Dans la vie, c'est la même chose ! Quels que soient nos rêves et nos buts, les vents de la vie nous emmènent où ils veulent, au gré de l'imprédictibilité de l'existence. Et nous en sommes prisonniers. À moins que nous ne parvenions à changer d'altitude, dans notre façon de penser et d'agir, pour découvrir d'autres influences, réponses et visions du monde. Pour cela, nous devons nous débarrasser de notre lest, de nos certitudes, convictions, croyances et autres dogmes, c'est-à-dire apprendre à fonctionner autrement, à nous libérer de nos automatismes et de ce que notre conditionnement nous a appris."

                                            Bertrand Piccard



Étonnante expérience. Une poussée de Covid me cloue au lit depuis quatre jours, purgeant in extremis les rendez-vous de l'agenda en ligne. Un microscopique filament viral parvient ainsi à se montrer plus fort que ce que toute notre intelligence réclame en temps normal sans y parvenir: s'autoriser à dormir de longues heures quand on est fatigué, traîner à la table du petit-déjeuner , visionner un film par jour, lire le journal jusque dans ses brèves, regarder les pigeons sous la pluie. Changer d'altitude comme le suggère Bertrand Piccard pour reconsidérer l'évidence: par-dessus la couche de nuages il peut être possible de fonctionner autrement, de nous libérer de nos automatismes et de ce que nos conditionnements nous apprennent.


Lu dans:
Bertrand Piccard, André Borschberg. Objectif Soleil: Deux hommes et un avion. L'aventure Solar Impulse. Stock. 2017. 364 pages.

23 octobre 2023

Un éclair orange et bleu

 

Martin-pêcheur, étang de Neerpede-Anderlecht, où il s'est acclimaté

"Comme le martin-pêcheur prend feu, apercevant parmi les saules au bord de l'eau peu profonde, l'éclair orange et bleu de cet oiseau que, depuis des années, je n'avais pas revu, le vers de Hopkins m’a, non moins vivement, traversé l'esprit:

Choses qu'on ne peut qu'entrevoir
et qui n'ont de sens qu'évasives
orange et bleu conjugués
fruits à ne jamais cueillir
choses qu'il faut laisser aux saules, aux ruisseaux. "
                        Gerard Manley Hopkins
                   
Lu dans:
Hopkins cité par Philippe Jaccottet. Note du ravin. Ce peu de bruits, in Œuvres. La Pléiade. Paris 2014. Extrait p.1237

Photo : William Van Lierde. Collectif Sauvegardons Neerpede. La magie de Neerpede. Voyage dans l'étang. 20 €. Le livre-cadeau par excellence: sauvegardonsneerpede@gmail.com.